Kerria Grize

Les terrains de jeu de Kerria Grize

À 34 ans, la géographe-urbaniste, spécialiste en analyse spatiale, a toujours exploré son monde en changeant de focale. Non pas par indécision, mais pour étancher sa soif de curiosité. Un regard singulier qu’elle a aiguisé en architecture à l’EPFL, puis au fil de son cursus en géographie humaine à la Faculté des géosciences et de l’environnement (FGSE) de l’Université de Lausanne.

De l’infiniment petit à l’immensément grand, Kerria Grize est une femme d’échelle. C’est ainsi qu’elle observe depuis toujours son environnement, n’hésitant pas à changer de focale jusqu’à trouver la bonne distance d’observation. Une profondeur de champs que la géographe-urbaniste de 34 ans, spécialiste en analyse spatiale, semble avoir trouvé au sein de la société d’analyses géographiques MICROGIS dans laquelle elle travaille depuis bientôt quatre ans. Pourtant, Kerria Grize n’a pas toujours vu très clair. Ou du moins, elle s’est donnée le temps et les moyens d’explorer son monde, avec diverses paires de lunettes. Non pas par indécision, mais pour étancher sa soif de curiosité.

Avant de devenir Lausannoise, Kerria Grize a d’abord grandi à Genève. Une scolarité classique, sans accrocs jusqu’à la maturité. À l’époque, malgré une année sabbatique en Nouvelle-Zélande, elle pense encore que la géographie rime «avec l’apprentissage du nom des capitales», ironise-t-elle. Elle comprendra vite son erreur. À son retour de voyage, la Genevoise est devant le choix de tous les possibles. Elle décide d’abord de s’inscrire en architecture, à l’EPFL: «Je ne connaissais rien au métier d’architecte; je n’avais aucun proche dans le domaine. J’ai fait ce choix par curiosité dans l’idée de réunir mon côté scientifique et créatif.» Elle fera trois ans en architecture, jusqu’à la deuxième année: «Je vous laisse faire le calcul», sourit-elle. L’architecture la passionne, «mais j’ai vite senti que ce n’était pas l’échelle qui me convenait le plus. Je ne me reconnaissais pas non plus dans la culture d’entreprise des bureaux d’architecture.»

En revanche, Kerria Grize s’enthousiasme pour les cours d’urbanisme. Deux petites heures hebdomadaires seulement dans son cursus en architecture, qui la confortent dans son choix: «L’idée d’observer la ville à l’échelle macro m’attirait davantage, poursuit Kerria Grize. Tout est une question d’approche. L’architecture s’oriente vers l’objet; l’urbanisme, par la géographie, s’intéresse à la manière dont l’humain s’approprie et vit son environnement et son espace.» La jeune femme poursuit en architecture tout en ouvrant l’oeil sur d’autres filières qui pourraient répondre à ses désirs. Elle trouve son bonheur du côté de l‘Université de Lausanne et sa Faculté des géosciences et de l’environnement (FGSE). Nous sommes en 2014, Kerria Grize entame un bachelor en géographie humaine.

Ce choix sera le bon. Tout au long de son cursus à l’Unil, Kerria Grize n’abandonne pas ses doutes, mais ne cède pas à l’anxiété d’anticiper l’avenir hors des auditoires: «Je me suis toujours posé des questions. J’ai toujours observé ce qui se faisait ailleurs; hors de mon quotidien. Très tôt, j’ai donc eu la conviction que j’allais trouver ma place dans le monde professionnel. Les études nous apprennent à apprendre. En aucun cas, nous sommes des produits finis.» D’ailleurs, Kerria Grize n’est pas de ces personnes qui se définissent par un métier ou des études. La trentenaire est une touche-à-tout. Elle a besoin d’ailleurs et de nourriture qu’elle puise dans ses passions et ses autres intérêts. À l’instar de la natation qu’elle a repris en 2021, après douze ans de pratique en club. Et puis il y a aussi le graphisme, le design…

Une fois diplômée de l’Université de Lausanne en 2021, Kerria Grize fait le grand saut dans le monde professionnel par un stage en aménagement du territoire et mobilité au sein de l’Agglomération de Fribourg. Puis elle décroche un contrat au sein de MICROGIS où elle peut exercer son esprit analytique et technique: «Je m’attaque notamment aux données quantitatives pour réaliser des diagnostics en amont qui serviront ensuite à l’élaboration d’une planification territoriale. Cela me permet d’observer le territoire par le biais de la donnée; d’objectiver les choses; de prendre le recul au-delà du filtre de mes lunettes d’urbaniste bobo lausannoise», caricature-t-elle. Mais il faut laisser une part organique à l’aménagement. Mon rôle est aussi d’offrir un socle à la vie; de mettre en place les conditions propices à ce que la population s’approprie les lieux.»

À l’heure où une initiative UDC veut limiter la population suisse à dix millions d’habitants et que les esprits s’échauffent sous la pression démographique, comment voit-elle la récupération émotionnelle de son métier? «En soi, les données, cela reste très objectif. Il est par contre crucial de lever toute ambiguïté sur leur interprétation. Ce qui peut être frustrant, c’est lorsque le choix d’étude est pertinent, que les analyses sont correctement faites, mais que les conclusions sont hasardeuses. Le lien entre la statistique et la prise de décision; entre le chiffre et le fonctionnement de notre société n’est pas toujours compris, parfois par le politique, parfois par le chercheur lui-même. Il ne faut donc jamais perdre de vue notre devoir d’éthique et de rigueur scientifique vis-à-vis de la donnée de base pour éviter qu’elle soit récupérée à mauvais escient.» Preuve que l’urbanisme exige aussi de la pédagogie et de la patience.

Lausanne, le 15 décembre 2025

Article de Mehdi Atmani
Portrait de Kerria Grize © Felix Imhof