Good morning Vietnam!
Entre un job financièrement confortable et le métier de ses rêves, elle a choisi la voie la moins facile et la plus risquée. Portrait d’une femme qui ne regrette pas ce virage à 180°. Marie Rumignagni, diplômée de HEC 2010.
Enfant, quel était le métier de vos rêves?
Je changeais d’avis tous les jours. Je voulais devenir vétérinaire, puis océanographe, ensuite accessoiriste au théâtre, et plus tard médecin-légiste. Mais avec le recul, l’écriture et l’esprit de découverte ont été en quelque sorte les fils rouges de mon enfance. Dès qu’il y avait un journal à faire, ou un travail quelconque de rédaction, j’étais toujours partante.
Quel est votre job actuel?
Je suis assistante de rédaction au Courrier du Vietnam (lecourrier.vn), le dernier média en langue française du pays. Le poste est plutôt varié; je travaille à la fois comme éditrice et correctrice pour les articles du magazine, mais également pour le site web et parfois pour l’émission télé hebdomadaire. Je rédige également quelques articles, donne des formations dans le domaine journalistique et me penche actuellement sur le renouvellement stratégique de la ligne éditoriale.
Vous avez choisi d’étudier à la Faculté de HEC (spécialisation Marketing) par vocation, poussée par vos parents, pour faire comme vos amis?
Je n’avais pas encore une idée précise pour mon futur, j’ai donc opté pour HEC en me disant que cette faculté m’ouvrirait un maximum d’horizons, notamment sur l’international, et que j’allais bien trouver ma voie un jour ou l’autre. Le marketing et le management sont venus naturellement: on y mêle l’humain, le pouvoir des mots et un soupçon d’analyse. J’ai pu découvrir le monde de l’entrepreneuriat et l’idée qu’il fallait défricher et développer des concepts depuis zéro m’a beaucoup attirée. Avec le recul, HEC m’a apporté de bonnes bases pour comprendre le fonctionnement de l’économie, et m’a forgé un esprit rigoureux et analytique – des éléments qui aident dans le domaine du journalisme.
Votre état d’esprit au moment de l’obtention de votre diplôme?
Une sensation d’euphorie; je venais de passer près de 5-6 ans épiques, au cours desquels il a fallu tout donner dès le premier jour, et ne rien lâcher jusqu’à la dernière seconde. En repensant à tout mon parcours – entre le redoublement de la première année, les semaines à bûcher les projets, les heures de permanence au bureau du Comité HEC, mon semestre d’échange en Inde – je m’étais demandé si la suite allait être tout aussi intense, et surtout stimulante.
Que s’est-il passé par la suite?
Je suis entrée chez L’Oréal en 2010, où j’ai travaillé pendant 3 ans comme Cheffe de produit. Je m’occupais de A à Z d’une ou plusieurs franchises, depuis son lancement sur le sol suisse, des campagnes de publicité jusqu’à la gestion du budget, en passant par les analyses stratégiques. Une opportunité en or à l’époque, pour une jeune alumna, et j’appréciais le fait de pouvoir développer de nombreuses compétences au sein d’un seul poste.
Mais vers fin 2013, j’ai décidé de quitter le monde du marketing et des grandes multinationales. Je ne me sentais plus à ma place, et j’avais envie de changer d’environnement ainsi que mon approche à la vie professionnelle.
Cette décision de partir, puis de me réorienter s’est faite progressivement sur une année. Je voulais d’abord changer ma façon de travailler et identifier mes faiblesses pour m’améliorer avec l’aide d’une coach professionnelle. Mais au fil des discussions, elle m’a fait prendre conscience que, finalement, je n’étais tout simplement pas faite pour ce genre de poste. Après une période très intense au bureau, j’ai donné ma démission. J’avais besoin de temps pour clarifier mes idées, dans le calme et c’était la seule solution même si cela paraissait risqué.
Les idées pour la suite sont venues d’elles-mêmes au bout de quelques semaines: pourquoi ne pas me lancer dans le journalisme? Mon seul souci était qu’à 28 ans, sans contacts, il m’était quasi impossible d’être engagée comme stagiaire pendant deux ans dans une rédaction pour ensuite intégrer le Centre de Formation au Journalisme et au Média. J’ai donc opté pour l’Académie de Journalisme et des Médias de l’Université de Neuchâtel, qui offrait un master reconnu sur le plan national et international, et qui intégrait deux stages au sein même des rédactions. Un moyen de mettre le pied à l’étrier, et de réaliser les premiers contacts, même s’il fallait d’abord passer un concours et être sélectionnée sur dossier, ce qui n’était pas gagné d’avance.
J’avais toutes les cartes en main, il me suffisait de me lancer. Je n’avais pas de famille à charge, j’avais le soutien inconditionnel de mon ami, avec en plus un double diplôme d’HEC et une première expérience solide, je ne risquais finalement rien et n’avais rien à perdre. Au pire, je pourrais valoriser ces nouvelles aptitudes dans le «content writing», qui mêle l’écriture avec le marketing, au mieux, je pourrais exercer ce que j’aime faire. Alors je me suis lancée, et j’ai foncé, prête à affronter ce qui adviendrait par la suite.

J’ai calligraphié « Bonheur » en Vietnamien lors de la fête du Têt en janvier 2016.
À mon retour aux études j’étais très enthousiaste et curieuse d’apprendre de nouvelles choses. Mes seules appréhensions étaient la différence d’âge avec les autres étudiants, craintes qui ont vite disparu d’autant plus que nous étions plusieurs à être de la même génération avec un parcours similaire. J’ai eu beaucoup de plaisir pendant ces deux ans, le fait d’être plus mûre dans la manière d’apprendre et d’aborder les matières m’a permis d’être moins scolaire et de me débarrasser de la pression. Finalement, tout est passé si vite.
Du point de vue financier j’ai pu me débrouiller de manière relativement autonome pendant plus d’une année grâce aux économies accumulées lorsque je travaillais pour L’Oréal. En deuxième année, j’ai dû faire une demande de bourse, qui m’a été accordée. En plus de cela, les stages intégrés dans mon master en journalisme étaient un peu rémunérés, ce qui couvrait les frais d’écolage relativement importants, sans compter les petits jobs d’écriture ou de client mystère pour arrondir les fins de mois. Lors de la transition entre la fin de mes études et mon départ pour le Vietnam, j’ai également pu compter sur l’aide de mes parents et de mon copain pour les très gros imprévus.
Pendant mon Master, j’ai aussi eu des moments de doute. D’entendre tous les jours que le secteur du journalisme et des médias est un monde qui change, parfois pour le pire et qu’il n’y a plus rien à faire ou que les conditions de travail sont épouvantables, pouvait parfois questionner mon choix. D’autant plus qu’à 28 ans, on voit ses amis et proches avancer dans leurs carrières, partir à l’étranger, fonder une famille. Je me suis souvent demandée si je n’allais pas droit dans le mur.
Alors j’ai décidé de faire confiance à mon instinct, et à mon sens de l’adaptation. Les règles changent, le paysage médiatique aussi, et il est devenu impossible d’y échapper. Pourquoi ne pas intégrer ces contraintes pour mieux les gérer? Ma recette: rester vigilante, ne pas baisser les bras devant les premiers échecs, et garder un esprit ouvert.
Le doute était aussi présent du côté de mes parents au tout début; ma mère, qui avait été elle-même journaliste, m’avait mis en garde sur la difficulté du métier. Mais de me voir bien dans mes baskets, et ce à peine les études démarrées, les a vite fait changer d’avis, et depuis, ils ne cessent de me pousser. Mon copain a également été à mes côtés dès le premier jour. Je dois avouer que sur ce point, j’ai eu une chance infinie.
Le fait que j’ai persisté dans cette voie est sans doute dû à mon état d’esprit; je ne cesse de lire, de regarder, de m’ouvrir, de me poser des questions, de repousser parfois certaines conceptions. Il y a des moments difficiles, mais dès que l’on ose, j’ai le sentiment que cela va payer un moment ou un autre. Certains de mes amis qui ont pris des décisions tout aussi radicales ont été pour moi une source de motivation supplémentaire, et j’ai été confortée dans mon choix lors de mes deux stages au Temps et à Bilan.
Le retour dans le monde du travail a été assez rapide. Alors que j’étais en pleine écriture de mon travail de mémoire en mai-juin 2015, j’ai cliqué par curiosité sur un lien posté sur Facebook par un ami au sujet d’un poste à l’Organisation Internationale de la Francophonie et je suis tombée sur l’annonce de mon poste actuel.
Je n’ai pas réfléchi à la distance, j’étais attirée d’abord par la nature du poste. Pouvoir toucher autant de domaines dans le journalisme – de l’édition à l’élaboration d’une stratégie éditoriale – est rare. La destination était quelque peu secondaire, mais il est vrai que de démarrer sa carrière professionnelle aussi loin est une très belle opportunité et a été un plus pour peaufiner mon dossier.

Les spectaculaires rizières en terrasse à Sapa au Vietnam, un voyage effectué en juin 2016.
Évidemment, il y a eu beaucoup de discussions autour de ce choix. J’avais peur en premier lieu de me couper du monde journalistique suisse, alors que je n’avais même pas encore démarré ma carrière. Mes camarades auraient en quelque sorte «une année d’avance» sur ce point, certains ayant déjà trouvé un poste. J’avais également des questions sur la façon de valoriser mon expérience à mon retour, sachant notamment qu’il serait difficile d’utiliser mon année à Hanoi pour obtenir la carte de presse. Comment évoluer et progresser dans un environnement où le travail journalistique ne porte pas la même signification qu’en Suisse? Qu’allais-je vraiment apprendre et tirer comme leçons de ce poste? Mais aujourd’hui, je préfère prendre chacun de ces points avec recul. Je ne cesse d’apprendre sur moi, sur mon travail, sur comment tourne le monde, je découvre d’autres points de vue, d’autres histoires. Finalement, c’est ce qu’il y a de plus important pour la suite, et je saurai en temps voulu trouver les bonnes clés pour avancer.
Si c’était à refaire, que changeriez-vous?
Je ne regrette en tout cas absolument rien, et je referais exactement les mêmes choix. C’est sans doute la meilleure décision que j’ai pu prendre, malgré les difficultés. Je ne sais pas encore ce que l’avenir me réserve, mais je préfère aborder les choses avec optimisme et calme. Je verrais bien où cela va m’emmener.
Une chose est sûre, avec mon parcours, j’ai appris avant tout à avoir confiance en mes capacités et mes ressources. Même s’il faut aller chercher les possibilités, parfois au prix d’efforts intenses, au détriment du confort et de la sécurité, même si rien n’est joué d’avance, il faut tout donner. Il faut savoir s’ouvrir sur tout, tant à l’inattendu qu’à l’inconnu, même si les conditions ne sont pas idéales au début.
Si mes conseils peuvent être utiles, je dirais que chaque choix n’est pas entièrement définitif, et qu’il faut parfois faire preuve de patience pour arriver là où on souhaite aller. Il faut apprendre à s’écouter, quoi qu’on dise autour de vous, et donner du temps aux choses pour qu’elles puissent se réaliser. Il faut parfois reculer, et prendre des chemins qui ne semblent pas toujours exaltants au début, quitte à ne pas faire exactement ce que l’on a toujours rêvé de faire. Mais rien n’est inscrit à l’avance, et il faut se faire confiance pour atteindre son but. Chaque pas compte, même les plus petits. Et enfin, s’ouvrir au maximum, parfois à des domaines dont on ne soupçonnait même pas l’existence.
Article de Jeyanthy Geymeier, Bureau des alumni, 14 octobre 2016

