(In)égalité femmes-hommes pendant la crise sanitaire

Lors de la première vague de la pandémie de Covid-19, le semi-confinement a entraîné des changements importants dans l’organisation du travail et de la vie familiale. Dans quelle mesure cette situation a-t-elle affecté différemment les femmes et les hommes ?

Marieke Voorpostel revient sur les résultats de l’étude Covid-19, réalisée dans le cadre du Panel suisse de ménages, qui montrent les changements intervenus sous cet angle entre l’automne 2019 et le printemps 2020.

Vous dirigez une recherche sur l’impact des mesures prises durant la crise du COVID-19 sur les ménages, dans le cadre du panel suisse de ménages. Sous l’angle de l’égalité entre femmes et hommes, quels sont les principaux résultats intermédiaires de cette recherche ?

Jusqu’à présent, mes recherches ont surtout porté sur les différences entre femmes et hommes en matière de travail rémunéré et non rémunéré dans les couples à double revenu avec enfants. Nos données montrent une baisse plus forte du temps consacré au travail rémunéré pendant le semi-confinement du printemps 2020 pour les femmes que pour les hommes.

Nos données montrent également que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à avoir cessé de travailler depuis la dernière fois que nous les avons interrogées à l’automne 2019, en particulier les femmes occupant de petits emplois à temps partiel. Les travailleurs et travailleuses indépendant·e·s ont été fortement touché·e·s par les mesures prises pendant le semi-confinement, mais cela a été particulièrement vrai pour les femmes, plus nombreuses dans des professions qui ont fait face à plus de restrictions (comme les physiothérapeutes, les psychologues et les aides à domicile).

Notre étude montre également que ce sont surtout les mères d’enfants de moins de 6 ans qui ont augmenté le temps consacré à la garde des enfants. Les pères ont aussi augmenté ce temps, sans que pour autant l’écart entre les mères et les pères se réduise (les mères consacrent deux fois plus de temps que les pères à la garde de leurs enfants). La situation professionnelle est particulièrement importante pour l’acceptation par les pères du travail supplémentaire lié aux enfants : les pères travaillant à plein temps n’augmentent significativement le temps consacré à la garde des enfants que si leur partenaire travaille également à plein temps.

Nous avons également constaté une différence entre femmes et hommes en ce qui concerne la charge mentale du rôle de parent : les mères qui exercent une activité professionnelle ont déclaré se sentir plus fréquemment dépassées par la garde des enfants et l’enseignement à domicile que les pères, mais les deux ont également vu un côté positif à passer plus de temps ensemble pendant le semi-confinement.


Ces résultats vous surprennent-ils ? Comment les expliquez-vous ?

Nous savions déjà que l’emploi des femmes est plus fortement touché par cette pandémie que celui des hommes. Cela s’explique en partie par le fait que les secteurs à prédominance féminine sont davantage concernés : d’une part, les taux de chômage partiel y sont plus élevés et d’autre part, les femmes sont plus susceptibles d’être employées dans des professions essentielles. Mais c’est aussi le résultat d’une position plus précaire sur le marché du travail par rapport aux hommes avant la pandémie, avec plus de travail à temps partiel et des salaires généralement plus bas.

Le fait que les femmes soient plus susceptibles d’augmenter le temps consacré aux tâches ménagères et aux soins est le résultat de ce point de départ inégal et des conséquences inégales de la pandémie sur le marché du travail pour les hommes et les femmes. Lorsque, au sein d’un couple, l’emploi de la femme contribue moins au revenu du ménage que celui de l’homme, et si elle travaille moins d’heures, il est plus probable qu’elle prenne en charge une plus grande partie des soins supplémentaires à apporter aux enfants, ce qui est en outre conforme aux attitudes encore assez traditionnelles en matière de rôles genrés en Suisse.

Je pense également que nos résultats illustrent la manière dont la participation accrue des femmes au marché du travail a été rendue possible, dans une large mesure, par des dispositifs formels et informels de garde d’enfants (crèches et gardes parascolaires, ainsi que recours aux grands-parents), plutôt que par une répartition égale du travail de garde entre les parents. Lorsque cette infrastructure disparaît – comme nous l’avons vu lors de la première vague de la pandémie quand les garderies ont été fermées et les grands-parents éloignés -, la charge supplémentaire tend à peser davantage sur les femmes que sur les hommes.

Néanmoins, la présence physique des deux partenaires à la maison en raison du travail à domicile, combinée à l’augmentation pure et simple du travail non rémunéré, met également la pression sur les pères pour qu’ils contribuent davantage. Dans ce cas, une plus grande égalité dans le travail rémunéré au sein du couple au départ entraîne une plus grande égalité dans le travail non rémunéré.


D’après votre enquête, les mesures prises durant la première vague ont-elles renforcé d’autres inégalités que celles liées uniquement au genre ?

Dans l’ensemble, les conséquences à court terme de la crise du Covid-19 étaient relativement bénignes lorsque nous avons mené notre enquête au printemps 2020. Mais nous constatons que la crise a touché certains groupes plus que d’autres, notamment les groupes déjà défavorisés. Les personnes avec un niveau peu élevé de formation, par exemple, ont été beaucoup plus souvent confrontées au chômage partiel et ont rapporté une plus grande insécurité de l’emploi. Et les personnes au chômage, bien que peu nombreuses dans notre étude, ont eu plus de soucis financiers.

La crise a également engendré de nouvelles inégalités : nous avons constaté que les jeunes (entre 14 et 25 ans) ont été beaucoup plus touché·e·s par le semi-confinement que les autres groupes d’âge. Beaucoup ont eu des difficultés avec l’enseignement à distance, et les jeunes ont été le seul groupe à signaler une diminution de leur satisfaction dans la vie.

Dans quelles directions les résultats obtenus vont-ils orienter vos recherches futures ?

Ce qui est unique avec nos données, c’est que nous avons suivi les ménages de notre étude depuis avant la pandémie – certains depuis 1999 – et continuerons à les suivre à l’avenir. Nous venons de terminer le travail sur le terrain pour la prochaine vague de collecte de données auprès des mêmes répondant·e·s, de sorte que nous pourrons voir comment elles et ils ont traversé la crise depuis le semi-confinement au printemps.

À terme, notre étude permettra de savoir pour qui la crise n’a été qu’« un incident de parcours », et pour qui les conséquences sont plus graves et plus durables. Comment l’expérience du chômage partiel ou de la perte d’emploi pendant la crise affecte-t-elle les parcours professionnels et la sécurité financière à plus long terme ? Comment la jeune génération s’en sortira-t-elle en ce qui concerne son parcours éducatif et sa transition vers le marché du travail ?

Je continuerai également à suivre la manière dont les couples se partagent le travail rémunéré et non rémunéré, afin de voir dans quelle mesure la situation inhabituelle pendant le semi-confinement a entraîné des changements de comportement à plus long terme. L’augmentation du temps passé par les pères à s’occuper des enfants a-t-elle persisté après la réouverture des écoles – alors que de nombreux parents sont encore à la maison en raison de la poursuite du télétravail, mais sans la double charge que la fermeture des écoles et garderies a fait peser sur leurs épaules l’année dernière – ? Avec le temps, nous serons en mesure de répondre à toutes ces questions.