Elles sont belles, appétissantes, et incitent à la cueillette. Pourtant, les plantes sauvages peuvent être dangereuses. Elles provoquent même huit à dix fois plus d’intoxications que les champignons. Et menacent surtout les enfants. Spécialiste renommé de phytochimie et professeur honoraire de l’UNIL, Kurt Hostettmann invite à la prudence.
La saison s’y prête. Rien n’est plus tentant, lors des longues promenades en plaine ou en montagne, que de cueillir des feuilles pour accommoder salades et sauces, ou de goûter à ces baies rouges ou noires qui ressemblent tant aux myrtilles ou aux cassis. Des plantes, on ne se méfie pas. Et l’on a tort. Car les confusions sont fréquentes et le danger guette.
Dans la plupart des pays européens, «les intoxications provoquées par les plantes sont environ huit à dix fois plus nombreuses que celles occasionnées par les champignons», souligne Kurt Hostettmann, directeur du laboratoire de pharmacognosie et phytochimie de l’Ecole de pharmacie Genève-Lausanne. Il suffit de consulter les statistiques du Centre suisse d’information toxicologique à Zurich pour s’en convaincre: en 2003, l’institution a recensé 2601 cas d’intoxications par les plantes contre 327 seulement par les champignons; l’année suivante, les chiffres s’élevaient respectivement à 2786 et 433!
Contrairement à une idée fort répandue, «tout ce qui est naturel n’est pas forcément bon, constate le professeur. Les poisons les plus violents se trouvent dans la nature et aucun produit artificiel n’atteint le degré de toxicité que possèdent certaines substances naturelles.» Les plantes sont, elles aussi, concernées. Si certaines d’entre elles possèdent d’indéniables propriétés médicinales, d’autres – ou parfois d’ailleurs les mêmes – renferment des toxines néfastes, voire mortelles. Kurt Hostettmann tient à le faire savoir et c’est d’ailleurs pour cela qu’il vient de consacrer un livre aux plantes toxiques et à leurs effets néfastes sur notre santé.
Principales victimes: les enfants
L’ouvrage s’adresse à tous les cueilleurs du dimanche, et tout spécialement aux parents. «Les principales victimes des intoxications par les plantes sont les enfants» – en 2004, 2189 d’entre eux en ont souffert, contre 597 adultes – «alors que les principales victimes d’intoxications par les champignons sont des adultes.»
Cela n’a rien d’étonnant: les bambins ne sont guère attirés par les champignons et, s’ils en consomment, c’est parce que leurs parents les mettent dans leur assiette. En revanche, les enfants sont fascinés par les plantes, et tout particulièrement pas les fruits. Qu’ils repèrent des baies luisantes, et ils les ingurgitent aussitôt.
Ils risquent ainsi de manger les fruits de belladone qui ressemblent à des cerises noires, mais sont toxiques, ou encore ceux du bois-gentil qui, «malgré son nom, n’est pas gentil du tout». Les tout-petits sont encore plus exposés, eux qui aiment porter à leur bouche tout ce qu’ils trouvent – non seulement les fruits qui sont à leur portée, mais aussi les feuilles ou les tiges, y compris celles des plantes d’appartement.
Dangereuses méprises
Les adultes ne sont toutefois pas à l’abri des erreurs. D’autant que certaines plantes toxiques ressemblent à s’y méprendre aux plantes comestibles. Il faut par exemple être un fin observateur pour distinguer les feuilles de l’ail des ours, au goût de ciboulette fort plaisant dans les salades, de celles du colchique d’automne qui, elles, sont toxiques.
De la même manière, il est aisé de confondre la gentiane jaune, utilisée pour fabriquer de l’eau-de-vie, avec le vératre, qui provoque nausées et vomissements. La méprise est aisée car «ces deux plantes poussent souvent dans le même milieu, côte à côte», précise Kurt Hostettmann. Pourtant, les feuilles de la gentiane sont opposées, tandis qu’elles sont alternées sur la hampe florale du vératre. Mais encore faut-il le savoir.
D’Alexandre le Grand à Van Gogh
De tout temps, les plantes ont été utilisées comme poisons. L’un des exemples les plus célèbres est la fameuse ciguë que Socrate fut condamné à boire et qui le tua. En fait, «cette plante n’est pas si toxique que cela, précise Kurt Hostettmann. Il faut vraiment en consommer de fortes doses pour mourir.» La fin d’Alexandre le Grand est moins connue. Le roi de Macédoine, qui vécut au IVe siècle av. J.-C., a sans doute succombé à une intoxication – accidentelle ou criminelle, nul ne le sait – au vératre.
Quant à Vincent Van Gogh, il a vraisemblablement sombré dans la folie à cause de son goût très prononcé pour l’absinthe. Il a ensuite été «traité avec de la digitale, une plante toxique et diurétique qui était utilisée au XIXe siècle, à tort, pour le traitement de la démence». La digitale provoquant des troubles visuels, cela expliquerait la prédominance de la couleur jaune dans de nombreux tableaux réalisés par l’artiste à la fin de sa vie.
La mode du naturel
Si les intoxications par les plantes ne datent donc pas d’hier, on a cependant constaté une nette augmentation des cas d’intoxication au cours de ces dernières années, «car de plus en plus de personnes veulent manger sain et cueillir elles-mêmes des plantes sauvages», constate Kurt Hostettmann.
C’est d’ailleurs un véritable effet de mode. «Certains cuisiniers prétendent qu’il faut revenir à la nature et manger toutes sortes de plantes.» Et cela peut parfois se terminer par des problèmes digestifs, plus ou moins graves. Fort heureusement, les cas mortels restent très rares.
Mais alors, que faire lorsque l’on n’est pas un botaniste patenté? «Il faut aimer les plantes, les respecter, mais éviter de les cueillir», répond Kurt Hostettmann. Aux amateurs, il conseille «d’aller plutôt les acheter à la droguerie ou à la pharmacie».
Elisabeth Gordon
A lire:
«Tout savoir sur les poisons naturels. Reconnaître et se protéger des toxines de la nature», Kurt Hostettmann, Editions Favre, juin 2006.