Le Centre des littératures en Suisse romande publie chez Zoé une édition critique et annotée de «Tout Catherine Colomb». À déguster par petites bouchées comme un mets rare.
Lire Tout Catherine Colomb est aujourd’hui possible. Plus besoin de se limiter à l’habituelle – et par ailleurs remarquable – trilogie romanesque constituée par Châteaux en enfance, Les esprits de la terre et Le temps des anges. Grâce au dépôt de ses archives par la famille au Centre des littératures en Suisse romande de l’UNIL (CLSR) et au magnifique travail réalisé par celui-ci sous la direction de Daniel Maggetti, on peut désormais se plonger aussi bien dans ses articles de jeunesse parus dans la presse que dans «Les Malfilâtre/Vol de mouettes», un projet qui l’a occupée durant ses dernières années et qui, pour la première fois, est accessible dans son intégralité. Riche de 1680 pages réunies en un seul volume, cette édition critique paraît en novembre aux Éditions Zoé. Un événement pour gourmet littéraire!
Pour ceux qui la découvrent, précisons que l’écrivaine, née en 1892 au château de Saint-Prex, s’appelait en réalité Marie Colomb – Marion pour ses proches – avant de devenir Marie Reymond par mariage. Orpheline de mère à cinq ans, elle est élevée par sa grand-mère maternelle à Begnins puis à Lausanne où, élève brillante, elle fait des études de lettres puis se lance dans une thèse de doctorat sur Béat-Louis de Muralt – un essai intégré à cette nouvelle édition. On sait aujourd’hui qu’elle commence à écrire avant même l’âge de 20 ans. Elle ne cessera plus jusqu’à sa mort en 1965. Son premier roman, Pile ou Face, paraît en 1934 aux Éditions Attinger, signé Catherine Tissot.
Il lui faudra toutefois attendre la publication du Temps des anges chez Gallimard et l’obtention du Prix Rambert en 1962 pour être véritablement reconnue. C’est que son écriture profondément originale et libre avait de quoi surprendre et troubler. Et elle déconcerte encore: Catherine Colomb ne se lit pas comme un polar.
«C’est incontestablement l’un des écrivains les plus importants de la littérature romande du XXe siècle, notamment par sa capacité à inventer, ou réinventer, de nouvelles formes romanesques tout en les remettant en jeu à chaque fois, se réjouit Daniel Maggetti. Elle est en outre à la fois très vaudoise et complètement internationale. Parler allemand, anglais puis utiliser le mot “ruclon” ne lui pose aucun problème. Elle réussit à utiliser des éléments fortement ancrés dans un contexte régional ou personnel sans jamais tomber dans le local et le pittoresque. C’est en cela que je la trouve particulièrement intéressante.»
Catherine Colomb aimait beaucoup Marcel Proust, partageant avec lui la capacité à suivre et restituer le murmure des mots. Comme lui, transcendant l’ordinaire, elle fait de la mémoire et du temps la colonne vertébrale de ses romans. De quoi parlent-ils? De la bourgeoisie terrienne vaudoise, de ses jalousies, ses réussites et ses échecs. Mais par-delà les intrigues, c’est le travail d’écriture qui est au premier plan. Très vite, le lecteur se retrouve ainsi saisi, comme envoûté, par son appropriation subtile et très personnelle de la reprise, du motif, par l’utilisation récurrente d’une phrase ou d’une image qui ponctuent tout le récit comme un leitmotiv ou un refrain.
L’étude des archives a par ailleurs permis de mieux comprendre sa façon de travailler. «Catherine Colomb a toujours dit qu’elle écrivait au fil de la plume, et je crois que c’est vrai, relève Daniel Maggetti. Procédant par associations d’idées, par glissements, elle allait jusqu’au bout d’un récit avant de le reprendre de fond en comble, dans une sorte de palimpseste permanent. Sans plan ni schéma préalable, elle aboutit ainsi à une marqueterie extrêmement bien construite, où rien n’est laissé au hasard. Mais on ne s’en aperçoit souvent qu’à la deuxième ou troisième lecture, et c’est totalement fascinant.»
Tout Catherine Colomb. Éd. dirigée, établie et annotée par Daniel Maggetti, avec la collab. de François Demont, Auguste Bertholet, Valérie Cossy, Claudine Gaetzi, José-Flore Tappy et Anne-Lise Delacrétaz. Éditions Zoé, 1680 p. Parution en novembre 2019.