Quand l’infirmière devient photographe-thérapeute
Elle a su marier son métier d’infirmière, ses études à l’Unil et sa passion pour la photo en créant un métier à la carte dont le fil rouge est l’humain. Portrait de Anne Voeffray, diplômée de SSP 2008.
Enfant, quel était le métier de vos rêves?
Enfant, je n’avais pas de rêves personnels, si ce n’est peut-être celui de devenir princesse… Je passais mon temps à lire, m’ennuyer à l’école, rêver et regarder les clientes de ma mère (qui était couturière) s’admirer dans le miroir lors des séances d’essayages. Ma mère, par contre, avait pleins de projets pour moi: elle rêvait que je devienne concertiste, critique d’art, avocate ou chirurgienne… L’autoroute semblait tracée!
Quel est votre job actuel?
Je pratique depuis plus de vingt ans la photographie (www.annevoeffrayphoto.ch) et j’enseigne la sociologie en lien avec l’image dans différentes hautes écoles supérieures. J’accompagne également les personnes désireuses de développer une introspection grâce à l’outil photographique.
Formée en photographie thérapeutique (partie méconnue de l’art-thérapie), je propose une approche individuelle et collective que j’appelle «photo révélation de soi». Nous travaillons à partir de photographies existantes ou créées par le participant ou moi-même. La puissance de ce processus de co-création provient du fait que l’on travaille sur un plan symbolique, tout en étant ancré dans la réalité. Par exemple, nous pouvons prendre une photographie existante du participant, la commenter, puis la compléter par un dessin en y intégrant les sensations, pensées et émotions. Ensuite on recrée cette image symbolique dans la réalité en effectuant un portrait photographique, révélant son moi intérieur. Nous pouvons également partir en balade et effectuer des portraits qui mettent en lumière les différentes facettes de la personnalité du participant ou encore travailler sur des thématiques en groupe, telles que «FéminitéS», «MasculinitéS», «Vieillissement».
Vous avez choisi d’étudier à la Faculté de SSP (sciences sociales) par vocation, poussée par vos parents, pour faire comme vos amis?
Je n’ai pas commencé mon parcours par un cursus universitaires. J’avais choisi de travailler en tant qu’infirmière.
Après mes études en soins infirmiers, j’ai travaillé trois ans dans les soins psycho-sociaux et aimais surtout la relation avec les patients. Par contre, les institutions ne privilégient malheureusement plus tellement celle-ci et sont peu disposées à prendre en compte le regard critique des professionnels des soins. Cette discrépance entre la formation et la réalité du terrain rend, selon moi, le métier passablement inintéressant et ingrat. Il y avait aussi un aspect répétitif qui faisait qu’après une année en diabétologie, je commençais à m’ennuyer et me suis engagée dans le service de santé de la FAREAS*.
Une année plus tard, j’ai repris un poste de responsable d’équipe impliquant le fusionnement des équipes de soin du grand Lausanne, ainsi que d’importants enjeux politiques et sanitaires. J’avais accepté ce challenge car j’étais curieuse de participer à la direction et avais l’espoir (idéaliste) d’améliorer par là les fonctionnements institutionnels… dysfonctionnels! Bien entendu, les choses ne se sont pas passées si simplement et j’ai donné ma démission.
L’ennui et la révolte que je ressens généralement assez rapidement – dans les institutions qui attendent de leurs employés de n’être que de simples exécutants – est également propre à mon fonctionnement et à ma personnalité. Arrivée à ce stade, j’ai ressenti le besoin d’aller plus loin dans ma formation. Mon diplôme d’infirmière m’offrait un métier. Mais je savais, dès le début de cette formation, que je poursuivrai des études ailleurs. Avec l’aide d’une conseillère en emploi, j’ai décidé de me former en sciences sociales.
Je n’essayais pas de changer de voie en m’inscrivant à la Faculté des SSP, j’avais, au contraire, l’objectif bien précis de compléter ma formation dans les soins d’un point de vue plus théorique, en choisissant la moitié de mes cours à option en lien avec le système de santé et la relation entre les patients et les professionnels de la santé. Comme j’ai toujours été passionnée par l’art et notamment de photographie, j’ai également choisi tous les cours concernant la sociologie de l’art, de la communication ou de l’image.
Votre état d’esprit au moment de l’obtention de votre diplôme?
Ma licence ès sciences sociales en poche, je me suis dit: «Très bien, mais que faire de cela?» Je n’avais pas un nouveau métier, mais une ouverture différente, un regard (encore…) plus critique sur le monde et ses institutions! Puis, j’ai reçu une offre pour effectuer une thèse financée partiellement par le FNS**. Ayant un enfant en bas âge à cette époque, j’ai postulé. Cette proposition me permettait de concilier ma vie familiale et de poursuivre ma formation, tout en étant rémunérée.
Que s’est-il passé par la suite?
Après ma thèse (que je n’ai pas terminée pour des raisons diverses et complexes, liées à la recherche pluridisciplinaire en elle-même, à l’arrêt du financement, au deuil de ma mère, suivi d’une rupture dans ma vie personnelle), la passion que j’avais pour la photographie a pris une place de plus en plus centrale dans ma vie.
Ayant beaucoup perdu, je devais compenser cela, pour mon fils et pour moi-même. Personne ne pourrait m’enlever cette passion qui me nourrissait et qui continue encore aujourd’hui de me nourrir. Elle est toujours là, dans les bons, comme dans les moins bons moments, et m’aide à traverser les épreuves en restant forte. J’ai réalisé que la recherche en sciences sociales ne me rendait pas assez vivante. Cette période difficile dans ma vie m’a permis de me recentrer sur ce qui était vraiment vital pour moi.
De photographe amateure, je suis passée professionnelle, encouragée par des photographes – qui m’ont reconnue comme une des leurs – à poursuivre ma quête grâce aux mandats qui m’ont été confiés, à travers diverses expositions en galeries, grâce à des collectionneurs qui ont acheté mes travaux, et à des articles proposés par un critique d’art, etc… Peu à peu, je me suis fait connaître et j’ai ainsi pu exposer mes travaux dans différents lieux, dont la Galerie de l’Univers à Lausanne, où je suis artiste permanente. En 2014, j’ai été invitée par le Musée de l’Elysée à Lausanne et par Open Show Switzerland à Genève à projeter mes films photographiques. Dernièrement, j’ai réalisé un ouvrage intitulé «MAGMA» qui a vu le jour fin 2016.

Couverture du dernier ouvrage de Anne Voeffray, « MAGMA », sorti en décembre 2016.
Ces diverses rencontres m’ont donné confiance dans ce choix de vie radical sans que j’aie eu besoin de m’autoproclamer «photographe». Ce sont les professionnels de l’image, ainsi que les clients eux-mêmes qui m’ont nommée photographe. Tout comme ma formation en sociologie de l’art, ces rencontres m’ont également guidée dans mon positionnement dans le monde artistique. Je n’ai, par exemple, jamais accepté de payer pour exposer mon travail et ai toujours collaboré avec de «vrais galeristes». Parallèlement à divers mandats photographiques privés et institutionnels, j’ai exploré plusieurs voies artistiques, notamment les autoportraits.
Suite à ces belles reconnaissances vis-à-vis de mon travail, j’ai éprouvé le besoin de me former à la photographie, non pas du point de vue technique ou conceptuel, mais par rapport à la signification de faire des photos et à l’affirmation de mon écriture photographique. J’ai donc effectué un Master class de photographie à Paris.
Parallèlement au développement de ma pratique artistique, l’idée d’intégrer la photographie à mes diverses formations a germé. Là encore, ce n’est donc pas vraiment un changement de cap. La nécessité impérieuse de photographier m’a conduite à fusionner et allier la pluralité de mes compétences à ma passion pour la photographie, tant dans l’enseignement que dans l’accompagnement de personnes avec la «photo révélation de soi». Que ce soit dans mon travail d’accompagnatrice, d’enseignante ou d’artiste, l’observation des êtres et du monde, ainsi que la relation à soi et aux autres sont mes fils conducteurs.
Si c’était à refaire, que changeriez-vous?
Rien ! La richesse de ce parcours est un cadeau d’évolution personnelle permanente et m’ouvre, non seulement à moi-même, mais à des rencontres magnifiques…
J’encourage les diplômé·e·s de l’Unil à multiplier les expériences, les voyages – dans la vraie vie ou à travers la littérature, le cinéma, etc. – ainsi que les rencontres, durant leur formation et après. Et de suivre leurs passions, développer leur créativité et la connaissance de soi.
Je dois mon parcours à mon fonctionnement personnel, mélange de curiosité pour différents domaines, désir de liberté et ténacité face aux difficultés, notamment lorsque l’on est une femme. Mon directeur de thèse, le professeur Francesco Panese m’avait suggéré de fusionner mes domaines de compétences et d’intérêts, plutôt que d’en exclure certains ou les hiérarchiser… J’ai suivi son conseil, comblant ainsi mon besoin de diversité et d’originalité. Il s’agit donc aussi d’accepter son grain de folie!
* FAREAS = Fondation vaudoise pour l’accueil des requérants d’asile, renommée EVAM (Etablissement vaudois d’accueil des migrants) en janvier 2008.
** FNS = Fonds national suisse de la recherche scientifique, fondation suisse de droit privé fondée en 1952 et dédiée à l’encouragement de la recherche.
Article de Jeyanthy Geymeier, Bureau des alumni, 16 janvier 2017

