Il y a quelques années, Allez savoir! avait posé la question de l’identité vaudoise. Existe-t-elle? A quoi ressemble-t-elle? Comment l’histoire l’a-t-elle façonnée? Plusieurs historiens de l’UNIL apportaient avec humour des réponses aussi nuancées que ce sujet.
Justin Favrod, Dr ès Lettres de l’UNIL, historien et journaliste, se souvient de l’avertissement de Chessex: les «vrais Vaudois» sont en train de disparaître. «C’était dans les années 60, mais récemment encore, un confrère journaliste suggérait qu’il fallait se dépêcher de faire le portrait d’un “vrai Vaudois” pour les mêmes raisons. Le Vaudois est une sorte d’espèce en voie de disparition mais qui réapparaît tout le temps.»
Ce pays est fier de son patrimoine, et, aujourd’hui encore, ne manque jamais de le rappeler, écrivait Michel Beuret dans Allez savoir! en 2010. A l’instar de feu le conseiller fédéral, le Vaudois Jean-Pascal Delamuraz, qui affirmait que son canton est bien un pays complet dans la mesure où il produit tout (le sel, le pain, le vin) et offre tous les paysages de Suisse (Alpes, Préalpes, Jura, Plateau et bien sûr son lac). Cette suffisance expliquerait en apparence l’expression bien vaudoise “Y en a point comme nous”.»
C’est pourtant tout le contraire. «La première occurrence de cette formule remonte au début du XIXe siècle, assure Justin Favrod, et j’ai découvert que son usage est avant tout celui de l’autodérision, d’une ironie envers soi-même.» Si le Vaudois a conscience que son pays est beau et riche, il a toujours un peu honte d’être fier autant qu’il est fier d’être modeste. «Les Vaudois ont un humour et une faconde que je n’ai jamais retrouvés ailleurs», ajoute le Dr ès Lettres de l’UNIL, qui vient de lancer un magazine romand d’histoire et d’archéologie baptisé Passé simple. «Cet humour joue sur le non-dit et la litote. On ne dit pas “J’aimerais boire un verre”, mais “Je ne suis pas contre”. On ne dit pas “J’aime le blanc” mais “Je ne déteste pas ça”. Le répertoire humoristique vaudois compte aussi une variété infinie de qualificatifs pour désigner l’idiot: topio, niolu, taborniau, toyet, niobet, nianiou, bofiot, alapiat, agnoti, etc…»
Justin Favrod y voit un signe. On s’en sert volontiers pour rabaisser tout ce qui dépasse, se distingue et apparaît vite ici comme arrogant. «Dans ce canton, la grandeur est un sujet de préoccupation permanente. La raison en est selon moi – mais ce n’est qu’une explication personnelle – que les Vaudois ont longtemps été les sujets des Bernois.»
A lire l’histoire officielle, l’occupation bernoise a été terrible. Pourtant, c’est tout le contraire, affirme l’historienne et professeure associée de l’UNIL Danièle Tosato-Rigo qui s’est intéressée, plutôt qu’à l’identité vaudoise, forcément «plurielle et insaisissable», à «la construction du discours identitaire vaudois». C’est ainsi qu’elle a pu démonter un mythe tenace et montrer comment la libération du Pays de Vaud en 1798 a été fabriquée… un siècle plus tard, à l’occasion du premier Centenaire de l’indépendance.
Dans l’article paru en 2010, Laurent Flutsch, directeur du Musée romain de Lausanne-Vidy, remontait plus loin dans le passé pour signaler que le premier banquier suisse connu n’est autre que le père de Vespasien, un Italien qui fit carrière en Asie avant de s’installer à Avenches. A la même époque, les Romains introduisent la viticulture et développent la technique du verre soufflé. C’est depuis lors, écrit l’archéologue humoriste, que «l’on peut littéralement boire un verre».
Avec le recul, l’essentiel de «l’identité» moderne des Vaudois repose sur des apports étrangers: la langue germanique, puis latine, et enfin le français, un apport des Savoie.
Le protestantisme est un héritage des Bernois, et le nom de «Vaudois» dérive du germain, «Wald». Quant à celui de «Romand», il découle naturellement de «Rome». C’est peut-être cela, l’identité vaudoise. Un brassage extraordinairement riche d’origines et de métamorphoses qui font que le Vaudois, loin d’être immuable, ne ressemble à nul autre. Alors pourquoi ne pas le lui concéder: y en a point comme lui.