Angelo Gervasi

De la gelateria familiale à la microfinance

Il y a plus de quarante ans, Angelo Gervasi, alors sur le point de commencer ses études en gestion d’entreprise (HEC, 1983), offrait aux lausannois la première Gelateria Veneta. En 2020, sa faim d’entreprendre l’a poussé à créer la Fondation Angelo Gervasi, spécialisée dans la microfinance. Portrait d’un multientrepreneur.

Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir entrepreneur?

La volonté d’être acteur d’un projet familial. C’est tout naturellement qu’à l’âge de dix-neuf ans, j’ai décidé de poursuivre le projet entrepreneurial de mes parents, avec qui j’allais chaque année vendre des glaces en Italie. J’ai donc acheté une petite machine et proposé mes glaces dans une vitrine du Chalet des Bains, en 1978, à Vidy.

Il était important pour moi de reproduire le modèle de réussite managériale de mes grands-parents maternels, créateurs de la première Gelateria Veneta en Toscane, en 1935. Depuis de nombreuses années, mes parents souhaitaient reproduire en Suisse le modèle d’affaire de la production et de la commercialisation de glaces artisanales à l’italienne.

Au bout de dix ans, j’ai remis l’entreprise à mon frère, puis j’ai enseigné l’économie dans le secteur public et privé. Il y a deux ans, j’ai réalisé que je voulais laisser une trace, pas juste un compte bancaire, grâce à la Fondation Angelo Gervasi.

Êtes-vous né dans une famille d’entrepreneur·es?

Depuis 1935, mes grands-parents étaient producteurs de glace, en Italie et c’est ma mère qui m’a transmis les recettes. Mes parents géraient un petit hôtel historique, mais ont dû fuir l’Italie après une faillite en janvier 1960. J’ai été marqué par mon père, il était dans les bersaglieri, une unité de soldats qui se déplacent toujours au pas de course. Cela m’a appris à ne jamais m’arrêter. 

Être entrepreneur est dans mon ADN, il n’y a pas de frontière nette entre ma vie professionnelle et privée, je ne déconnecte jamais complètement.

Quelle était votre situation personnelle au démarrage de votre projet? Quel soutien vous ont apporté vos proches?

Ma famille et moi descendions chaque été en Toscane pour la saison des glaces. L’été de 1977, je ne suis pas allé à Marina di Massa et à Forte dei Marmi avec mes parents. J’ai transformé mon studio en laboratoire de glaces. J’avais dix-sept ans et je me souviens avoir défendu un crédit d’investissements de 100’000 francs auprès de la Banque Vaudoise de Crédit.

J’ai continué cette petite affaire quelques années, secondant  mes parents. Comme elle avait du succès, j’ai proposé à mon frère de lui apprendre le métier et de me retirer petit à petit de la gestion courante de l’entreprise au bout de vingt ans. Il a accepté et gère toujours l’entreprise qui s’appelle maintenant l’Artisan Glacier et dont je suis le président.

Décrivez votre projet en deux phrases

Depuis 2020, mon projet principal est celui de la mise au monde de mon « enfant »: la Fondation Angelo Gervasi, active dans le domaine de la microfinance. Elle octroie des microcrédits intégrant des valeurs éthiques en lien avec la durabilité, l’Agenda2030 et des projets innovants, par des levées de fonds destinées au monde de l’entreprenariat en Suisse, en Europe et en Afrique. Le site provisoire de ma Fondation – créé par une équipe de la Junior Entreprise HEC Lausanne – est déjà en ligne.

Quel est le trait de votre caractère qui s’est révélé le plus précieux pour vous lancer dans cette aventure?

La flexibilité et ma capacité à rebondir quelle que soit la situation.

Quel était votre pire cauchemar au début? Et aujourd’hui?

Je ne crois pas avoir vécu de cauchemar, sauf quand nous avons frôlé la faillite avec la Gelateria dans les années 1990, parce que ma mère avait investi dans du matériel de production au-dessus de nos moyens. 

Une tâche totalement saugrenue que vous avez dû effectuer à une étape ou l’autre du processus

Pour résoudre le problème de la saisonnalité du marché des glaces, j’avais essayé sans succès d’importer des crevettes et crustacés congelés puisque que nous savions contrôler la traçabilité de la chaîne du froid. Cela nous aurait permis d’une part d’avoir des ressources financières en basse saison, et de l’autre, nous aurions pu proposer une offre complémentaire aux nos clients restaurateurs qui achetaient nos glaces.

Une activité à laquelle vous avez dû renoncer depuis que vous êtes à la tête de votre entreprise

La musique. J’avais commencé le violon à cinq ans et, à onze ans, j’ai commencé le violoncelle jusqu’à rejoindre des classes semi-professionnelles en tant que soliste au Conservatoire de Lausanne. Mais un jour, j’ai découvert que j’avais échoué ma première année à la faculté des HEC d’un demi-point, parce que je consacrais trop de temps à ma musique et au lancement de la Gelateria Veneta. J’ai dit arrivederci à mon violoncelle et depuis quarante ans, je ne l’ai plus touché. J’ai dédié toute mon énergie à la Gelateria Veneta et à mes études.

Le défi que vous avez relevé et qui vous fait bomber le torse quand vous y pensez

Je crois que j’ai une revanche à prendre sur la vie. Enfant, étant un petit Italien en Suisse, j’ai énormément souffert de harcèlement, à tel point que j’ai commencé à bégayer. Je n’ai pas pu bénéficier de séances avec une logopédiste, j’ai dû surmonter cela tout seul et j’y suis parvenu. J’en suis très fier.

Il y a deux ans, j’ai fait un malaise. En me réveillant, je ne savais plus où j’étais, c’était très inquiétant. Alors je me suis dit : je veux laisser une trace, pas juste un compte en banque. J’ai connu la pauvreté et évidemment, la microfinance a un rapport avec cette dernière et avec les gens à qui tout n’est pas donné à l’avance. C’est comme cela qu’est née ma fondation.

Une journée «noire». Rien ne va comme prévu. Quelle est votre recette pour rester positif?

Je travaille encore plus. Ça m’aide à me focaliser sur un objectif plutôt que de broyer du noir.

Que vous ont apporté ces aventures?

Elles m’ont permis de me confectionner une « cuirasse » pour faire face à la pression que suscitent le lancement et la croissance d’une entreprise. Chaque partie du chemin à parcourir pour gagner m’anime, je ne m’ennuie jamais. Pris d’une sorte d’ivresse positive, j’avais par exemple osé transformer mon studio en minuscule laboratoire de glaces artisanales. J’élaborais des parfums sur la base des recettes que ma Mamma Firma m’avait écrites à la main.

Avez-vous une devise que vous souhaiteriez partager?

 Je n’ai pas de devise, si ce n’est de toujours avancer en gardant la tête haute. L’essentiel, c’est l’endurance et la persévérance.

Article de Céliane de Luca, Bureau des alumni, 2 juin 2021