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Critique littéraire

Du mic au roman

Rappeuse incisive, La Gale transforme son flow en prose. Avec Dead Drop, elle signe un premier roman haletant, à la croisée du polar social, de la contre-culture et de la cybercriminalité.

« J’ai une dégaine d’ado et une tête d’Arabe. » Ainsi se présente Raïzo, héroïne solitaire qui vit en marge d’une Lausanne grise et nerveuse. Trentenaire cabossée, elle survit grâce à une culture illégale de cannabis et un réseau de « dead drops » — ces boites aux lettres mortes utilisées pour des livraisons clandestines. Jusqu’au jour où une organisation opaque la propulse dans un jeu d’espionnage aux ramifications globales.

La narration s’ancre dans une langue directe, vive, nourrie d’oralité et de colère, qui porte l’empreinte de son autrice. Le texte impose un rythme soutenu, traversé d’images brutes et porté par la gouaille d’une voix qui refuse de plier. Raïzo incarne à la fois la débrouille quotidienne et une forme de résistance sociale, mais cet équilibre fragile bascule rapidement dans une enquête périlleuse. Le roman interroge la condition de ceux que la société relègue à ses marges, et la ténacité avec laquelle ils refusent d’y disparaitre, même si le récit n’échappe pas à quelques clichés du roman d’espionnage, à un jargon informatique convenu et à une construction un peu heurtée.

Dead Drop offre une fresque moderne où la technologie, omniprésente, devient un véritable champ de bataille : outil d’émancipation pour celles et ceux qui savent s’en saisir, moyen de réinventer des formes de solidarité et de résistance, mais aussi instrument de contrôle, de surveillance et de domination, où s’expose la violence sourde d’un monde hyperconnecté. C’est dans cette tension que La Gale inscrit son geste littéraire : rugueux et imparfait, mais vibrant d’une énergie politique percutante.


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