Religion, économie et sexe, trio complice 

Quand Sandro Guzzi-Heeb interroge les liens entre «Sexe, impôt et parenté», l’histoire sociale de l’époque moderne se pare d’accents parfois surréalistes. On y apprend, par exemple, que la diffusion de la pomme de terre en Suisse occidentale a contribué à l’augmentation de la population et à «la baisse de l’âge au mariage depuis 1760». En cause? La «circulation de l’argent, dans toutes ses formes, qui influence la vie sexuelle». 

Après avoir publié, en 2014, Passions alpines. Sexualité et pouvoirs dans les montagnes suisses 1700-1900, l’auteur, professeur d’histoire moderne à l’UNIL, élargit ici son propos. Son enquête s’appuie sur ce qui a été défini comme les grandes «révolutions» sexuelles de la fin de l’Ancien Régime, soit la diffusion de la contraception, l’augmentation de la sexualité illicite et l’émergence d’une nouvelle conception de l’amour. Sandro Guzzi-Heeb insiste sur le fait que la famille moderne, contrairement à certaines idées largement répandues, n’apparaît pas au XVIIIe siècle mais que sa naissance coïncide avec les réformes religieuses du début du XVIe siècle. Autre élément clé de cet ouvrage: son refus d’adhérer à une conception de l’histoire centrée sur le discours des «élites», et donc des tenants du pouvoir, pour privilégier les études de cas précis. Ce livre, précise l’auteur, «se fonde sur l’idée qu’une interprétation globale de la sexualité n’est pas possible, pour la simple raison que son objet n’existe pas». 

Que l’on soit catholique ou protestant, découvre-t-on ensuite, les contraintes et les tabous ne sont pas les mêmes, la Réforme tendant «à faire de la sexualité une affaire séculière et privée, dont les pasteurs n’ont pas à se mêler». On apprend aussi l’existence de mariages «à la Gaulmine» (soit en dehors des formes régulières), la liberté plus grande dont jouissent veufs et veuves ainsi que le rôle dissuasif de la confession en matière de relations illégitimes. Et le livre s’achève par un focus en forme d’épilogue sur «Le sexe à l’époque d’Internet». L’occasion de relever combien ce dernier ainsi que les réseaux sociaux ont bouleversé «les logiques de la recherche d’un-e partenaire». Tout en précisant que «des annonces dans les journaux et des agences spécialisées dans les contacts existent depuis le XVII-XVIIIe siècle et se sont développées tout au long du XIXe siècle». /MD 

Notice sur LabeLettres

Sexe, impôt et parenté. Une histoire sociale à l’époque moderne. Par Sandro Guzzi-Heeb. CNRS Editions (2022), 376 p.

La poésie n’a cessé d’évoluer au fil des siècles s’adaptant aux mutations technologiques et aux nouveaux supports. Longtemps réservée à une lecture silencieuse, elle a ainsi rejoint, au début du XXIe siècle, l’univers de la performance, de la scène, de la lecture à haute voix et des projets multimédias. Autant de défis pour le critique littéraire contraint à adapter son approche et ses méthodes. C’est à cet ambitieux propos qu’est consacrée cette publication dont les différents contributeurs appartiennent au groupe de recherche «Poetry in Notions: précis critique de poésie lyrique». /MD

Notice sur LabeLettres

Lyre multimédia. Nouveaux objets pour la critique de la poésie. Par Antonio Rodriguez, Kirsten Stirling (éds). Études de lettres no 319, 192 p. unil.ch/edl

«Je déteste avoir oublié, et le savoir.» Les textes qui composent ce recueil sont reliés entre eux par la question de la mémoire et par celle de son corollaire, l’effacement. Dans un récit, l’auteur trie les archives d’une écrivaine décédée (il faut tout garder, on ne sait jamais). Dans un autre, il se souvient du tiroir qui contenait les objets les plus importants à ses yeux d’enfant (que sauver si la maison brûle ?). Le dernier chapitre, très beau, met en lumière Françoise Subilia, qui a vécu dans les meubles de Madeleine Roud et de son frère, le poète et écrivain Gustave Roud, à Carrouge. /DS 

Tortues. Par Bruno Pellegrino. Zoé (2023), 141 p.

«Plus il y aura de systèmes, d’objets, d’organisations et de personnes connectés, plus il y aura de problèmes de sécurité.» Rédigé par une professeure de la Faculté des hautes études commerciales et par un journaliste spécialisé, ce roman commence le 1er avril 2022, avec une panne d’électricité géante qui paralyse les Etats-Unis. Virus? Cyberattaque? Après la stupeur des premières heures, les pénuries et la violence s’installent au fil des jours. Avec ce thriller, les auteurs mettent le doigt sur l’arrogance et le déni qui nous caractérisent face à des problèmes pourtant annoncés. /DS

Off. Par Philippe Monnin et Solange Ghernaouti. Slatkine (2023), 238 p.

Tessa, Maarten, Milos et Max sont à la recherche de la légendaire «couronne boréale», un objet qui aurait appartenu à une sorcière maîtresse des bêtes sauvages. Mais de sombres sbires leur mettent des bâtons dans les roues. On dirait le début d’un conte, mais c’est une aventure ancrée dans notre monde contemporain que nous propose Adrien Bürki, documentaliste scientifique en Faculté des lettres. D’une grande créativité langagière, peu effrayé par les jeux de mots, riche en rebondissements, ce roman a été composé pendant une récente pandémie. /DS

La Couronne boréale. Par Adrien Bürki. PVH Éditions (2022), 272 p.

Où va l’agriculture suisse? Né dans une famille de paysans, Blaise Hofmann mène un «reportage littéraire» de Villars-sous-Yens à Peney-le-Jorat, dans des exploitations très variées. Autour de verres de blanc partagés avec les agriculteurs, des propos sont souvent graves. La discussion s’anime quand le mot «glyphosate» est prononcé. Le fossé – ou plutôt le précipice – creusé entre les mondes urbains et ruraux, votation après votation, constitue le cœur du livre. Le volet documentaire et les données chiffrées se mêlent à l’émotion et aux aspects familiaux avec finesse, grâce à l’écriture fluide de l’auteur. /DS

Faire paysan. Par Blaise Hofmann. Zoé (2023), 214 p.

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