ViCLAS est un système informatique qui répertorie les crimes violents et les délits sexuels pour savoir s’ils font partie d’une série. Confidentialité oblige, très peu de chercheurs ont eu accès à cet outil. Julien Chopin est l’un d’eux. Il lui a consacré sa thèse et mesuré son efficacité.
Élaboré par la police fédérale du Canada et utilisé par une douzaine de polices en Europe et dans le monde, ViCLAS – abréviation de Violent Crime Linkage Analysis System (1) – est une base de données qui permet d’aider les enquêteurs à identifier si un crime violent ou un délit sexuel pourrait faire partie d’une série. Dans le domaine des agressions sexuelles, on parle d’auteurs sériels à partir de deux agressions séparées par un intervalle de temps.
Problème : cet outil policier se la joue plutôt undercover. À l’heure du tout Internet, impossible de s’en faire une idée précise. Quelques sites le décrivent de façon laconique ; des travaux et articles de chercheurs sont consacrés à cette banque de données, mais impossible d’explorer le système pour s’en faire une idée. Docteur de l’Université de Lausanne et actuellement chercheur senior à la School of Criminology de la Simon Fraser University à Vancouver, au Canada, Julien Chopin explique : « Il y a peu d’informations qui filtrent sur ViCLAS. On ne veut pas que les potentiels criminels mettent le nez dedans et regardent à quoi ils devraient faire attention. » Aspect commercial à sauvegarder ou vraie parade pour éviter de donner un coup de main aux criminels ? « Je pense qu’il y a du vrai dans le désir de ne pas donner d’indices aux agresseurs. Mais de là à ce qu’ils se plongent dans le booklet ViCLAS qui comporte plus de 1000 caractéristiques… » Lors des recherches qu’il a conduites, notamment sur l’expertise des agresseurs sexuels et leur capacité à éviter la détection policière, le chercheur a fait un constat : les délinquants sexuels préméditent moins leur crime qu’on ne l’imagine. « La plupart d’entre eux passent à l’acte parce qu’une opportunité s’est présentée et c’est fini ! »
Julien Chopin est un des rares chercheurs qui a pu faire une étude approfondie du ViCLAS. Il lui a consacré sa thèse (2) sous le patronage de l’École des sciences criminelles de l’Université de Lausanne. « Comme j’avais déjà effectué mon mémoire au sein du Ministère de l’Intérieur en France, je les ai à nouveau approchés pour ma thèse. Nous avons construit le sujet ensemble : ils voulaient une évaluation de cet outil et moi, je m’intéressais plus précisément à la délinquance sexuelle. » Le docteur en criminologie de l’Université de Lausanne trouve important de ne pas oublier le côté pratique lorsque l’on fait de la recherche fondamentale. Il est attaché aux liens entre l’université et la société ainsi qu’à la manière dont les résultats des recherches peuvent aider concrètement les praticiens.
Il détaille la genèse du ViCLAS : dans certains crimes en série, les agresseurs ont tendance à suivre ce que les criminologues et les policiers appellent un « modus operandi », un mode opératoire relativement constant, parce qu’ils y sont à l’aise et ont une certaine expertise dans cette façon de procéder. « Le but d’un agresseur est de compléter un crime avec succès et d’éviter de se faire attraper. Cela paraît basique, mais c’est la réalité. » Dans la base de données, il y a beaucoup d’agressions qui ont été signalées par les victimes, mais qui n’ont pas été résolues, car aucun suspect n’a été identifié lors des enquêtes. « L’idée était de se dire : tous ces crimes sexuels sont parfois commis par des auteurs en série. Donc, si on arrive à en attraper un, peut-être qu’en regardant dans un des dossiers connus, il sera possible de rattacher cet auteur à d’autres cas non résolus. »
ViCLAS, comment ça marche ?
Au cœur du ViCLAS, 156 questions réparties sur 47 pages comprenant 1140 modalités de réponse. En résumé, un QCM permettant de qualifier de façon très précise les faits qui sont survenus. Il est divisé en plusieurs blocs recensant des informations portant principalement sur les victimes, les agresseurs, ainsi que l’environnement et les caractéristiques du crime. « À titre d’exemple, les aspects liés au style de vie des victimes ainsi qu’à leurs caractéristiques sociodémographiques sont recensés. Des informations similaires relatives aux agresseurs sont également présentes, en plus de renseignements relatifs à leurs spécificités physiques qui permettraient de les distinguer. » Les détails sur le crime, son déroulement, son contexte ainsi que les comportements des protagonistes sont particulièrement nombreux et permettent de prendre en compte n’importe quelles spécificités liées à la délinquance sexuelle violente. Julien Chopin précise que ces informations sont relatives aussi bien à la phase précrime – soit la préparation de l’agression –, à la phase de crime et à la phase postcrime, c’est-à-dire la sortie du crime. Ces informations permettent de reconstituer le scénario précis du crime appelé également « script ».
Les failles du système
On s’en doute, répondre à 156 questions et introduire cette quantité de données dans le ViCLAS n’est pas une mince affaire. Au fait, quelle est l’importance du fonctionnaire qui répond au questionnaire ? « À la base, on donnait ce booklet à tous les enquêteurs du pays confrontés à un crime violent et ils le complétaient. Mais le système est tellement détaillé que l’on s’est vite rendu compte que, pour une même affaire, les enquêteurs n’avaient pas la même façon de répondre aux questions. » Une petite erreur de codage peut en effet avoir des conséquences et empêcher de lier deux affaires. Il faut donc avoir beaucoup de compétences pour utiliser cet outil. Pour résoudre ce problème, la France a créé à Paris une unité d’analystes qui sont des policiers, spécialistes de la délinquance violente et sexuelle, et qui ont suivi une formation spécifique pour l’utilisation du ViCLAS. « Les policiers de terrain leur envoient tous leurs rapports. Ces spécialistes les analysent, remplissent le questionnaire, réduisant ainsi le risque de variations. Ils font également un suivi des cas. Je les ai côtoyés, ce sont des passionnés. »
Qu’en est-il des autres polices nationales qui utilisent cet outil informatique ? Ont-elles toutes formé des spécialistes ? Julien Chopin l’ignore, vu la discrétion qui règne autour de ce système. Outre sa complexité et la quantité titanesque d’informations récoltées, ce docteur de l’Université de Lausanne a détecté d’autres failles dans cet outil informatique. Il donne l’exemple d’un même individu qui a commis deux délits sexuels. Une première fois, un viol a eu lieu. La deuxième fois, des attouchements ont été commis, car des aspects environnementaux – la survenance d’un témoin – l’ont empêché de violer sa victime, même s’il en avait l’intention. « Dans ce cas, les deux affaires auront plus de difficultés à être reliées. »
Vraiment efficace, ViCLAS ?
À ce stade de description du ViCLAS, une question s’impose. Malgré ses failles, cet outil est-il plus fort que les êtres humains ? Peut-il résoudre un cas de délit sexuel à lui tout seul ? La réponse de Julien Chopin fuse : « Clairement non, et ce n’est pas son but ! Tout d’abord, cet outil a comme vocation principale la collection et l’organisation d’informations supposées pertinentes pour identifier des patterns de sérialité. Il n’y a pas d’algorithme, ce sont les policiers spécialisés qui réalisent les analyses. » Le docteur de l’Université de Lausanne rappelle que dans les enquêtes de ce type, le travail de base des enquêteurs d’investigation est fondamental. Ils mettent en place un certain nombre d’instruments qui ne vont pas résoudre des cas, mais apporteront un regard différent, une autre manière d’aborder le sujet et d’amener des solutions. « Et ViCLAS se situe à cet endroit-là, il s’agit d’un outil parmi d’autres qui vient en appui à l’enquête principale. » Lorsqu’ils sont confrontés à un cas d’agression sexuelle, les enquêteurs vont faire un travail d’enquête classique : ils vont interroger les témoins s’il y en a, aller sur place, reconstituer la scène du crime, essayer d’identifier un suspect. À un moment donné, les policiers vont se retrouver avec une liste de suspects et il s’agira d’identifier s’il y a un coupable parmi eux. « C’est là que ViCLAS va éventuellement entrer en jeu. Ce système fonctionne un peu comme un filtre. On va saisir l’état de fait : l’agression s’est passée à l’extérieur, il y a eu pénétration, il y a eu violence, il a tenté d’étrangler la victime, même si elle ne se débattait pas, etc. » ViCLAS va donner une liste de personnes qui ont commis un délit avec des caractéristiques similaires, des noms de suspects qui n’étaient pas en détention à ce moment -là. Les enquêteurs vont ensuite comparer leur liste de suspects avec celle que ViCLAS leur a donnée, pour voir s’il y a des individus qui ressortent dans les deux listes.
L’occasion fait le larron
Après avoir passé beaucoup de temps à analyser le phénomène de délinquance sexuelle extrafamiliale, Julien Chopin arrive à la conclusion que l’un des enjeux majeurs, c’est de comprendre la situation, la vulnérabilité de la victime et pour quelles raisons l’agression a eu lieu. « Pourquoi l’agresseur va choisir cette victime ? Qu’est-ce qui fait qu’à ce moment-là, l’agresseur a porté une attention particulière sur elle et l’a agressée ? Pourquoi cette victime plutôt qu’une autre ? Et pourquoi à cet endroit ? Cela va permettre de déterminer ces fameux patterns. »
Le chercheur rappelle que très peu d’agresseurs vont cibler une victime spécifique avec des caractéristiques particulières, par exemple une femme blonde, petite ou ronde. La majorité des agressions sont le fruit d’opportunités avec des agresseurs qui n’avaient pas prémédité spécifiquement leur acte. En fait, il y a un moment dans la journée où l’occasion se présente et les circonstances sont réunies pour qu’une agression soit commise. Il y a beaucoup de crimes d’opportunité, sans facteur d’anticipation. Une partie importante des agressions sexuelles sont liées à la consommation excessive d’alcool, dans des contextes festifs.
«Finalement, peu d’individus préparent méticuleusement leur coup. Nous savons par exemple que les agresseurs sexuels sadiques ont plus de probabilités d’anticiper et de préparer leur passage à l’acte, mais ils représentent une faible proportion des crimes commis.»
1) Système d’analyse des liens entre les crimes de violence.
2) La gestion des liens entre les crimes sexuels de prédation, Repenser ViCLAS sous la perspective du paradigme situationnel.
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