Dans Les Petites Musiques, Roland Buti compose un récit où l’intime se mêle à l’histoire romande de la seconde moitié du XXe siècle, où les tensions familiales résonnent avec celles d’un village du Jura vaudois marqué par les mutations industrielles. On découvre le quotidien d’une famille recomposée et multiculturelle, en lutte contre ses propres fractures autant que contre celles de la société qui l’entoure. La description du monde industriel vaudois vaut le détour : l’auteur y excelle.
Quant au roman en lui-même, il s’agit d’une histoire peu romanesque, sans dénouement, dont le récit parvient à restituer la relative fadeur et l’impression d’inabouti. Ce parti-pris pourrait conduire à sous-estimer la profondeur du personnage central, Jana, qui est présentée comme une figure insaisissable et silencieuse. La jeune fille aligne en effet des phrases insignifiantes. « Il n’y a rien à dire » : ce constat, si souvent répété, donnerait presque le ton du roman lui-même. Le récit refuse d’expliquer en détail le caractère de Jana, ses désirs ou son besoin irrépressible d’aller toujours vers la nature. Il préfère la voie de l’effleurement, en orientant chaque ouverture vers une manière d’aporie :
— Qu’est-ce qu’il y a ? lui a-t-il glissé dans le creux de l’oreille. — Il y a trop de trop. — Qu’est-ce que tu dis ? — Il y a toujours plus qu’il n’en faut. — De quoi ? — De tout. (p. 80)
Le mystère organisé par le roman autour de son héroïne suscite un profond sentiment de liberté : faut-il tout expliquer ? le peut-on ?
Parfois, cette envie provoque aussi de la lassitude : et si l’on partait soi-même en balade ? Heureusement, le roman nous récupère à plusieurs moments bien choisis : le texte fait état d’une grande maîtrise narrative. On en trouve l’une des clés dans l’épisode où Jana et Ivo jouent avec les boîtes à musique, qu’ils manipulent de façon à retarder leur déclenchement. Les boîtes fonctionnent à la façon d’une métaphore de la mécanique du récit en lui-même, qui se retient jusqu’au bout.