Créer des liens pour mieux collaborer
Alumna de l’UNIL, elle a été sélectionnée pour participer à un programme d’une année -Homeward bound- uniquement destiné aux femmes travaillant dans le domaine des sciences dont le but est de renforcer leur influence et leur impact dans la prise de décisions qui façonnent notre planète. Rencontre avec Suzie Lavoie.
QUI ÊTES-VOUS
- Prénom: Suzie
- Nom: Lavoie
- Diplôme obtenu à l’UNIL: Doctorat en neurosciences (2007)
- Faculté: Faculté de biologie et médecine
VOTRE PROJET DE RECHERCHE
Je suis actuellement employée à l’Université de Melbourne comme chercheuse principale. Je dirige un programme de recherche qui a pour but d’harmoniser la collecte de données dans le domaine de la santé mentale chez les jeunes en Australie.
Pourquoi faites-vous ce que vous faites maintenant?
J’ai toujours été fascinée par le fonctionnement du corps humain, et plus spécifiquement celui du cerveau. Pendant mes études universitaires en Sciences Biologiques, j’ai fait un stage dans un laboratoire de sommeil et j’ai adoré pouvoir « observer » le cerveau à l’œuvre à l’aide de l’électroencéphalogramme.
Pour mes études doctorales, j’ai eu la chance d’être accueillie par le Professeur Kim Do à l’Unité de Recherche sur la Schizophrénie associée au CHUV et à l’UNIL. L’étude du fonctionnement pathologique du cerveau est toute aussi intéressante que celle du cerveau sain, mais ce qui me passionne par-dessus tout est la recherche de traitements dans les phases précoces de la maladie, afin d’empêcher, ou au moins retarder, son développement.
Le but ultime de mon travail est de faire en sorte que les jeunes aux prises avec les premiers signes de troubles mentaux aient accès à de meilleurs soins et qu’ils puissent jouir d’une meilleure qualité de vie. C’est un but très ambitieux et, de toute évidence, inatteignable toute seule.
L’harmonisation de la collecte de données est une bonne façon de créer de larges banques de données nécessaires pour répondre à des questions concernant les changements survenant au niveau neurobiologique chez les gens souffrant de maladies mentales. Pour ce faire, la création et le maintien de bonnes relations de travail avec mes collègues et collaborateurs sont extrêmement importants.
Quelles sont vos convictions, valeurs?
L’une des valeurs les plus importantes pour moi est le respect. Respect de l’autre et de l’environnement, mais avant tout respect de soi. Se respecter est essentiel afin de démontrer la confiance en soi nécessaire pour se définir, s’affirmer et se différencier. Se respecter et respecter autrui constituent les bases d’un bon leader.
Dans le contexte de mon travail, mais aussi dans le domaine de la protection de l’environnement, le travail d’équipe et la contribution de chacun sont des valeurs extrêmement importantes. Faire partie d’un groupe procure aussi à chacun des individus qui le constituent un sentiment d’appartenance. L’individu se sentant reconnu a davantage envie de contribuer au groupe et de donner le meilleur de lui-même, rendant le travail d’équipe d’autant plus efficace.
Enfin, je pense que rares sont les individus qui travaillent et contribuent à un groupe ou une cause par pur altruisme. Il est important que chaque personne éprouve un sentiment d’accomplissement. C’est ce sentiment qui lui permettra d’avoir l’endurance, l’enthousiasme et la confiance en soi pour mener à bien le projet suivant.
Quelle est la raison d’être de votre projet?
En Australie, près d’un adolescent sur quatre présente un diagnostic de trouble mental sévère (dépression, psychose, trouble bipolaire, etc.). Malgré le fait qu’un large éventail de traitements soit disponible, trop de jeunes continuent de souffrir parce que les médicaments offerts ne fonctionnent pas pour eux.
Afin d’améliorer l’efficacité des traitements, nous devons avoir une meilleure compréhension de la maladie et des raisons pour lesquelles la maladie mentale fait souvent son apparition pendant l’adolescence. Quels changements s’opèrent dans le cerveau durant cette période charnière de la vie pour qu’une personne coure davantage de risques de développer une maladie mentale ? Pour répondre à ces questions, nous avons besoin de larges quantités de données, et ceci n’est possible que si les chercheurs et cliniciens dans le domaine de la santé mentale chez les jeunes s’unissent.
Mon projet a pour but de faciliter cette union en fournissant à nos collaborateurs les outils nécessaires pour collecter les données de façon à en faciliter le partage. Le fait d’utiliser les mêmes données pour répondre à de multiples questions de recherche permet aussi de réduire le fardeau porté par les participants à la recherche.
Pourquoi est-ce que vous vous levez le matin?
La réponse facile à cette question est que j’ai un petit garçon de quatre ans plein d’énergie qui se charge de me réveiller tous les matins! Même sans lui, je n’aurais pas de difficulté à me lever pour me rendre au travail, car je crois sincèrement que le projet sur lequel je travaille en vaut la peine. Le fait de participer à une initiative qui entraînera des changements au niveau national est très motivant et excitant. De plus, j’apprécie le contact humain avec mes collègues et collaborateurs, ainsi qu’avec les adolescents et jeunes adultes que nous consultons pour mener à bien le projet en respectant leurs valeurs et priorités.
Pourquoi ce que vous faites intéresse les autres?
Ce que je fais intéresse mes collègues chercheurs car ils se rendent bien compte de l’importance de travailler ensemble plutôt qu’en compétition. Le domaine de la recherche a été compétitif depuis déjà trop longtemps, il est temps de renverser la tendance. En se regroupant pour obtenir les fonds de recherche, on gagne en efficacité, on augmente nos chances d’obtenir des fonds et d’atteindre nos objectifs.
Ce que je fais intéresse ma famille et mes amis car, malheureusement, on connaît tous quelqu’un aux prises avec la maladie mentale, quelqu’un pour qui aucun traitement n’est efficace, quelqu’un qui a perdu le courage ou l’envie de sortir de chez soi.
VOTRE RECOMMANDATION AUX DIPLÔME·E·S DE L’UNIL
Le meilleur conseil que je pourrais donner à la Suzie, étudiante à l’UNIL, est de ne pas cesser de croire en ses capacités. Dans le doute, mieux vaut essayer plutôt que d’abandonner. Car, en réalité, même si la montagne est parfois très haute et raide, elle est rarement insurmontable. L’expérience permet ensuite de conquérir la montagne suivante beaucoup plus facilement et avec plus d’assurance.
LE PROJET HOMEWARD BOUND
Comment avez-vous entendu parler du projet Homeward Bound et pourquoi avez-vous eu envie d’y participer?
Une amie psychologue participe actuellement à la troisième cohorte de Homeward Bound. Seulement deux semaines après avoir commencé le programme, elle m’en parlait avec tant de passion que j’ai eu envie d’en savoir plus. J’ai donc lu le site internet d’un bout à l’autre et j’étais convaincue de vouloir en faire partie avant même d’arriver sur la page qui parle de l’Antarctique! Je n’avais aucune idée si je disposais ou non du profil requis pour être sélectionnée mais j’allais certainement tenter ma chance. Je ne pouvais pas passer à côté de l’opportunité de faire partie d’un réseau de 1’000 femmes partageant les mêmes ambitions et le même respect pour la planète.
Homeward Bound est un projet qui a pour but d’améliorer les compétences en leadership de centaines de femmes afin que nous puissions jouir d’une meilleure visibilité et d’un pouvoir décisionnel plus fort. Le programme a aussi pour but d’aider les participantes à mieux se connaître elles-mêmes afin qu’elles comprennent mieux ce qu’elles ont à offrir. Ma participation à Homeward Bound sera bénéfique tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel.
Quels rêves et/ou quelles ambitions avez-vous envie de concrétiser en participant à ce projet?
J’ai envie de faire ma part pour l’environnement, et le focus du programme sur le réchauffement climatique est très important pour moi. J’espère pouvoir participer à une initiative globale qui aura un impact positif sur la protection de la planète.
Sur le plan professionnel, j’ai beaucoup à apprendre dans le domaine du leadership et Homeward Bound m’aidera à améliorer ma visibilité et mon rayonnement international. J’espère qu’avec mes nouvelles compétences, je pourrai mener à bien mon programme de recherche.
Le programme, d’une durée d’une année, a débuté en novembre 2018. Une fois par mois, les 100 participantes se retrouvent sur le net dans le cadre d’une rencontre structurée. Entre ces rencontres, les participantes sont invitées à faire des devoirs à la maison incluant lectures, discussions et travaux d’équipes. Le programme se termine par un stage de formation intense en Antarctique.
Je rêve de découvrir l’Antarctique et de passer trois semaines avec des femmes exceptionnelles qui ont toutes envie d’améliorer le sort de la planète.
Quelles seraient les deux politiques internationales les plus importantes à vos yeux qui devraient être implémentées?
Si l’on parle de politique internationale, mon attention se tourne directement vers la protection de l’environnement. Ces dernières années, les media sociaux ont attirés notre attention sur les problèmes liés à l’accumulation du plastique dans l’environnement, plus précisément dans les cours d’eau. L’utilisation du plastique dans les emballages devrait être limitée de façon globale. Afin de remédier aux dommages déjà causés par l’utilisation et la mauvaise gestion des matières plastiques, un pourcentage du PIB des pays développés devrait être utilisé pour le nettoyage des vortex de déchets dans le Pacifique, entre autres.
En ce qui concerne la santé mentale, une problématique d’actualité qu’il serait important d’adresser au niveau international est le sort des réfugiés dans les pays d’accueil. Dans bon nombre de pays, incluant l’Australie, les réfugiés sont traités comme des criminels et sont contraints à rester dans des centres de détention pendant des mois, voire des années. L’isolement et les mauvaises conditions de vie présentes dans ces centres sont en partie responsables de l’augmentation du nombre de réfugiés dont la santé mentale se détériore. Ce problème doit être adressé au niveau international.
LEADERSHIP & COLLABORATIONS
Pour vous quelle est la clef pour bâtir des collaborations solides?
Être ouverte aux suggestions et idées de ses collègues et collaborateurs. C’est en groupant les connaissances que l’hypothèse de recherche se peaufine, que les lacunes sont exposées, que le projet devient compétitif auprès des organismes de financement. Il faut aussi se montrer disponible et spontanée. Un potentiel collaborateur se lassera rapidement d’un leader qui n’interagit que sporadiquement ou qui n’initie jamais ou rarement la discussion.
Comment construisez-vous votre réseau et comment l’entretenez-vous?
Je construis mon réseau en m’intéressant au travail de mes collègues et de mes pairs. Je suis curieuse de nature, donc je pose beaucoup de questions, je me montre intéressée et le suis réellement. Mon réseau professionnel se construit depuis le début de mes études universitaires.
Au fil des années, je m’efforce de maintenir des liens avec les chercheurs rencontrés afin de pouvoir les inviter à collaborer lorsque l’occasion se présente, mais aussi pour qu’ils se souviennent de moi lorsqu’ils auront besoin de mon expertise. Bâtir et maintenir des collaborations demande beaucoup d’énergie, mais c’est un travail absolument nécessaire car la plupart des questions de recherche importantes ne trouveront réponse que si les chercheurs s’unissent.
La collaboration est au cœur même de mon programme de recherche et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu participer à Homeward Bound. Les compétences que je vais acquérir au cours de l’année qui vient m’aideront à enrichir les collaborations déjà existantes et à disposer des outils nécessaires pour en créer des nouvelles.
Quelle est votre définition du leadership?
Pour moi, leadership va de pair avec mentorat. Il est important de ne pas seulement conduire, mais bien de guider ses collègues ou partenaires afin qu’ils deviennent leaders eux-mêmes. Un bon leader doit être un excellent communicateur et avoir la confiance nécessaire pour partager ses idées de façon collégiale. Un bon leader doit aussi être à l’écoute. Pour moi, il ne travaille pas dans le but d’assouvir ses propres intérêts, il œuvre pour le bien du groupe, de l’institution, de la communauté, de la population.
En quoi, le leadership d’une femme diffère-t-il de celui d’un homme?
Dans un monde où la majorité des positions de leadership est occupée par des hommes, la femme leader appartient à une minorité. En conséquence, elle est plus sensible aux situations discriminantes envers les autres femmes, mais aussi envers les autres minorités, elle ne tolère pas le harcèlement sexuel et se bat contre l’écart salarial et pour de meilleures conditions de travail pour les familles.
Les femmes tendent à adopter un style de leadership plus démocratique que les hommes. En effet, une femme leader aura tendance à entendre l’avis de tous les participants avant de prendre une décision. La femme leader n’est donc pas toujours aussi efficace que l’homme, mais les décisions qu’elle prend sont plus durables.
Article de Jeyanthy Geymeier, Bureau des alumni, 14 janvier 2019

