La sélectivité sociale du nouveau Conseil communal de Lausanne (2021)

Par Roberto Di Capua, Université de Lausanne

Composition partisane et renouvellement

La nouvelle composition du Conseil communal de Lausanne à l’issue des élections du 7 mars 2021 témoigne d’une relative stabilité politique en termes de rapports de force entre le centre-gauche et le centre-droite. On observe toutefois certains changements au sein de ces blocs. On note par exemple que les Vert·e·s gagnent 7 sièges de plus qu’il y a cinq ans (de 17 à 24 sièges) au détriment des socialistes qui en perdent 4 (de 33 à 29 sièges). Ensemble à Gauche gagnent deux sièges supplémentaires (de 11 à 13 sièges). À droite, le PLR conserve ses 21 sièges mais l’UDC lausannoise en perd 5 (de 12 à 7 sièges). Les Verts’libéraux font leur entrée au Conseil communal de Lausanne avec leur propre liste et 6 élu·es dont 4 sortant·es anciennement membres de la liste Le Centre (PDC) qui disparaît du Conseil suite à ces élections (Figure 1).

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Figure 1 – Distribution des élu·es par listes politiques (2016-2021)

Le renouvellement des élu·es est relativement important avec 41% d’entrant·es. Il est plus important à gauche qu’à droite : 50% des élu·es d’EàG sont des entrant·es ; 44% chez les Vert·es et 41% au PS ; alors que seul 30% des élu·es PLR sont entrant·es et 29% à l’UDC. Les Vert’s-libéraux possèdent un important taux de renouvellement (67%) qui s’explique notamment par le fait que la liste soit nouvelle et indépendante de la liste du Centre présente lors de la dernière législature.

Figure 2 – Proportion d’élu·es entrant·es par listes politiques (2021)

1. Le rajeunissement des élu·es

On assiste à un important rajeunissement du Conseil communal lausannois. Si l’âge moyen des élu·es était de 49 ans en 2016, il est de 43 ans à l’issue des dernières élections. Ce rajeunissement est en partie dû à l’âge moyen des élu·es entrant·es de toutes les listes : il est de 29 ans chez EàG, 30 ans à l’UDC, 32 ans chez les Verts’libéraux, 34 ans pour les Vert·e·s ; 36 ans au PLR et 38 ans au PS (Figure 3). Par conséquent, désormais le PS, l’UDC et le PLR possèdent des délégations avec une moyenne d’âge supérieure à la moyenne du Conseil avec respectivement des groupes de 44 ans, 46 ans et 49 ans ; alors qu’EàG avec 36 ans d’âge moyen, les Vert·e·s avec 41 ans et les Verts’libéraux avec 41 ans, proposent des délégations relativement « jeunes » et en dessous de la moyenne du législatif lausannois (Figure 4).

Figure 3 – Âge moyen des élu·es entrant·es, par listes politiques (2021)

Figure 4 – Âge moyen des élu·es, par listes politiques (2021)

2. Le premier Conseil communal avec une majorité de femmes

Pour la première fois de son histoire, le Conseil communal de Lausanne se compose désormais d’une majorité de femmes. Si en 2016, le Conseil communal comptait 40 femmes pour 60 hommes, il y a à l’issue des élections du 7 mars 56 femmes pour 44 hommes. Une parité pourrait hypothétiquement être atteinte avec les viennent-ensuite en cours de législature.
Toutes les formations politiques de gauche comme de droite présentent au moins 50% de femmes parmi leurs entrant·es. Les formations politiques qui féminisent le plus le Conseil communal avec leurs entrant·es sont EàG avec une délégation 100% féminine ; les Vert·es (80%), les Vert-lib (75%), le PS (73%), viennent ensuite le PLR (67%) et l’UDC (50%) (Figure 5).
Les délégations du nouveau Conseil communal avec une majorité de femmes sont EàG avec 70% de femmes, les Vert’libéraux avec 67% d’élu·es, les Vert·es (63%), le PS (59%). Le PLR et l’UDC avec respectivement 43% et 29% d’élues sont les deux seuls partis avec une sous-représentation des femmes (Figure 6).

Figure 5 – Proportion de femmes entrantes, par listes politiques (2021)

Figure 6 – Proportion de femmes élues, par listes politiques (2021)

3. L’académisation du Conseil communal

La proportion d’élu·es en possession d’un titre universitaire a augmenté de manière importante en comparaison à l’élection de 2016. Si à l’issue du scrutin de 2016 on comptait 64% d’élu·es en possession d’un titre universitaire, on en compte 76% après ces élections. Cette académisation du Conseil communal s’explique par l’impressionnante présence d’entrant·es possèdant un titre universitaire dans l’ensemble des formations politiques : tous les partis élisent 100% d’entrant·es universitaires sauf le PS où 64% des néo-élu·es sont universitaires (Figure 7), une proportion qui reste importante.
Désormais toutes les formations politiques du législatif communal possèdent une majorité d’universitaires (Figure 8). La formations politique la moins universitaire du Conseil communal est celle du Parti socialiste avec 66% d’élu·es en possession d’un tel titre, viennent ensuite l’UDC avec 71%, le PLR avec 76%, les Vert·e·s avec 79%, EàG avec 85% et les Vert’libéraux avec une délégation entièrement universitaire (100%).

Figure 7 – Proportion de élu·es entrant·es en possession d’un titre universitaire, par listes politiques (2021)

Figure 8 – Proportion d’élu·es en possession d’un titre universitaire, par listes politiques (2021)

On peut donc souligner ici un effet de sélection sociale important à l’issu de cette élection. En effet une comparaison entre la proportion de non-universitaires au sein des candidat·es entrant·es et au sein des élu·es entrant·es montre comment des listes qui mettaient en avant une certaine diversification sociale finissent par donner des résultats socialement très sélectifs à l’issue des élections (Figure 9). Par exemple, si EàG proposait une liste composée d’autant d’universitaires que de non-universitaires parmi les entrant·es, ils n’arrivent à en faire élire aucun·es ; idem pour l’UDC qui proposait une liste composée de 57% de non-universitaires entrant·es. Seul le PS qui proposait 36% de non-universitaires entrant·es parmi ses candidat·es arrive à faire élire 36% d’entrant·es sans titre académique. Ces résultats mettent en évidence une sélectivité sociale s’exprimant déjà par le seul niveau d’étude. En effet, la majorité des formations politiques lausannoises ne réussissent quasi plus à faire élire des candidat·es sans titre universitaire.

Figure 9 – Proportion de non-universitaires au sein des candidat·es entrant·es et au sein des élu·es entrant·es

4. L’importante sélectivité socio-professionnelle

Le profil professionnel du Conseil communal lausannois reste assez stable (Figure 10). Le législatif communal reste principalement composé en 2021 de professions libérales (il y a 28% d’avocat·es, de notaires, d’architectes et de médecins comme en 2016). Ce groupe professionnel se retrouve surtout dans les entrant·es du PLR (67%) ; des Vert’libéraux (50%) et des Vert·e·s (40%) (Figure 11). Viennent ensuite les cadres du secteur public qui représentent 25% des élu·es comme en 2016. Parmi les entrant·es ces dernier·ères se retrouvent exclusivement au sein des formations de gauche avec 50% chez EàG, 40% chez les Vert·es et 27% au PS (Figure 11).
Le reste du Conseil est principalement composé de professionnel·les de la politique (cadres d’associations, cadres de partis, secrétaires syndicaux ou patronaux) qui augmentent comparé à 2016 en passant de 8% à 14%, ainsi que de retraité·es, étudiant·es et personnes au foyer en représentant 12% du Conseil contre 10% en 2016 (pour un aperçu des catégories professionnelles de l’ensemble des élu·es par liste, voir l’annexe 1).

Figure 10 – Proportion d’élu·es par catégories professionnelles (2016-2021)

Figure 11 – Proportion d’élu·es entrant·es exerçant une profession libérale ou cadre dans le secteur public, par listes politiques (2021)

Si les employé·es du public occupant un poste subalterne perdent encore de l’importance (passant de 8% en 2016 à 5% en 2021), les élections du 7 mars 2021 sont caractérisées par la totale disparition des employés subalternes du secteur privé (Figure 10). Le Conseil communal de Lausanne ne compte aujourd’hui plus aucun·e élu·e occupant une position subalterne dans l’économie privée. Catégorie déjà en déclin depuis plusieurs décennies, il n’y a désormais ni vendeur·euse, ni employé·e de commerce, ni ouvrier·ère du bâtiment dans l’organe « représentatif » lausannois : une catégorie de surcroît pourtant importante parmi la population de la ville.
De manière générale des élu·es occupant une position socio-professionnelle subalterne que cela soit dans le secteur privé ou public connaissent une sous-représentation importante au sein du législatif lausannois. Pourtant les listes de candidat·es comptaient des employé·es subalternes (du privé et du public) mais très peu de parti en font élire en fin de compte. La comparaison entre la proportion d’employé·es subalternes au sein des candidat·es entrant·es et au sein des élu·es entrant·es est significative à cet égard (Figure 12).

Figure 12 – Proportion de salarié·es subalternes au sein des candidat·es entrant·es et au sein des élu·es entrant·es

Si la liste EàG et de l’UDC proposaient plus d’un tiers de salarié·es occupant une position subalterne chez leurs candidat·es entrant·es (38%), EàG n’arrive à en faire élire que 17% (exclusivement dans le secteur public) et l’UDC aucun·e. Tous les partis manquent à faire élire ce profil de candidat·es entrant·es hormis le PS où 18% des entrant·es sont salarié·es subalterne (mais uniquement du public) alors que sa liste en comptait 19% parmi les candidat·es entrant·es (secteur public et privé). Ce constat montre que les partis lausannois ne sont que faiblement le moteur d’une démocratisation de l’activité politique locale. On relèvera toute de même qu’un soupçon d’inclusion sociale, inscrite dans sa tradition politique, semble encore légèrement survivre au sein du Parti socialiste.

5. Éléments conclusifs

En termes de représentativité sociale, le Conseil communal issu des élections du 07 mars 2021 semble loin de permettre d’aboutir à une identité gouvernants-gouvernés attendue à travers ce que l’on nomme en Suisse un système « de milice ». Si ce constat pouvait déjà être anticipé lors de l’analyse des listes des candidat·es, il se renforce à l’issue des élections. Bien que plus « jeune » et plus féminisé – avec pour la première fois un législatif avec une majorité de femme – le législatif communal se compose aujourd’hui essentiellement de Lausannois·es possédant un titre universitaire, exerçant une profession libérale ou une position de cadre dans le secteur public.
Cette sélectivité sociale témoignant de la présence d’un forme de « cens caché »[1] au sein des groupes politiques lausannois a aujourd’hui fortement minorisé les salarié·es subalternes du public (p. ex. infirmier·ères, instituteur·rices, éboueur·euses, employé·es de voiries) et complètement fait disparaître celles et ceux du privé (p. ex. vendeur·euses, employé·es de commerce, ouvrier·ères du bâtiment, mécanicien·nes). Ceci même si la composition des listes électorales pouvait avant les élections laisser croire le contraire pour certaines formations politiques comme EàG ou l’UDC. Cette analyse montre que le Conseil communal de Lausanne ressemble de moins en moins à sa population, bien que certains partis, comme le PS, ralentissent encore quelque peu cette tendance. Ainsi, alors que les salarié·es subalternes représentent une majorité de la population lausannoise active (environ 53% d’après le portrait statistique de Lausanne en 2020 [2]), ils ne sont quasiment plus représentés socialement au sein de leur législatif communal.
Avec une telle sélection socio-professionnelle le Conseil communal de Lausanne est aujourd’hui plus que jamais un organe principalement composé d’habitant·es que l’on pourrait classer au sein d’une petite-bourgeoise intellectuelle (de droite comme de gauche) mais que l’on peut difficilement qualifier de « populaires ».

[1] Le concept de « cens caché » proposé par Daniel Gaxie (1978) montre que les inégalités de politisation principalement issues d’inégalités socio-économiques provoquent le même résultat que le suffrage censitaire (qui interdisait le droit de vote et d’éligibilité aux femmes et aux classes laborieuses entre le 18ème et le 19ème siècle par le biais d’une taxe de participation), mais aujourd’hui de manière informelle à travers des critères sociaux de sélection qui sont « cachée ».

[2] À défaut de statistiques plus précises, cette proportion a été obtenue en cumulant les catégories suivantes disponibles dans le Portrait statistique de Lausanne 2020, page 11 : « Professions élémentaires (aides ménage, éboueurs, …) », « Conducteurs et assembleurs (chauffeurs, groutiers, …) », « Métiers de l’industrie et de l’artisanat (maçons, plâtriers, ébénistes, …) », « Employés de type administratif (secrétaires, aide comptables, …) », « Professions intermédiaires (techniciens,assistantsmédicaux,courtiers,…) », « Personnes des services, commerçants, vendeurs » (URL : https://www.lausanne.ch/officiel/statistique/portrait-statistique/apercu-statistique.html).

Annexes

Annexe 1 – Proportion d’élu·es par catégories professionnelles et par listes politiques (2021)