Il y a 65 millions d’années, juste avant la disparition des dinosaures, il faisait 10 degrés de plus qu’à notre époque. Et au miocène, il y a 15 millions d’années, la région lausannoise avait un climat méditerranéen, rappelle Torsten Vennemann. Ce professeur de géosciences à l’UNIL reconstitue le climat du passé afin de mieux comprendre celui qui nous attend dans le futur. Il nous raconte ces autres périodes chaudes.
C’est difficile à croire. Et pourtant: à l’endroit où se trouve actuellement la ville de Lausanne, s’étendait une mer, relativement peu profonde, peuplée de requins et sur les bords de laquelle se prélassaient des crocodiles et des hippopotames.
Un peu plus loin, en direction de ce qui deviendra la Berne fédérale, des antilopes croisaient des éléphants entre les palmiers. La température était douce, proche de celle que connaissent aujourd’hui les pays méditerranéens.
Des archives climatiques
Nous sommes en fait à l’ère tertiaire. Plus particulièrement pendant la période du miocène, qui s’étend de 25 à 5 millions d’années avant nos jours. C’est à cette époque très lointaine que s’intéresse Torsten Vennemann, professeur de géosciences et directeur du laboratoire des isotopes stables de l’UNIL.
Puisant dans des archives un peu spéciales – puisqu’elles sont constituées de sédiments marins et terrestres ou de fossiles – le chercheur reconstitue le climat passé de notre planète. «Le climat ancien, souligne-t-il, contient les clés pour l’avenir.» C’est dire l’intérêt de ses recherches en ce début du XXIe siècle où l’on s’inquiète du réchauffement climatique et surtout de ses conséquences sur les populations et l’environnement.
Par le passé, la Terre a déjà respiré l’air du futur
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Torsten Vennemann a choisi de se pencher sur le tertiaire (– 50 millions à – 5 millions d’années). Pendant cette période, en effet, l’atmosphère renfermait environ deux fois plus de CO2 qu’aujourd’hui. Or, au rythme où vont les activités humaines et les émissions de gaz à effet de serre, les experts prévoient que la teneur en gaz carbonique devrait doubler dans les cinquante ou soixante prochaines années. Le climat pourrait alors ressembler à ce qu’il était durant certaines périodes du tertiaire.
Certes, on ne risque pas de revoir des crocodiles ou des rhinocéros sur les bords du Léman, mais le paysage pourrait être à l’image de celui des actuels pays du sud de l’Europe.
Il y a déjà eu trois refroidissements majeurs
Au cours de son histoire, et bien avant que les hominidés n’y apparaissent, la Terre a connu de nombreux changements climatiques. Au cours des 600 derniers millions d’années, trois refroidissements majeurs se sont produits, entrecoupés de périodes beaucoup plus chaudes qu’aujourd’hui.
C’est ainsi qu’il y a 65 millions d’années, juste avant la disparition des dinosaures, il faisait en moyenne 25°C à la surface de la Terre – dix degrés de plus qu’aujourd’hui – et les calottes glaciaires des pôles Nord et Sud avaient disparu. Durant chacune de ces grandes phases climatiques dites glaciaires et interglaciaires se produisent des fluctuations plus rapides et d’ampleur plus modeste. C’est ainsi qu’au cours de la phase interglaciaire dans laquelle nous vivons, l’Europe occidentale a connu des périodes particulièrement clémentes, comme celle qui prévalait au Moyen Age, puis une «petite ère glaciaire» qui a culminé à la fin du XVIIe siècle.
De nombreuses raisons expliquent ces variations de la température, que connaissent d’ailleurs d’autres planètes du système solaire, comme Mars. L’un des importants facteurs est d’ordre astronomique: l’enchaînement de périodes glaciaires et interglaciaires dépend en effet des variations de l’orbite terrestre, qui rapport au Soleil. A cela se superposent des événements qui affectent la surface de la planète, comme des éruptions volcaniques qui émettent dans l’atmosphère de grandes quantités de poussières, ou la dérive des continents, qui modifie la circulation générale de l’atmosphère.
Quatre fois plus de CO2 qu’aujourd’hui, sans usines ni voitures
Si la température a connu au cours des âges de nombreux soubresauts, il en a été de même pour les gaz à effet de serre, et notamment pour le dioxyde de carbone et le méthane. Ce qui n’a rien d’étonnant puisque, on ne le sait que trop, ces deux facteurs sont liés. «Dans le passé, on a connu des périodes où il y a eu plus de CO2 qu’aujourd’hui, souligne Torsten Vennemann. Au crétacé notamment (ndlr – l’ère qui s’étend entre – 145 et – 65 millions d’années), il y en a eu jusqu’à quatre fois plus qu’actuellement.» Et au tertiaire, période de prédilection du professeur de l’UNIL, environ deux fois plus.
Pourtant, il n’y avait alors aucun être humain sur terre pour brûler des combustibles fossiles: pas d’automobiles, pas de systèmes de chauffage ni d’usines susceptibles d’accélérer la croissance de l’effet de serre.
D’où venaient donc ces gaz? D’abord, des mouvements des continents qui ont modifié la répartition des océans à la surface de la planète. «Une très grande partie du CO2 est stockée dans l’océan, notamment dans ses couches les plus profondes. Or, au cours du temps, la circulation océanique a changé.»
Des phénomènes naturels peuvent chauffer la planète
Le professeur de géosciences en cite un exemple: «Il y a 7 millions d’années, le passage entre les océans Pacifique et Atlantique, au niveau de ce qui est aujourd’hui l’Amérique centrale, était encore ouvert. Lorsque, plus tard, il s’est trouvé fermé, cela a modifié la circulation des eaux profondes, riches en dioxyde de carbone.» Dans ce cas, les profondeurs de l’océan peuvent stocker de grandes quantités de ce gaz ou au contraire «dégazer» et les rejeter dans l’atmosphère.
Sur la terre ferme aussi, le paysage a changé. La végétation a évolué et, dans certaines régions, la forêt – qui absorbe de grandes quantités de gaz carbonique – a laissé la place à des prairies, moins gourmandes en carbone. Si l’on ajoute à cela les éruptions volcaniques ou «l’altération des roches qui, elle aussi, peut consommer du CO2», on comprendra que de nombreux phénomènes naturels peuvent contribuer à l’augmentation de l’effet de serre.
Connaître la température du passé
Au cours des millénaires, on assiste donc à de fortes fluctuations non seulement de la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère, mais aussi «de la composition isotopique de ce gaz», comme le souligne le professeur de l’UNIL.
Comme de nombreux autres éléments chimiques, le carbone se présente sous la forme de plusieurs isotopes stables (par opposition à ceux qui sont radioactifs), des variétés qui partagent de nombreuses propriétés, mais possèdent des masses atomiques différentes.
Or il se trouve que, dans les substances carbonées, la part relative du carbone 12 et du carbone 13 évolue avec le temps et que ces variations reflètent celles de la température ambiante. L’analyse de la composition isotopique du carbone ou de l’oxygène dans des sédiments et des animaux fossiles fournit ainsi aux chercheurs un très bon outil pour étudier les changements climatiques.
«Cela nous permet, dans les meilleurs cas, de connaître la température avec une précision de 0,2 à 0,5 °C pour les périodes historiques.»
Des crocodiles et des rhinocéros à Lausanne
En utilisant de telles méthodes, Torsten Vennemann et ses collègues ont pu reconstituer le climat qui régnait, dans nos régions, au tertiaire. A l’époque du miocène, raconte le professeur, «la température était proche de celle que connaît actuellement l’Afrique du Nord : entre 20 et 30 °C». Mais déjà, elle était «plus élevée au sud qu’au nord des Alpes, sur lesquelles il y avait d’ailleurs déjà des petits glaciers. Nous pensons que ces différences étaient surtout liées à la circulation des eaux.» En effet, ce qui – bien plus tard – est devenu le canton de Vaud était alors noyé sous une mer peu profonde.
Dans ses eaux nageaient des foraminifères, de très petits animaux marins «semblables à ceux que l’on trouve aujourd’hui dans l’Atlantique ou le Pacifique ». Mais aussi des requins similaires à ceux qui vivent actuellement dans la Méditerranée. Quant à la température de l’eau, «on estime qu’elle atteignait 20 à 22 °C, ce qui est très agréable pour de l’eau de mer», précise en riant Torsten Vennemann.
Sur le littoral, le paysage ne ressemblait en rien à ce qu’il est aujourd’hui: «Il y avait des palmiers partout», précise le professeur. Quant à la faune, elle était notamment composée d’éléphants, de crocodiles, d’hippopotames et d’antilopes.
Un équilibre rompu
Sous l’effet de phénomènes naturels et sans que les êtres humains n’interviennent, le climat a donc connu au cours des âges de sérieuses chutes d’humeur. Mais une telle constatation ne saurait en rien justifier l’évolution – artificielle – que l’on connaît actuellement.
Les changements qui se sont produits dans le passé se sont, pour la plupart, étalés sur des millénaires. Aujourd’hui, il en va autrement et nous sommes en train de rompre les équilibres naturels.
«Nous émettons de grandes quantités de CO2. Or il faut savoir que ce gaz persiste environ cent à deux cents ans dans l’atmosphère, mais qu’il faut compter un millier d’années pour le stocker dans l’océan profond car le mélange des eaux est un processus très lent», précise Torsten Vennemann.
On rejette donc dans l’atmosphère «beaucoup plus de CO2 que la biosphère ne peut en absorber», conclut le chercheur. Autant dire qu’il ne faut pas compter sur lui pour nier les conséquences du changement climatique en cours.
Elisabeth Gordon
A voir:
Les chercheurs de l’UNIL qui travaillent pour le Musée cantonal de géologie ont mis sur pied une expo virtuelle intitulée «Lausanne au temps des palmiers». Par ailleurs, le musée expose en permanence de nombreux fossiles de cette époque.