John Bordley Rawls (21 février 1921, Baltimore, Maryland – 24 novembre 2002, Lexington, Massachussetts) est un philosophe spécialiste de la philosophie morale et politique. Il s’inscrit, dans son approche philosophique, à la suite de Kant et, dans son approche socio-économique, contre l’utilitarisme. Toute son œuvre sera consacrée à tenter de trouver une alternative acceptable aux principes de ce dernier.
John Rawls obtient en 1943 une licence d’Arts et de Littérature de l’Université de Princeton. Il s’engage ensuite dans l’armée où il participe aux combats américains dans les îles de l’Océan Pacifique. Il obtient son doctorat en philosophie en 1950, ce qui lui permet de commencer à enseigner. C’est alors le début d’une longue carrière académique qui le voit passer aux universités de Cornell et d’Oxford, puis au MIT, avant de se fixer à Harvard. Il accédera à la chaire la plus prestigieuse de l’université en 1979 et continuera à y enseigner jusqu’en 1995.
John Rawls reste dans les mémoires comme un philosophe contemporain profondément ancré dans la réalité sociale de son temps. Son ouvrage principal, « Théorie de la justice« (1971), présente de manière très pointue un modèle de justice qui devrait mener à une société bien ordonnée, tant dans un système capitaliste que dans un système socialiste. Ce philosophe de profession devient alors un porte-parole des sciences sociales, ainsi que des économistes militant contre l’utilitarisme dominant.
Vie et pensée de John Rawls
John Rawls a consacré tout sa vie et toutes ses recherches à élaborer sa théorie de la justice comme équité. Dès ses premiers articles au milieu des années 1950 John Rawls met en avant certains aspects de cette théorie. Dans « La justice comme équité » (« Justice as Fairness« ), article publié en 1958, Rawls nous livre le plan de recherche de presque toute sa vie. Il développe peu à peu les éléments qui lui permettront d’écrire et de publier en 1971 l’oeuvre colossale qu’est la « Théorie de la justice« . Après cette dernière, comme pour la compléter et répondre à plusieurs critiques faites à son encontre, Rawls publiera deux autres ouvrages importants: « Libéralisme politique » (1993) et « Le droit des gens » (1996). Alors que le premier ramène la théorie de la justice à une portée moins universelle, c’est-à-dire les grandes démocraties modernes, le second interroge la capacité de sa théorie de la justice à gérer les relations entre les différents Etats. Bien que toute son œuvre soit d’une densité rare, seuls les principaux aspects de la « Théorie de la justice » seront présentés ici.
Théorie de la justice
La « Théorie de la justice », publiée en 1971, est un ouvrage de philosophie analytique volumineux qui se place dans la tradition philosophique de Kant, dans le sens où tous les raisonnements y sont méticuleusement décortiqués, analysés, confrontés, et finalement acceptés ou rejetés.
La théorie de la justice comme équité est basée sur une théorie du contrat: la société fonctionne grâce à un contrat tacite que tous les individus s’accordent pour respecter. Elle s’oppose ainsi à l’utilitarisme classique, puisqu’elle considère la société comme un tout fonctionnant grâce à des institutions plutôt que comme une somme d’individus interagissant dans le seul but de la maximisation du bien-être total. L’objectif de la théorie de la justice comme équité est de proposer une alternative viable à l’utilitarisme. Rawls présente donc un système complet censé permettre la mise en place d’une société juste, c’est-à-dire respectant les deux principes de la justice qu’il met en avant.
Deux principes de la justice
1) Premier principe: principe de la liberté égale pour tous. Ce principe assure à chaque individu dans une société non seulement les libertés fondamentales principales, mais aussi toute les libertés, même celles qui seraient accordées ne serait-ce qu’à un seul autre individu.
2) Second principe: principe de l’égalité des chances. Ce principe propose de traiter les inégalités sociales et économiques de deux manières. D’abord (2a), il faut que ces inégalités profitent d’une manière ou d’une autre aux individus les plus défavorisés. Ensuite (2b) que ces dernières soient attachées à des fonctions ou des positions ouvertes à tous. Ce principe sert à compenser les inégalités économiques mais aussi les inégalités sociales liées à la position aléatoire de chacun dans la société.
En d’autres termes, pour qu’une société soit juste elle doit respecter ces deux principes. Il faut que chaque individu ait un minimum de libertés fondamentales garanties, ainsi que l’assurance que les inégalités sociales ou économiques découlant de sa place dans la société ne soit pas une entrave à ses projets personnels de vie. Ces deux principes seraient, selon Rawls, ceux qui seraient choisi dans ce qu’il appelle la position originelle.
La position originelle
Pour établir sa théorie comme une théorie du contrat, Rawls présente ce qu’il appelle la position originelle. Cette dernière est une délibération, réunissant des personnes représentatives de toute la société, afin de dégager les principes de la justice cités plus haut.
Cette délibération se fait sous la contrainte du voile d’ignorance, c’est-à-dire que les personnes réunies ont un niveau de connaissance extrêmement général (fonctionnement de la société, de la politique et de l’économie, soumission aux lois, etc.). Tous les détails à propos de leur position sociale ou économique dans une société donnée leur sont inconnus. Les seuls détails personnels dont ils ont connaissance sont: leur projet de vie (conception individuelle du « bien »); la conscience d’avoir des ancêtres et des descendants. Ils ont la volonté d’agir pour favoriser ces deux aspects particuliers.
Une telle délibération aboutit, selon Rawls, aux principes de base d’une société juste (étant donné que les individus vont agir et argumenter sans savoir quelle est leur place dans la société en question). Attention tout de même à ne pas croire que Rawls imagine réellement une telle rencontre. La position originelle est un exercice de pensée qui nous montre la procédure à suivre pour atteindre un système d’institutions de base juste.
La priorité de la justice comme équité sur l’utilitarisme
Comme cela a déjà été mentionné plus haut, la théorie de la justice de Rawls se place en opposition forte avec l’utilitarisme. Ce dernier mesure la qualité d’une société au bonheur total des individus la constituant, sans porter attention à la répartition. Il considère qu’une action est juste à partir du moment où la somme de bonheur précédent l’action est inférieure à la somme de bonheur suivant immédiatement cette même action. Ainsi, par exemple, la théorie utilitariste classique considère l’esclavage comme juste à partir du moment où le bien-être généré par celui-ci est supérieur au mal-être suscité chez les esclaves.
Pour lutter contre cette théorie qui selon lui n’a rien de juste, Rawls, après avoir exposé les principes de la justice, va établir un ordre de priorité entre les différents principes du juste et de l’utile, en conférant au premier le statut d’antériorité dans le temps. Rawls argumente dans cette direction en montrant que jamais les individus de la position originelle ne peuvent arriver à une conclusion donnant l’esclavage pour juste, car aucun ne serait d’accord d’imaginer se trouver esclave lui-même dans une société juste. Même si la somme totale de bonheur augmente, l’esclavage viole d’abord le premier principe de la justice, et n’est donc pas valable.
L’utilitarisme, souvent relié au capitalisme, est ici mis à mal. Cependant, Rawls n’attaque pas le capitalisme en tant que système, puisqu’il insiste que sa théorie, et les principes qui l’accompagnent, peuvent s’appliquer tant dans une société capitaliste que dans une société socialiste. Néanmoins, Rawls montre que le principe d’utilité comme garant de la bonne ordonnance de la société n’est pas une solution que l’on peut qualifier de juste. Il propose alors une alternative à cet utilitarisme, en soutenant que les principes de la justice ne sont pas réductibles et qu’ils sont les garants d’une société bien ordonnée par des institutions justes.
Bibliographie commentée
Rawls, J.B. (2009). Théorie de la justice. Paris: Points. (Oeuvre originale publiée en 1971)
Oeuvre principale de John Rawls. Elle présente la pensée de l’auteur de la manière la plus étendue et la plus détaillée possible. Ouvrage complexe mais extrêmement instructif dans lequel le philosophe pose point par point et de manière méticuleuse ce qui constitue sa théorie de la justice comme équité.
Rawls, J.B. (2007). Libéralisme politique. Paris: PUF. (Oeuvre originale publiée en 1993)
À la suite de la Théorie de la justice, Rawls écrit ce livre afin de couper court à certaines critiques qui lui sont adressées. Il s’y applique à ramener sa théorie dans un contexte plus réel et plus actualisé: les démocraties modernes occidentales. Il montre que les principes de la justice sont applicables dans les sociétés contemporaines malgré le pluralisme social.
Rawls, J.B. (1998). Le droit des gens. Paris: Ed. Esprit. (Oeuvre originale publiée en 1996)
Pour compléter sa théorie, John Rawls publie, dans cet ouvrage, les modalités d’adaptation de la théorie de la justice comme équité sur le plan international. Encore une fois, il s’applique à montrer que sa philosophie est ancrée dans la réalité.
Références
Bidet, J. (1995). John Rawls et la théorie de la justice. Paris: PUF.
Mandle, J. (2009). Rawls’s a theory of justice: an introduction. Cambridge: Cambridge University Press.
Rawls, J.B. (2009). Théorie de la justice. Paris: Points. (Oeuvre originale publiée en 1971)
Rouge-Pullon, C. (2003). John Rawls: vie, oeuvres, concepts. Paris: Ellipses.