Permettez-moi cette question un peu personnelle, car elle va forcément vous traverser l’esprit durant la lecture de cet «Allez savoir!», où vous est présentée l’une de ces découvertes qui donnent le vertige et qui font relire son arbre généalogique un peu fiévreusement. Vous y apprendrez que certains événements survenus durant la vie de nos grands-parents peuvent avoir des répercussions deux générations plus tard. Des répercussions néfastes ou heureuses sur notre santé.
L’épigénétique, une nouvelle science à la mode dans les laboratoires hi-tech, comme ceux de l’UNIL, nous a appris récemment que les parents ne transmettaient pas seulement des gènes à leurs enfants. Certaines conséquences de notre mode de vie ou d’épisodes vécus peuvent encore laisser des traces minuscules, mais indélébiles, dans nos gènes. Et ces marques se transmettront à nos descendants, modifiant ainsi le destin des générations futures.
En cherchant à comprendre ce qui se passe «au-delà des gènes», l’épigénétique vient bousculer la théorie «classique» de l’ADN triomphant, qui voulait que l’enfant hérite à sa naissance de caractères innés, gravés dans ses gènes, ainsi que d’un espace de liberté permettant d’acquérir d’autres traits spécifiques au cours de son développement. Avec l’épigénétique, nous basculons dans un univers beaucoup moins balisé, où certains traits acquis durant notre existence deviendront innés pour nos descendants.
Pour comprendre concrètement l’enjeu vertigineux de cette révolution, il y a cette petite histoire venue de Suède. Elle nous apprend que des enfants nordiques, dont le grand-père a connu une période de bonnes récoltes durant sa préadolescence, souffrent quatre fois plus d’un diabète de type 2. Résumée plus crûment, cette découverte signifie que, quand grand-papa a pu s’offrir de rares gourmandises durant une jeunesse pourtant caractérisée par les privations, ses petits-enfants risquent d’avoir une vie moins longue.
Difficile d’imaginer plus injuste que cet héritage génétique impliquant que de rares aléas heureux de l’existence, comme une météo permettant de bonnes récoltes, se paient cash deux générations plus tard.
Bien sûr, nous avons fini par admettre, après quelques décennies de polémiques, que fumer peut causer le cancer d’un collègue de bureau. Nous avons aussi appris que les femmes enceintes devraient éviter l’alcool, sous peine de nuire gravement à la santé de l’enfant à venir. Mais il y a un monde entre la gestion rationnelle des cigarettes ou de l’alcool qui passent à notre portée, et la prise en compte des effets papillons absurdes que découvrent les scientifiques.
L’épigénétique n’en étant qu’à ses balbutiements, nous avons encore quelques années devant nous pour digérer les conséquences éthiques, philosophiques et religieuses de ces découvertes. Restent deux certitudes immédiates. Cette avancée nous rend terriblement responsables des gènes que nous transmettrons à nos petits-enfants. Et ce scénario vient tisser un lien étrangement nouveau avec nos parents et grands-parents, à qui nous devons, pour la majorité d’entre nous, une part insoupçonnée de notre bonne santé actuelle.
Jocelyn Rochat