Rencontre avec Caroline Anderes, en complément de l’article paru dans Allez savoir ! 61 (septembre 2015).
Quel est la genèse votre ouvrage, qui vient de paraître aux Cahiers d’archéologie romande ?
Mon mémoire de licence en archéologie, terminé en 2002, portait sur la tabletterie gallo-romaine du Musée romain de Lausanne-Vidy. Ce dernier m’a mandaté pour approfondir ce travail, au-delà des objets déjà reconnus en tant qu’artefacts. Dans ce but, j’ai exploré la faune du site de Lousonna. C’est à dire les restes d’origine animale.
Comment avez-vous procédé ?
Lors des fouilles, les archéologues décapent des couches. Tout ce qui est trouvé dans un niveau se voit attribuer un numéro d’inventaire, avant d’être placé dans des sachets. Ces derniers, mis en cartons, remplissent des mètres et des mètres dans des entrepôts. J’ai ouvert un à un ce qui provenait du vicus de Lousonna. Il a fallu trier patiemment parmi la céramique et l’os…
Pourquoi ?
Parfois, les archéologues doivent effectuer des fouilles de sauvetage. C’est arrivé à Vidy avant la construction de l’autoroute, en 1964. Dans ce genre de cas, faute de temps et de moyens, les fouilles ne sont pas élaborées. C’est à dire que le minutieux travail de nettoyage, de tri et d’inventaire post-fouilles n’a pas été fait. Ces situations d’urgence empêchent de connaître de quelle couche, donc de quelle époque, proviennent les objets. La valeur scientifique a été détruite. D’autre fois, par méconnaissance, des artefacts de tabletterie n’ont pas été reconnus en tant que tels. En effet, cet artisanat suscitait très peu d’intérêt dans le passé. Toutefois, trois mémoires de licence de l’UNIL, dont le mien, ont porté sur ce sujet. Un pôle de compétences se développe petit à petit. De plus, j’ai donné des cours d’introduction à la tabletterie aux étudiants en archéologie, afin de les sensibiliser à cette question.
Il existe très peu de publications sur la tabletterie. Pourquoi ?
C’est une lacune comme il en existe quelques-unes en archéologie. Il faut dire que l’archéologie moderne, née dans les années 60, avait besoin de marqueurs temporels. Les pièces de monnaie le sont, tout comme la céramique. Grâce à cette dernière, vous pouvez parfois dater une couche à cinq ans près. La tabletterie ne permet pas cela.
D’où vient votre intérêt pour cet artisanat ?
Ces objets sont des tremplins vers la vie quotidienne. J’aime l’idée de renouer avec cette matière première à priori ingrate. La tabletterie existe depuis des millénaires. Ainsi, ma grand-mère possédait des crochets en os dans son nécessaire de couture. Maintenant, le plastique a remplacé les matières animales et les connaissances se perdent.
Dans votre ouvrage, vous donnez de nombreux détails sur les techniques des tabletiers. Avez-vous pratiqué l’archéologie expérimentale ?
Pas personnellement. Mais dans le cadre d’une recherche archéo-anthropologique menée à l’UNIL en 2004, j’ai pu me rendre au Népal. J’y ai rencontré des artisans en tabletterie qui travaillent – un peu – comme à l’époque gallo-romaine. Même si les tours ne sont plus actionnés à la main, mais grâce à un moteur. Dans la vieille ville de Katmandou, j’ai pu voir que les ateliers sont très petits. Dans l’un d’eux, il n’y avait aucune odeur, malgré les problèmes que peut poser la matière première, qui provient des abattoirs. Dans d’autres endroits, c’était beaucoup plus pénible. La tabletterie peut donc être une source de nuisances pour le voisinage. C’était probablement le cas à Lousonna déjà.