Lucile Bauer

Être en accord avec soi-même

Chant et musique la font vibrer, depuis toute petite déjà. Mais le chemin jusqu’à la réalisation de cette passion a été semé d’embûches. Portrait d’une alumna qui a appris à s’écouter pour réaliser son rêve et vivre de la seule chose qui la porte. Lucile Bauer, diplômée de HEC 2012.

Enfant, quel était le métier de vos rêves?

Je voulais devenir vétérinaire au zoo de Washington, suite à un voyage aux USA avec mes parents. J’adorais l’idée de travailler dans la nature, en plein cœur de la ville, et de soigner toutes sortes de créatures. Sinon j’étais très attirée par le chant, ma passion depuis l’âge de 10 ans. A cause d’un maître d’école tyrannique, je rentrais chez moi stressée. Pour décompresser, je chantais sur les vieux disques soul de mes parents. A force de m’entendre hurler tous les soirs, ils ont fini par m’inscrire à un cours. J’ai tout de suite adhéré; je sortais de là heureuse et détendue.

Quel est votre job actuel?

Je suis chanteuse/compositrice/auteure/productrice sous le nom d’ELBI (de mes initiales LB, elbimusic.com et professeure de chant à Paris depuis 2015. J’interviens également auprès de danseurs et de comédiens à qui je propose d’améliorer leur performance en développant des techniques de respiration ou de pose de la voix.

Vous avez choisi d’étudier à la Faculté de HEC par vocation, poussée par vos parents, pour faire comme vos amis?

Je crois qu’à 17 ans je n’avais pas d’idée précise sur mon avenir. HEC avait une bonne réputation, je me suis dit que le commerce offrirait suffisamment d’opportunités. J’avais également envie de quitter mes parents et ma ville natale (Annecy). J’ai trouvé le campus de Dorigny incroyable. Une fois les études commencées, plus le temps de réfléchir! La pression était telle que la seule chose importante pour moi était de réussir chaque année.

Votre état d’esprit au moment de l’obtention de votre diplôme?

Je n’ai même pas assisté à la cérémonie de remise du bachelor, en raison d’une année d’études à Sydney. Bizarrement, le diplôme avait perdu son importance. C’était juste un papier qui me permettait de poursuivre en master. La publication des notes annuelles me laisse des souvenirs autrement plus forts! Stress total au moment de se connecter sur internet pour vérifier si j’avais bien obtenu un 4. Comme si ma vie entière en dépendait!

Que s’est-il passé par la suite?

Avant de commencer mes études, à l’âge de 16 ans plus précisément, j’ai démarré un projet de guitare voix et composition que j’ai nommé ELBI. Une fois à l’université, ce projet a été mis dans un tiroir en attendant qu’il mûrisse et que j’aie plus de temps pour m’y consacrer.

Pendant mes études, j’ai profité de faire un semestre d’études à Brighton, en 2010, pour perfectionner mon anglais. Il s’est avéré que le fils de ma logeuse avait beaucoup d’amis musiciens, ce qui m’a permis de faire des rencontres intéressantes dont une en particulier avec le producteur Ambassadeurs. Quand je l’ai rencontré, il était dans une école de musique pour devenir producteur, c’est-à-dire compositeur de la musique d’accompagnement des chanteurs. Il avait besoin d’une voix, et nous nous sommes lancés dans une collaboration où j’ai fait mon premier enregistrement studio et la signature de ma première chanson officielle sur Jalapenos Records. Après ses études, il a continué à faire de la musique et a créé son label pour devenir Ambassadeurs. Maintenant il joue dans le monde entier.

L’année suivante, j’ai fait une année d’échange à la University of Technology, à Sydney. Je voulais partir loin et j’étais très attirée par le surf. Cette année à Sydney m’a ouvert les yeux sur le management événementiel grâce à des cours sur le sujet. J’ai donc décidé, après mon bachelor, de poursuivre un master en International Events and Festival Management à Edimbourg, réputée pour être la ville des festivals en Europe. Magnifique opportunité de conjuguer ma passion pour la musique avec le sujet de mes études.

Ces deux ans à Edimbourg furent extrêmement intenses, parce que je combinais études, boulot et même production. Durant ma dernière année, j’ai intensément travaillé m’imposant une pression phénoménale pour finir mes études en beauté. En même temps, je me posais mille et une questions sur mon futur: serait-il possible de trouver du travail après mes études? Dans quelle ville aller? Où trouver la force nécessaire pour me lancer dans la musique?

Pour fuir ces angoisses, je me suis réfugiée dans le travail, mais cela ne m’était d’aucun secours. Je déprimais sérieusement. Pour sortir de là, j’ai commencé des cours de danse House. L’idéal pour me défouler physiquement et décompresser. En mai 2013, j’ai effectué un stage qui s’est transformé en emploi sur 4 mois au Festival Jazz and Blues de Edimbourg en qualité de venue manager. J’étais au centre de toute l’activité du festival: je m’occupais des artistes, recrutais les bénévoles, assurais la logistique du concert, coordonnais la pose de la déco, organisais le flux des gens à l’entrée ainsi que la billetterie. Parallèlement, j’ai repris mon projet ELBI en entamant la production électronique, la composition et des scènes en solo. J’ai même pu donner un premier concert dans le cadre du Festival FRINGE d’Edimbourg, ce qui m’a confortée dans ma volonté de me lancer dans la musique.

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En live / Glazart Paris (Août 2016)

J’ai fini mon master, major de ma promotion, en septembre 2013. Soulagée d’avoir terminé, j’ai pris conscience que je n’en pouvais plus des études. J’avais grand besoin de m’extérioriser dans des projets en lien avec la musique, la production, la composition et la danse. C’est là que je pouvais montrer ma personnalité et exprimer mes émotions. J’ai aussi remarqué que l’écriture et la composition des chansons me permettaient de régler des choses personnelles dans ma vie.

Un jour, j’ai pris conscience de ma frustration à chaque fois que je voyais des artistes sur scène. Je voulais être à cette place. Assez d’événementiel, j’avais besoin de créer et de partager ma musique avec un public. J’ai donc repris, plus sérieusement, mon projet musical ELBI et suis allée tenter ma chance à Paris. Paris, dont la culture ressemblait à la mienne, me demandait moins d’effort d’adaptation et me permettait de me rapprocher de ma famille qui me manquait.

Ma première année dans la capitale française a été difficile: je ne contrôlais rien. Je rattrapais toutes les soirées manquées durant mes années d’études.  Musicalement, je ne savais pas où aller ni à qui m’adresser; c’était la libération mais dans un flou total! J’ai beaucoup traîné dans les Jams Sessions jazz soul groove parisiennes pour me familiariser avec le milieu musical parisien. J’ai également fait beaucoup d’improvisation (qui m’est très utile aujourd’hui).

Mon premier EP* ELBI Running away est sorti en 2014. Ensuite, j’ai eu envie de monter un groupe. L’avantage d’un groupe c’est l’énergie. Quand on est seule et que le public n’est pas très réactif, il faut énormément d’efforts pour garder la motivation. Avec un groupe, l’énergie reste constante. J’ai donc monté le groupe Herd Of Soul.

J’ai beaucoup appris avec ce groupe mais je m’y suis aussi perdue. J’étais larguée musicalement et manquais totalement de confiance en moi, influencée et même blessée, par les remarques et critiques que chacun s’autorisait à me faire.

Par ailleurs, impossible de composer pour mon projet ELBI et de développer en même temps des projets avec le groupe; cela demandait trop de ressources financières et une implication humaine trop importante.

Puis, en 2015, j’ai repris pied et la rigueur est revenue progressivement (Wake up). Dans le courant de l’été, j’ai pris la décision difficile de dissoudre le groupe qui ne me convenait plus. Je voulais me consacrer exclusivement à mon projet personnel.

A travers cette expérience, j’ai appris à prendre le temps et à écouter mes envies. J’ai compris que mes idées avaient de la valeur, que l’opinion des gens à mon sujet ne me définissait pas et que je pouvais cesser de me mettre des barrières là où elles n’existaient pas.  J’ai été très inspirée et aidée par le livre de Julia Cameron «Libérer votre créativité». Elle explique que l’acte de création est un passage et qu’il est indépendant de notre volonté. Aujourd’hui, je suis moins perfectionniste, et, je suis fascinée de constater que mes créations me correspondent encore mieux.

Après avoir travaillé sur mes morceaux, j’ai reformé un duo live avec Axel Rigaud. C’est donc en 2016 que le projet ELBI a vraiment pris son envol: premiers concerts avec le nouveau format ELBI, enregistrement de mon deuxième EP (Colourful Shores, Clip On a Wave of Light, Improvisation Made from scratch #1) et signature chez Animal Records (Paris).

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Pochette de l’EP Colourful Shores

J’ai enfin trouvé ce qui me correspond. Aujourd’hui, je fais de la musique à plein temps, je commence à me stabiliser financièrement (je n’ai pas choisi la facilité) et je donne des cours/stages de chant. Mais surtout, je suis heureuse!

Si c’était à refaire, que changeriez-vous?

Très franchement: rien! Je me suis souvent posé la question parce que n’ayant pas étudié au conservatoire, je ne me sentais pas crédible dans le monde de la musique. J’ai souvent entendu: «tout ça pour en arriver là». Car mon parcours inspire de l’admiration, de l’envie, de la jalousie et de l’incompréhension voire même de la peur. J’ai choisi de quitter une pseudo «sécurité» pour plonger dans l’inconnu. Cela implique de s’écouter soi-même. Or, bien souvent les gens qui refusent de s’écouter adoptent une attitude étrange envers ceux qui, comme moi, sortent des sentiers battus. Du moins c’est mon ressenti.

J’ai eu des doutes, donnant raison à ces personnes et pensant que la vie serait sans doute plus facile si j’avais suivi une voie plus classique. L’envie de tout plaquer me prenait parfois quand Paris devenait trop lourd, que rien ne fonctionnait et que les réponses attendues ne venaient pas. Alors je rêvais de partir à la campagne pour élever des chèvres.

Malgré tout, j’ai persisté, parce que je me suis rendu compte que de faire de la musique n’est pas juste une lubie, mais un besoin vital pour moi. A chaque concert, tous les doutes disparaissent et je me sens parfaitement à ma place.

Mon Master en HEC m’a énormément apporté: j’ai des amis géniaux dans le monde entier, je suis productive et peux travailler des heures d’affilée, j’ai acquis des connaissances (en stage ou durant mes études) qui me sont très utiles dans mes projets musicaux où il faut savoir être à la fois artiste et entrepreneur.

Les voyages effectués durant mes études ou lors de mes vacances–à Tahiti, au Royaume-Uni, en Australie, au Sénégal, au Maroc, au Japon–ont aussi été extrêmement bénéfiques: ils m’ont ouvert l’esprit, ont développé mes facultés d’adaptation, m’ont permis de maîtriser l’anglais couramment rendant l’écriture et l’interprétation des chansons bien plus aisées. J’ai pu rencontrer et découvrir des artistes de différents horizons avec qui j’ai échangé, collaboré, de qui j’ai appris, dont je me suis inspirée.

Pour moi, réussir en tant qu’artiste c’est surtout savoir respecter son intégrité et rester fidèle à soi-même. C’est aussi exercer non pas un mais dix métiers. Il faut non seulement développer sa créativité mais aussi savoir gérer son temps de façon à éviter de s’étouffer et rester créatif. Ensuite, l’industrie de la musique exige que l’artiste soit tout à la fois manager, producteur, tourneur, community manager, directeur artistique, chargé de relations publiques, graphiste, ingénieur du son…

Mon souhait pour la prochaine étape de ma carrière est d’entamer une formation d’art thérapie par le chant, ce qui est tout-à-fait compatible avec le fait d’être artiste.

Le chant est plus qu’un simple instrument: c’est un ensemble d’énergies et de vibrations qui soignent, donnent confiance, recentrent, déstressent et épanouissent. Une performance artistique et un cours sont très similaires car les deux ont un même but: faire ressentir à l’autre des émotions. L’art thérapie, le Yoga du son, la méthode Feldenkrais, toutes ces méthodes sont des techniques alternatives d’apprentissage du chant qui visent à développer la voix en corrélation avec la psychologie.

Nous vivons dans une société où le travail et la vie de tous les jours sont très stressants. Il faut toujours aller plus vite, être le plus beau, avoir le plus de «j’aime» sur Facebook, être le plus riche, le plus connu, le meilleur dans son travail, etc. Nous sommes en permanence dans la comparaison et la productivité… Nous avons absolument besoin de soupapes de décompression et de possibilités de nous écouter, de ressentir, de nous recentrer afin de revenir à la chose primordiale: être en accord avec soi-même.

Retrouvez le site de Lucile Bauer: lucilebauer.myportfolio.com

*Un extended play, souvent appelé EP est un format musical plus long que celui du single mais plus court qu’un album. Un EP contient généralement quatre plages, pour 10 à 15 minutes de musique. (Wikipedia)

Article de Jeyanthy Geymeier, Bureau des alumni, 24 avril 2017