Catégories
Critique littéraire

Charloose : une exceptionnelle banalité

Grâce à une verve franche et un style travaillé, Nina Pellegrino nous entraîne dans son premier roman intitulé Charloose, une quête poignante, un peu maussade, digne héritière d’un Marche à l’Ombre (Michel Blanc, 1984).

Durant cette aventure sur les traces d’Arthur Rimbaud contée à la première personne, deux personnages en déréliction se baladent et s’apprivoisent, à travers des chapitres imprévisibles et changeants, aussi éclectiques que le parcours de vie du célèbre poète. L’extravagance du propos et des événements renforcent habilement le divertissement procuré par cet ouvrage.

Et du divertissement, il y en a ! Le narrateur, en perpétuel état de « loose », dépeint les rencontres et les situations dont il fait l’expérience en compagnie de Bertha, avec une honnêteté rafraîchissante qui déborde des pages et varie selon ses humeurs. Celles-ci sont à la fois le point fort et le point faible du récit. Bien que la cadence des idées soit déterminée avec brio, il n’empêche que les aléas émotionnels et les irruptions de pensées du narrateur interviennent sans relâche, rendant des passages difficiles à suivre et diluant parfois des thèmes, des propos, qui mériteraient le temps d’être développés. Faire un ou deux arrêts de plus lors de ce voyage chaviré et chavirant n’aurait pas été de trop.

Le roman fait preuve d’une constance louable : les propos contés sont à la fois touchants, perturbants, mais surtout sincères. La sincérité du récit se manifeste par des paroles crues et par le biais de l’inclusion de langues tierces – l’allemand, par exemple. De cette utilisation de la langue, il est nécessaire de souligner un élément fondamental : le récit estime ses personnages tout autant que ses potentiels lecteurs et lectrices, mais avec deux résultats différents. D’un côté, les personnages sont libres, ils vaguent et vivent avec extravagance leur aventure, tandis que les lecteurs sont entraînés dans un tourbillon de langues et d’idées inlassables et sans retenue. C’est tout ou rien ; il n’y a pas d’entre-deux. Les lecteurs et lectrices habitués à une langue plus soignée et à des histoires plus cadrées se sentiront peut-être déroutés. C’est tout l’attrait de cet ouvrage où l’autrice développe un équilibre entre le sujet et la manière de le traiter : un chaos contrôlé entre la banalité des situations vécues lors du voyage et l’exceptionnel emploi d’une langue sans contraintes. Elle joue des limites de la structure et du style avec une pointe de vulgarité et beaucoup de panache, sans jamais tomber dans le cliché de la bassesse – et c’est assez fort.


Catégories
Critique littéraire

Charloose : la folie des glandeurs

Comme son nom l’indique, le premier roman de Nina Pellegrino met en scène deux losers qui décident de se débarrasser de leurs médicaments et de leur flemme pour partir à la rencontre d’Arthur Rimbaud – ou plutôt, de ce qu’il en reste. Fini la glande : place au sublime !

D’aucuns grimaceraient à la vue de ce synopsis, craignant un road-trip stéréotypé, fondé sur la figure du poète maudit le plus connu de la culture française. Or, pas de cliché ici. Si l’autrice aborde des thèmes usés – tels que la santé mentale, l’isolement et l’altérité –, c’est avec regard neuf et au travers de personnages vulnérables et profondément faillibles. Bien loin du Bildungsroman et de ses parcours initiatiques prévisibles, les vagabonds stagnent, alors même qu’ils voyagent de leur hôpital perdu dans les montagnes jusqu’au cimetière glauque de Charleville, en passant par des fêtes nostalgiques du communisme à Berlin.

Le style y est aussi varié que les destinations : néologismes, régionalismes et autres grossièretés recouvrent les pages et parsèment les pensées des personnages. Même si le roman s’avère parfois inégal à cet égard, la langue de l’autrice offre aux deux protagonistes une contenance particulière et au texte une dimension poétique crasse.

Charloose est une ode à la vie banale, celle des bières tièdes et des aires d’autoroutes, celle qu’on ne loue jamais et que le roman nous donne pourtant tort de ne pas apprécier à sa juste valeur. On se laisse volontiers embarquer dans ce voyage magnifiquement moyen qui parle de la folie des grandeurs en racontant celle des glandeurs.