Il y a une dizaine d’années, Allez savoir! s’était penché sur l’arrivée du vin sur les bords du Léman avec les Romains. Si les vignobles font aujourd’hui partie du paysage, cela n’a pas toujours été le cas. Les Helvètes préféraient en effet d’autres breuvages.
Difficile d’imaginer les côtes du Léman sans les vignes qui les recouvrent, écrivait le journaliste Jocelyn Rochat en 2003. Et pourtant, l’arrivée des ceps dans nos contrées ne s’est pas faite en un jour.
Tout commence vers 600 avant J.-C., quand des colons grecs installent une colonie à Marseille et plantent les premiers ceps sur la côte. C’est le début de la diffusion du vin vers le Nord. Cette tentative initiale se transforme rapidement en succès, explique Matthieu Poux. Aujourd’hui professeur d’archéologie à l’Université Lyon II, ce chercheur est l’auteur d’une thèse intitulée L’Âge du vin. Rites de boisson, festins et libations en Gaule indépendante à l’UNIL en 2004.
Mais, si ces premières exportations connaissent un succès spectaculaire, leur implantation reste éphémère et les Celtes reviennent vite à la bière et à l’hydromel. Les consommateurs celtes considèrent tantôt le vin comme le comble du luxe, et tantôt comme un produit de l’étranger qui inspire la plus grande des méfiances. «Mon hypothèse, c’est que ces changements d’attitude reflètent des modifications internes aux sociétés gauloises, répond Matthieu Poux. Ces variations sont culturelles.»
Et l’archéologue d’expliquer que le vin marseillais était apprécié par des princes celtes qui avaient adopté un mode de vie à la grecque, à l’image de celui pratiqué par tous les aristocrates européens de l’époque. «Entre 600 et 400 avant J.-C., les sociétés celtes sont très ouvertes. Un vent d’exotisme et de pacifisme souffle sur la Gaule. Le dépôt d’armements se raréfie dans les tombes au profit de services à boire importés du Sud, comme celui qui accompagne la fameuse «princesse» de Vix.
Cette période «soixante-huitarde» est suivie d’une ère réellement réactionnaire, marquée par le retour des guerriers, du religieux, une mise à l’écart des femmes et une redécouverte des boissons traditionnelles comme l’hydromel et la bière. Jusqu’à ce que se produise une nouvelle évolution des sociétés gauloises qui redécouvrent la vigne quelques décennies avant la conquête de Jules César, lequel fera définitivement entrer la Gaule dans le cercle des pays producteurs de vin.
Mais les Helvètes, qui habitaient le plateau suisse et qui sont restés attachés à des traditions ancestrales, n’adopteront le vin qu’avec leur intégration dans l’Empire romain. Pour trouver une explication à la résistance de nos ancêtres, il faut relire La Guerre des Gaules où Jules César note que les Belges comme les Helvètes étaient peu portés sur le vin, parce qu’ils se méfiaient des marchands romains qui avaient la réputation de corrompre les esprits. Selon Matthieu Poux, le refus de remplacer la bière par le vin traduirait une forme de résistance à l’influence romaine. On peut aussi y voir la trace des tensions qui devaient exister entre des sociétés gauloises qui se démocratisaient sur le modèle romain, et d’autres qui restaient plus attachées à leurs valeurs traditionnelles.
Arrivés tard dans le commerce du vin, les Celtes romanisés ou gallo-romains ont très vite rivalisé avec leurs maîtres. A tel point que Rome doit vite limiter les exportations de vins gaulois, pour protéger ses producteurs qui subissaient une trop forte concurrence.
La Suisse romande a-t-elle participé à cette culture du vin gaulois à grande échelle? La réponse est non. «Il n’y a pas de trace archéologique d’une production importante de vin sur les côtes suisses du Léman», répond Daniel Paunier, professeur honoraire d’archéologie gallo-romaine à l’UNIL. On a bien retrouvé des tonneaux, quelques outils nécessaires au travail de la vigne comme cette faucille de Nyon, et même des grains de raisin. «Ce n’est pas parce que les archéologues n’ont rien trouvé pour l’instant qu’ils ne trouveront jamais. Mais pour l’instant, la production de vin en Suisse n’est guère attestée: il faut se contenter d’un minimum d’indices.»