Cette année marque le tricentenaire de la décapitation de Jean Abraham Daniel Davel, exécuté pour avoir tenté de chasser les Bernois du Pays de Vaud. Dans son numéro 10, Allez savoir! nous apprenait que la tête du Major avait été dérobée de manière rocambolesque.
Samedi 24 avril 1723. Le major Davel est décapité à Vidy. Son crime? Être entré dans Lausanne avec 600 soldats, dans le but de délivrer le Pays de Vaud de la domination bernoise. Un étrange épisode a lieu dans la nuit qui suit. Un groupe de cinq personnes, mené par l’apothicaire Mercier, «récupère» la tête du putschiste, clouée au gibet par le bourreau.
Sous la plume de Jocelyn Rochat, Allez savoir! a raconté cet épisode macabre dans son édition de janvier 1998. L’historien Olivier F. Dubuis, alors assistant en Faculté des lettres, y dévoile un document inédit, conservé aux Archives cantonales vaudoises: les confessions du voleur aux pandores bernois.
À l’occasion d’une perquisition menée en 1725 chez ledit Mercier, les Autorités découvrent du matériel servant à fabriquer de la fausse monnaie – un crime puni de mort – ainsi qu’une… tête. Voici ce que dit le document officiel: «Couvert de papier, ou il ÿ avait au dessus du Sel Cristalisé, laqu’elle peau à tout d’abord paru celle d’un Loutre, et ayant été examinée on y a vu les deux Oreilles Entières, les trous des yeux, du néz et la Bouche d’une personne; et du poil au menton, et le dessus de la Teste rasée. Plus dans un autre Pot, la langue et la mâchoire inférieure. Plus dans un autre Endroit une partie du Squelette de la Teste qui était percée soit gastée au dessus.»
Les aveux de l’apothicaire
Pour sauver sa peau lors de son procès, en 1730, Mercier s’épanche. «La petite troupe s’est approchée du gibet où était clouée la tête du major Davel. Le document découvert aux Archives cantonales vaudoises permet encore d’établir que “ l’un d’eux jetta par dessus la Potence une pierre où étoit attaché une fisselle avec laquelle ils tirerent une corde à laquelle ils attacherent l’un d’entr’eux, & le tirerent en haut lequel fit tomber la Tête sans beaucoup de peine ”.»
Comme le décrit Allez savoir!, «les cinq hommes se rendent ensuite au “ Pré en MontRiond ”, où ils donnent à la tête du major une plus digne sépulture. L’affaire aurait pu en rester là, mais voilà que le lendemain matin, l’apothicaire revient seul, sur le coup de dix heures, pour déterrer le crâne. Le réflexe d’un collectionneur avide de trophées morbides? ” Pas du tout, répond Olivier F. Dubuis. Selon notre source qui le formule d’une jolie manière, Mercier a emporté la tête chez lui “ pour l’usage de la Médecine comme tous les Médecins en connaissent l’usage ”, c’est-à-dire pour la disséquer. Mercier ajoute d’ailleurs qu’il a, par la suite, montré cette tête à diverses personnes qui visitaient sa boutique, parce qu’il “ ne croyoit pas avoir fait aucun mal ”.»
La justice ne punit pas Mercier. À l’époque, la tentative isolée du major n’intéresse pas vraiment les Bernois; le putschiste n’a pas encore acquis sa célébrité. Sa tête a été rendue au bourreau, qui la brûle et l’enterre sous le gibet.
Davel devient un héros
« En fait, c’est surtout à partir de 1830 que les Vaudois – comme d’autres nations en Europe – commencent à découvrir l’importance de leur patrimoine historique. L’historien, poète et professeur de l’Académie de Lausanne Juste Olivier inaugure en 1842 la période de vénération du major putschiste. Ce mouvement va culminer en 1923, avec le bicentenaire de son exécution. Une époque où les pièces de théâtre, les poèmes, les peintures (dont la célèbre toile de Charles Gleyre) se multiplient, sans oublier la statue de la place du Château à Lausanne », analyse Olivier F. Dubuis.
Dans un ouvrage récent (lire en p. 63), Gilbert Coutaz revient sur la manière dont la figure de Davel a été considérée, du temps du souvenir à celui de l’enthousiasme populaire, jusqu’aux interrogations contemporaines.