Des chamanes aux neurosciences, quels sont les rapports entre l’alcool, la drogue et la religion? Jacques Besson, professeur à l’UNIL, y répond dans un ouvrage récent.
Interroger les liens entre «Addiction et spiritualité»? Voilà qui s’annonce complexe. Dans ce petit ouvrage clair et accessible, Jacques Besson, addictologue et professeur à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, rappelle que le lien entre drogue, alcool et religion n’est pas neuf, qu’il remonte même à l’aube de l’humanité quand le chamane, à la fois prêtre et médecin, fonctionnait comme «passeur de mondes» et utilisait les drogues pour modifier la conscience et accéder aux dieux. Par la suite, c’est le vin qui prendra une place centrale dans le christianisme, symbolisant le sang du Christ lors de la Sainte Cène.
Renvoyant à ses origines protestantes qui l’ont «porté vers les populations vulnérables», l’auteur évoque d’abord son propre parcours et son intérêt de trente ans pour les rapports entre psychanalyse et religion et entre neurosciences et spiritualité. Après un détour chez les Alcooliques Anonymes qui ont placé, dans leurs principes fondateurs, l’importance de s’en «remettre à une puissance supérieure, ou Dieu tel que nous le concevons», il s’intéresse aux théories de Freud et de Jung qui, notamment, se référait à la formule des alchimistes «Spiritus contra spiritum» dans sa correspondance avec les fondateurs des AA. S’interrogeant ensuite sur les effets de la spiritualité sur la santé, Jacques Besson passe en revue quelques hypothèses, dont celles du théologien Eugen Drewermann qui a travaillé sur la question du mal, ou du sociologue Aaron Antonovsky, rescapé d’Auschwitz, qui a observé les facteurs de résilience des prisonniers et mis en avant l’importance de la capacité de comprendre le monde et de donner du sens.
Dernière halte de ce voyage en zigzag, le domaine des neurosciences, les principaux mécanismes de l’addiction reposant sur des centres sous-corticaux. Tout en insistant sur le fait que nous ne sommes pas égaux devant la dépendance, l’auteur souligne les liens entre traumatisme, peur et attachement, constellation qui «sera le terreau du rétablissement par la spiritualité». Sa conclusion? «Tout se passe comme si spiritualité et addiction entretenaient une relation étroite, comme les deux faces d’une même monnaie, autour de la réponse des êtres humains face à l’angoisse fondamentale.» De quoi ouvrir de nouvelles pistes à une médecine devenue l’otage de la technologie et qui devrait retrouver la voie de la sagesse et de la compassion.
Addiction et spiritualité, Spiritus contra spiritum. Par Jacques Besson. Erès (2017), 159 p.