Twitter, votre meilleur conseiller en finances

Le phénomène de la «sagesse des foules» explique la supériorité d’une intelligence collective sur un individu, même expert. ©Illustration originale: Jehan Khodl

Vous voulez gagner de l’argent sans dépenser un centime? Suivez les conseils des utilisateurs des réseaux sociaux pour vos investissements en bourse: ensemble, ils sont bien meilleurs que l’expert qui facture cher ses services élaborés. C’est Maud Goutte, une doctorante du Swiss Finance Institute de la Faculté des Hautes études commerciales de l’UNIL, qui en apporte la preuve dans une recherche menée pour sa thèse.

D’un côté, un très court conseil balancé sur Twitter, rédigé sur un coin de table par on ne sait trop qui, accompagné le plus souvent d’une blague. De l’autre l’analyse complexe de l’évolution future d’une entreprise, ses forces, ses faiblesses, sa situation sur le marché, l’état de la concurrence, sa capacité d’innovation, bref du solide: une recommandation d’achat ou de vente détaillée sur plusieurs pages, rédigée avec le jargon idoine, structurée et illustrée de savants graphes, vendue (le plus souvent très cher) par un spécialiste sur un site lui aussi spécialisé. Dans les deux cas, mais pas vraiment en usant du même nombre de caractères ni donc d’arguments, un avis sur une action: c’est le moment d’acheter, de vendre, ou de ne rien faire. À qui se fier pour engranger le plus d’argent lorsqu’on boursicote? Au conseil pointu et payant du spécialiste, ou à la recommandation diffusée gratuitement sur un réseau social? Contre toute attente, aux avis gratuits qui traînent sur Twitter.

C’est la conclusion décoiffante de l’une des trois recherches menées par Maud Goutte dans le cadre de sa thèse: il n’est plus nécessaire de dépenser de l’argent en conseils pointus pour en gagner. La doctorante du Swiss Finance Institute de la Faculté des Hautes études commerciales de l’UNIL a d’ailleurs présenté ses conclusions de manière limpide au concours «Ma thèse en 180 secondes», édition 2022.

La sagesse des foules

Comment la chercheuse explique-t-elle cet étonnant résultat? «C’est vrai qu’il peut surprendre, mais il est lié à un phénomène bien connu et étudié en finance – on nous en parle assez tôt dans notre cursus», répond-elle. Ce phénomène, c’est la «sagesse des foules». L’idée? Une prédiction (et en finance, c’est bien de cela qu’il s’agit: prédire le cours d’une action) sera en moyenne meilleure, plus précise, si elle provient d’opinions nombreuses données par des personnes qui n’ont pas de lien et qui ont des backgrounds divers, plutôt que par un expert seul.

Cette sagesse des foules établit au fond la supériorité d’une sorte d’intelligence collective sur un individu, aussi pointu soit-il. Illustration hors finance pour ceux qui y seraient réfractaires: «Vous pouvez prendre l’exemple du bol rempli de grains de riz. Si vous demandez à quelques spécialistes, par exemple des mathématiciens ou des physiciens, et à un très très grand nombre de quidams sans formation spécifique de vous dire combien le bol contient de grains, la masse sera systématiquement meilleure.» Il faut comprendre ici que c’est la moyenne des nombres avancés par la foule qui s’approchera au plus près de la vérité – bien plus que l’estimation d’un professionnel. Pour la finance, c’est pareil. Petite précision donc quant à la qualité des prédictions des cours boursiers que l’on trouve sur Twitter: c’est vrai qu’ils sont nettement meilleurs que ceux d’un ou deux experts seulement si l’on agrège des milliers d’avis, pas forcément si l’on suit les recommandations d’un seul émetteur.

Maud Goutte. Doctorante au Swiss Finance Institute (Faculté des Hautes études commerciales). Nicole Chuard©UNIL

Battre le marché

Reste une autre source d’étonnement: les résultats modestes des experts, pourtant capables de remettre des analyses très complètes et complexes. «Eh oui, c’est une autre leçon de base que donnent tous les profs de finance à leurs étudiants, répond Maud Goutte. Un fonds d’investissement proposé par des professionnels ne dépassera pas systématiquement le marché sur le long terme, précise la doctorante. Alors autant s’éviter des frais et simplement acheter les actions d’un fond indexé sur le SMI ou une autre bourse». Son analyse a permis de montrer que les «twittos» qui parlent de finance, eux, permettent, si on suit leurs conseils agrégés, de gagner 30% de plus qu’en suivant les spécialistes. Mais concrètement, comment la chercheuse a-t-elle comparé les résultats?

Elle a d’abord choisi un important site payant de conseils et elle a extrait les conseils qui y étaient vendus par les experts. Elle a suivi les conseils donnés par ces spécialistes, soit vendre ou acheter l’action d’une entreprise quand ils l’indiquaient. La chercheuse a fait pareil, sur le même nombre d’années depuis 2014 en utilisant les conseils liés au S&P 500 (l’indice qui recense les 500 plus grandes sociétés aux USA), en suivant cette fois-ci les recommandations de 300000 utilisateurs du fameux réseau social. On s’en doute, Maud Goutte n’a pas lu un à un les 50 millions de tweets écrits par ces gens sur les marchés financiers au cours des ans. «Je m’intéresse beaucoup aux data, au code informatique, aux algorithmes – je cherchais donc un sujet de thèse qui me permette d’utiliser cette compétence. Avec les millions de tweets à traiter, j’ai eu de quoi faire!»

Il a en effet fallu trouver un moyen de sélectionner les données pertinentes, de les extraire, de les convertir en recommandations d’achat ou de vente, de les nettoyer, et enfin de les agréger – on s’en souvient, utiliser la «sagesse des foules», c’est arriver à calculer en quelque sorte la moyenne des avis exprimés. De quoi mobiliser donc de solides compétences en informatique et en traitement des données. Mais le résultat en valait la peine: «pouvoir montrer que les utilisateurs de Twitter sont à ce point meilleurs et permettent de réaliser 30% de gains supplémentaires sans débourser un centime pour en bénéficier, c’était inespéré».

L’œuf ou la poule?

Si elle répond à la question principale qu’elle se posait, la recherche de Maud Goutte soulève aussi quelques autres interrogations: est-ce que les gourous très suivis sur les réseaux sociaux peuvent influencer les choix des personnes qui se fient à leurs avis et donc les cours? Est-ce que lorsqu’ils prédisent dans un tweet que le cours de l’action X va baisser, suffisamment de followers (ou abonnés) vendent, créant de fait une chute du prix et un effet boule de neige (on connaît l’effet démultiplicateur des réseaux sociaux), en une sorte de prophétie auto-accomplie? «Il est très difficile de distinguer si ces personnes sont vraiment bonnes pour prédire l’évolution d’une action, ou si elles sont tellement influentes qu’elles créent les effets qu’elles prédisent». Impossible pour l’instant de répondre, mais comme deuxième sujet d’étude pour sa thèse, la chercheuse se propose en tout cas de faire un peu la lumière sur ces gourous de la finance sur les réseaux sociaux, afin d’analyser notamment leurs relations et leurs entrelacs d’influence – qui reprend ou cite qui, qui donne une info en premier, quels avis entraînent quelles conséquences. «Je reste dans la même thématique, avec de nouveau une belle quantité de données à analyser», s’amuse Maud Goutte.

Aussi pour les béotiens

À la question «Faut-il forcément dépenser de l’argent pour en gagner?», la réponse est donc clairement non. Mais évidemment, tout le monde n’a pas les compétences informatiques et financières de Maud Goutte. Extraire des centaines de milliers de données, les agréger, en tirer une recommandation, c’est à la fois des heures de travail et des compétences pointues – pas vraiment des manipulations à la portée du premier boursicoteur venu. «C’est vrai que ça a un coût aussi de télécharger ces millions de données et de les traiter, et honnêtement, ça a été très compliqué à faire», confirme la chercheuse.

Mais qu’on se rassure, il n’y a pas que les doctorantes du Swiss Finance Institute qui peuvent profiter de la sagesse des foules. Première astuce de Maud Goutte: allez voir sur le site Stocktwits.com ce qui s’y dit à propos des actions – toutes proportions gardées, le site fait un peu le même travail que la chercheuse pour sa thèse, la transparence en moins. Il propose ainsi notamment un ranking des actions les plus commentées sur le réseau social et présente un score dit de sentiment, soit une prédiction à la hausse ou à la baisse d’une action, basée sur le feeling, l’état d’esprit agrégé des personnes qui se sont exprimées à son sujet. «C’est une sorte de boîte noire: on ne sait pas sur la base de quels algorithmes il fonctionne, quels émetteurs de tweets sont retenus pour être agrégés, bref il manque bien des informations, alors qu’en tant qu’universitaire, je dois bien sûr tout dire de ma démarche et de mes choix. Malgré ces défauts, cela reste un moyen facile et rapide d’avoir accès à une forme de sagesse des foules dans le domaine de la bourse.» Mais attention, prévient la chercheuse: il faut être rapide et agir dans les trois jours.

Autre option, plus artisanale et qui implique un peu plus d’efforts de la part du futur investisseur: se livrer à un travail d’analyse pour repérer empiriquement les meilleurs émetteurs de conseils boursiers de Twitter. «Ma recherche montre que si on choisit les recommandations des personnes qui twittent sur la finance depuis le plus longtemps et qui par ailleurs ont aussi le plus grand nombre de followers, alors on arrive aussi à de très bons résultats – meilleurs qu’avec les experts», résume Maud Goutte. Qui a dit que passer des heures sur Twitter, c’était perdre son temps?

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