La Suisse, championne de l’innovation

Si elle est souvent dans le top 5 des pays qui lancent le plus de start-ups, la Suisse est mieux classée encore lorsqu’il s’agit d’innovation: elle occupe souvent la première place. De l’argent, des grosses entreprises qui investissent beaucoup dans la recherche & développement, un tissu dense d’universités et des cerveaux bien formés en quantité expliquent ces résultats exceptionnels. L’engouement pour la création d’entreprises basées sur des idées innovantes est visible à l’Université de Lausanne aussi, où le HUB Entrepreneuriat et Innovation a dû doubler cette rentrée ses capacités d’accueil pour son programme d’accompagnement UCreate.

© Bo Feng / iStock

La Suisse, Israël, l’Irlande, les Pays-Bas, les USA et les pays nordiques: quels que soient les classements qui listent les pays les plus créateurs de start-ups au niveau mondial, les mêmes noms reviennent. Et se maintiennent au fil des ans. Si l’on se penche sur l’innovation de façon plus globale, la Suisse fait encore mieux! Au dernier classement du GII (Global Innovation Index) par exemple, elle est sur la plus haute marche du podium, place qu’elle occupe sans interruption depuis… douze ans! (Voir l’infographie ci-dessous).

Rien de surprenant quand on sait que la santé et la Fintech (les technologies de la finance) sont parmi les domaines où se créent le plus de start-ups, et que ce sont précisément deux domaines dans lesquels la Suisse excelle. Entre Novartis, Roche et Nestlé, pour ne citer que les plus gros, la Suisse compte des acteurs majeurs de la pharma et de l’alimentation, tous les trois étant réputés pour investir des fonds considérables dans la recherche et le développement. Cet esprit d’entreprendre et cette tradition d’inventivité dépassent cela dit le cadre strict des start-ups, dont les définitions varient mais sont souvent liées à l’idée d’une innovation avant tout technologique. «La Suisse est excellente en innovation de façon bien plus large, nuance Anne Headon, directrice du HUB Entrepreneuriat et Innovation de l’Université de Lausanne. Il y a bien sûr ici une tradition liée à la pharma et à la santé en général, mais le pays a cette culture de la créativité dans des domaines très variés.»

Les raisons du succès

Comment expliquer un tel succès, que ce soit dans les start-ups ou l’innovation de façon générale? Il y a d’abord la culture de l’innovation. Cette particularité est soulignée notamment par le rapport sur la Suisse du classement de la compétitivité économique de l’IMD, où elle se classe deuxième, qui relève notre «forte culture en recherche et développement». Comme le mentionne Anne Headon, «à cela s’ajoute également le réflexe acquis depuis longtemps de protéger l’innovation en déposant des brevets – la Suisse a une très bonne expertise dans ce domaine et c’est un élément clé pour assurer la pérennité de ces innovations».

Ensuite, il y a les moyens: développer de nouvelles idées prend souvent du temps et coûte cher, voire très cher, selon les secteurs d’activité. Au-delà des grosses entreprises qui sont très actives en recherche et développement, il y a également en Suisse énormément de fonds qui soutiennent cet écosystème de l’innovation – dans l’espoir bien sûr de miser sur une jeune pousse dont les résultats exploseront à terme. Ces fameux venture capitalists ne remportent pas la mise à chaque essai, évidemment, mais leurs apports contribuent au foisonnement d’entreprises basées sur l’innovation.

 «Enfin, il y a l’État, que ce soit au niveau cantonal avec Innovaud et la FIT (Fondation pour l’Innovation Technologique), ou au niveau fédéral avec Innosuisse, qui investit également considérablement dans l’innovation, détaille Anne Headon. Cela se traduit non seulement en soutiens financiers pour de jeunes entreprises innovantes, mais aussi par la mise en œuvre de conditions-cadres pour favoriser l’entrepreneuriat.»

Anne Headon. Directrice du HUB Entrepreneuriat et Innovation de l’Université de Lausanne. Nicole Chuard © UNIL

Qu’une capacité de financement supérieure aux autres pays favorise la Suisse est une chose, mais encore faut-il avoir des idées et de la main-d’œuvre très qualifiée pour les développer et les mener à terme – des cerveaux en l’occurrence. Et là aussi la Suisse est bien pourvue, puisque la densité d’universités est particulièrement élevée en comparaison internationale. On pense aux deux écoles polytechniques bien sûr, qui, à Lausanne comme à Zurich, sont très actives dans la création des start-ups liées aux nouvelles technologies, mais il y aussi les universités avec une innovation de type différente, par exemple sur les modèles d’affaires. Les facultés de Médecine et de Biologie des universités sont également innovantes dans la santé et les sciences de la vie – notamment dans l’arc lémanique. 

«Il n’y a donc pas un seul facteur qui explique le succès de la Suisse en innovation, mais un faisceau de paramètres favorables, qui vont de la culture entrepreneuriale à la qualité de la formation en passant par la disponibilité des fonds et le soutien des Autorités», rappelle Anne Headon – parmi les éléments également cités par les études internationales reviennent en outre des aspects plus généraux en lien avec la compétitivité économique, comme la qualité des infrastructures ou la stabilité politique.

L’innovation, c’est aussi l’innovation sociale 

Le monde de l’innovation évolue et sa définition aussi. «On a longtemps associé l’innovation à l’innovation technologique, rappelle Anne Headon. Mais les défis qui nous attendent sont désormais climatiques, sociétaux et économiques. Ils ne sont pas tous de nature à être résolus par la technologie, en tout cas pas la seule technologie. On voit se dessiner au niveau international une définition plus inclusive de l’entrepreneuriat et de l’innovation, une vision plus globale, plus interdisciplinaire aussi, qui inclut par exemple des projets sociaux financés par des partenariats public-privé.» La volonté de ce nouveau type d’entrepreneurs est avant tout de résoudre une problématique de nature systémique pour laquelle il n’y a souvent pas de modèle d’affaires classique. Dans cette acception plus ouverte, l’Université de Lausanne a une carte à jouer. Si des programmes encourageant la création d’entreprises existaient déjà au sein de la Faculté des hautes études commerciales et que des structures facilitant le transfert de technologies sont toujours à disposition des chercheurs de la Faculté de biologie et de médecine (FBM), la Direction de l’UNIL a souhaité que cet esprit d’entreprendre soit stimulé dans toutes les facultés. Désormais, l’entrepreneuriat a sur le campus son hub, ses locaux, sis à la magnifique Villanova, et ses programmes, notamment UCreate. 

Infographie: Stéphanie Wauters

«On note cette année un véritable engouement pour ce programme, se réjouit Anne Headon, qui dirige le HUB depuis sa création en 2019. Lors de cette rentrée académique, nous avons reçu 57 projets, un record depuis le lancement du programme. Nous avons dû le dédoubler pour pouvoir accepter 40 projets, au lieu d’une vingtaine d’ordinaire.» Pour expliquer ce succès, Anne Headon cite la notoriété acquise après quelques années d’existence, la visibilité gagnée grâce à la Villanova, la collaboration avec toutes les facultés qui se renforce au fil des semestres. Et enfin l’envie des étudiants et des chercheurs: «Ils sont davantage en quête de sens que par le passé avec une volonté déclarée d’être acteurs de changement. UCreate offre une excellente opportunité d’explorer et de tester leurs idées.»

Concrètement, comment ça marche? Le HUB lance deux fois par an un appel à projet pour le programme UCreate. Les personnes intéressées déposent leur dossier en ligne. Les projets sélectionnés entrent alors dans le programme et bénéficient d’une première phase d’accompagnement sous forme de six ateliers sur un peu plus de deux mois. Cette première phase leur permet d’affiner la problématique identifiée et de vérifier si la solution qu’ils se proposent de développer y répond bien. Au terme de cette étape, un jury retient environ 10 projets qui entrent alors dans une seconde phase, consacrée à affiner le concept jusqu’à la création d’un prototype et à réaliser un test grandeur nature sur le terrain. Jusqu’à 10 000 francs sont alloués par projet pour prototyper et tester les projets dans cette phase. 

Ce programme est ouvert à tous les chercheurs, étudiants, alumni ou collaborateurs de l’UNIL. Le critère d’éligibilité le plus important, outre l’appartenance à la communauté de l’UNIL, est celui de l’impact. Les projets retenus sont ceux qui répondent à une problématique sociale et /ou environnementale clairement identifiée. 

Quelques exemples de projets issus de UCreate 

Un petit tour sur le site ucreate.ch permet de constater que les projets sont bien issus des sept facultés de l’alma mater et que même la théologie y est représentée – ce qui donne une variété de thèmes plutôt inattendue. On trouve ainsi l’idée de proposer des savons, gels douches et shampoings en poudre à mélanger avec de l’eau du robinet dans des contenants réutilisables, histoire de limiter l’impact écologique de ces produits; le concept a séduit l’un des deux géants orange qui depuis septembre 2023 le met à disposition des acheteurs dans 31 points de vente (lire également Allez savoir! no 84, octobre 2023). Il côtoie un projet culturel (Musée à l’emporter) mené par des étudiants en Lettres et en Faculté des sciences sociales et politiques qui vise à amener les musées dans les écoles plutôt que le contraire. D’autres étudiants (en FBM) se sont intéressés avec ATIPIKEY à l’insertion dans le marché du travail des personnes sur le spectre autistique, y compris via une formation aux potentiels futurs employeurs.

Cela dit, un projet innovant à visée sociale, environnementale ou culturelle n’est pas forcément dénué d’innovation technologique. MATIS est ainsi née de la collaboration de deux étudiantes, une venue des Lettres et l’autre de l’EPFL. Cette société propose une aide à l’authentification des œuvres d’art via une caméra réduite inédite, ce qui permet une analyse rapide et peu coûteuse des différentes couches qui composent un tableau. Comme le résume Anne Headon, «si certains projets mettent du temps à mûrir, notamment ceux lancés en biologie et médecine, nous voyons déjà de nombreuses idées prendre vie et c’est une immense motivation, pour nous et pour les participants qui nous rejoignent avec leurs nombreuses nouvelles idées.» /

Article suivant: Elle ne trouve pas l’emploi qu’elle souhaite? Elle le crée

Laisser un commentaire