Les chercheurs de l’UNIL répondent souvent présents quand ils sont sollicités pour fournir un éclairage lié à leur domaine d’expertise. Il est par contre plus rare qu’ils prennent l’initiative de s’adresser directement aux médias pour participer à un débat. Avec le risque, s’ils ne prennent pas la parole, que leur voix soit absente de la discussion.
Exemple concret. En août 2015, un quotidien suisse romand de référence publie un article au sujet d’une start-up valaisanne qui propose des tests de personnalité basés sur l’ADN – en paraphrasant, c’est un peu «donne-moi tes gènes et je te dirai si tu es optimiste, bon vivant ou extraverti». Paru dans la rubrique Economie du journal, le texte décrit les applications potentielles du produit et ses perspectives commerciales, mais malheureusement pas ses mérites scientifiques, comme ça aurait été le cas si l’information avait été traitée par un journaliste spécialisé en sciences.
Dans les couloirs de l’UNIL, la réaction des biologistes est unanime, et elle n’est pas tendre – que ce soit envers l’invention elle-même ou la façon dont le journal a traité l’information. Pour Alexandre Reymond, directeur du Centre Intégratif de Génomique, «ces tests n’ont aucune base scientifique»; les autres commentaires ne sont pas plus charitables – et certains sont exprimés en des termes qu’il serait malvenu de reproduire sur cette page.
Mais parmi ces commentateurs, combien ont été plus loin qu’un avis informel, prenant leur plume ou leur clavier pour faire part de leur avis au journal? Aucun. La seule réponse publiée par le quotidien est un texte d’une start-up vaudoise médiatique, qui, sans critiquer frontalement l’entreprise valaisanne ni se mettre vraiment en avant, arrive quand même subtilement à faire les deux.
L’influence de l’article original ne doit pas être sous-estimée ; il a été lu et a attiré l’attention de politiciens et de l’administration fédérale, jusqu’à son sommet. L’absence de réaction des scientifiques n’est pas anodine: sans contrepoids, ces lecteurs penseront que l’article original fait l’unanimité.
Prendre l’initiative
Autre exemple, au niveau politique cette fois. Depuis le 9 février 2014, des membres de la communauté universitaire suisse travaillent avec des parlementaires fédéraux au sujet des répercussions de l’initiative «Contre l’immigration de masse» sur le monde académique. Le premier commentaire qu’on leur a fait est éloquent: «Les scientifiques, vous étiez où lors de la campagne?» Le message est clair: les scientifiques doivent prendre l’initiative.
Les médias, en tout cas, accueilleraient avec intérêt cette opportunité d’entendre des opinions plus diverses. Par exemple, les pages des quotidiens consacrées aux lettres de lecteurs, aux avis d’experts ou aux textes d’opinion sont souvent occupées par des politiciens qui se prononcent sur tout et n’importe quoi, alors que les scientifiques, «on doit les tirer par le col pour qu’ils contribuent », comme l’a décrit un journaliste scientifique romand.
Le tableau n’est pas totalement sombre, et les scientifiques savent sortir de leur «tour d’ivoire» quand cela est nécessaire. En 1998, au moment du vote sur la première initiative pour la protection génétique, les biologistes avaient organisé des visites de laboratoire, préparé des conférences, et de façon générale participé au débat politique – l’importance des enjeux l’avait emporté sur les obstacles, à commencer par le manque de temps. Depuis, la situation s’est encore améliorée, et certaines de ces activités de communication sont devenues habituelles, en biologie comme dans d’autres branches. Mais on voit aussi qu’il faudrait certainement en faire plus – et le faire de façon préventive plutôt que réactive.
Les scientifiques ne doivent bien sûr pas se transformer en lobbyistes pur sucre. Mais s’ils ne font pas entendre leur point de vue au bon moment, personne ne le fera pour eux.