La situation environnementale exige un changement de nos modes de vie. Dominique Bourg, philosophe et professeur à l’Institut de géographie et de durabilité, apporte une réflexion sur l’idée de sobriété volontaire dans un ouvrage collectif qui vient de paraître.
Le constat est sans appel: les ressources naturelles ne sont pas infinies et nos modes de développement et de consommation ne sont pas durables. Les dégradations que nous infligeons à la planète pour maintenir une croissance exponentielle ne nous permettront pas de maintenir le rythme très longtemps. «A mon avis, dans cette décennie ou la suivante, nous connaîtrons déjà de gros problèmes», confie Dominique Bourg. Emissions de CO2 en constante augmentation, appauvrissement de la biodiversité, acidification des océans, artificialisation croissante des sols et des écosystèmes, disparités sociales explosives, etc.: tous ces facteurs risquent de faire éclater crises environnementales et conflits pour les ressources dans un futur proche. Selon le philosophe, de deux choses l’une: «Soit nous réduisons nos consommations matérielles et énergétiques de façon volontaire et progressive, soit ce changement nous sera imposé de façon violente et brutale.»
Si le diagnostic que posent Dominique Bourg et Philippe Roch (ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement) dans l’introduction du livre est alarmant, le lecteur est invité par la suite à réfléchir de manière positive à des solutions au travers d’éclairages historiques et d’expériences contemporaines. «En regardant à travers l’Histoire, nous avons cherché des périodes qui ont rencontré des difficultés telles que les populations ont adopté des modes de vie moins dispendieux.»
L’Empire romain propose un parallèle intéressant. Rome – qui n’a jamais annulé les dettes, tout comme l’Europe actuellement, et qui a fortement dégradé ses sols – a accumulé une richesse folle alors qu’elle imposait une fiscalité très lourde au peuple, qui en est venu à haïr profondément les dirigeants. Des éléments qui ont contribué à sa fin. Mais avant la chute, certaines élites ont abandonné Rome pour adopter des modes de vie plus sobres et construire une contre-société.
Dans une deuxième partie, plusieurs auteurs reviennent sur des expériences contemporaines de sobriété volontaire. Si certains témoignages présentent des modes de vie exigeants qui sont le résultat d’un engagement fort (par exemple décider de vivre dans un écovillage), «nous n’allons pas demander à tous les gens de devenir des ascètes», rassure Dominique Bourg. Le but de l’ouvrage est de poser des questions sur les habitudes de consommation et de réfléchir à des manières de voyager ou de manger autrement, dans le but de réduire son empreinte matérielle. Sans pour autant régresser ou en devenir malheureux. L’environnementaliste rappelle d’ailleurs que la croissance actuelle ne semble pas amener prospérité et bonheur à la population. Symbole fort, l’espérance moyenne de vie aux Etats-Unis diminue depuis deux ans, alors que l’espérance de vie sans handicap diminue, elle, dans tous les pays occidentaux.
Autre constat préoccupant: les écarts de richesse ont explosé. Les 11 Français les plus riches ont une fortune équivalente à celle des 20 millions de Français les plus pauvres. «Il faudrait promouvoir des valeurs moins “bling-bling”, plus fondamentales, ajoute le philosophe. Les jeunes d’aujourd’hui accordent énormément d’importance à la possession matérielle. On sait cependant que passé un certain niveau de richesse matérielle, on perd le sentiment d’accroissement du bien-être.»
Sans être moralisateur, l’ouvrage de Dominique Bourg se veut instructif et incitateur de changements individuels. Le passage à des actions politiques n’est pas encore à l’ordre du jour des gouvernements. Mais c’est grâce à ce genre d’écrits – que Dominique Bourg dit semer comme autant de cailloux du Petit Poucet – que la réflexion avance et qu’une prise de conscience collective peut avoir lieu.
Dominique Bourg
Détenteur de deux doctorats (l’un en philosophie, l’autre en sciences sociales et philosophie), professeur à l’Institut de géographie et de durabilité de l’UNIL depuis 2006. Son dernier ouvrage: Sobriété volontaire. En quête de nouveaux modes de vie. Dominique Bourg et Philippe Roch (Ed.). Labor et Fides (2012). Collection «Fondations écologiques», 240 p.