Un radar placé sur l’autoroute de contournement de Lausanne flashe les chauffards. Il a surtout dénoncé des hommes au volant d’un 4×4 de marque allemande, a découvert Stéphane Johner, un chercheur de l’UNIL. Des statistiques qu’il est utile de connaître, à quelques jours du Salon de l’auto.
Cette année, les adeptes du traditionnel pèlerinage de Genève, au Salon de l’auto, disposeront de données très inhabituelles pour choisir leur nouveau carrosse. Enfin, surtout ceux qui auront lu les lignes qui suivent, puisqu’elles contiennent des informations relatives aux excès de vitesse constatés sur les autoroutes suisses.
Les grosses allemandes font plus d’excès que les autres
Analysées par un chercheur de l’Université de Lausanne (UNIL), le juriste et criminologue Stéphane Johner, ces données montrent, entre autres, que le choix de telle marque de véhicule peut avoir une influence importante dans le risque de se faire coller pour un excès de vitesse.
Stéphane Johner a publié récemment un article dans la revue spécialisée «Criminoscope» où il examinait les corrélations entre excès de vitesse et puissance du véhicule, entre le type de voiture et le comportement au volant.
En clair, les 4×4 de marques de luxe sont surreprésentés dans les grands excès de vitesse. Les grosses allemandes, Mercedes, BMW, Audi, affichent la plus grande proportion de conduite délictueuse avec 30% des amendes pour excès de vitesse de l’échantillon, alors qu’elles ne représentent que le 14,4% du parc automobile en Suisse.
Les japonaises sont beaucoup plus sages
La proportion s’inverse pour les voitures japonaises qui ne comptabilisent que 13,3% des amendes alors qu’elles représentent le 24,4% du parc automobile. Les autres marques européennes ont un taux sensiblement égal d’excès de vitesse et de présence sur les routes suisses, 54,5% et 56,8%.
Autrement dit, plus une voiture est chère, plus son conducteur se permet de dépasser les vitesses autorisées. Le lien entre l’image de la marque et les excès de vitesse n’est pas simplement une question de puissance mais aussi de prestige de la marque.
Les 4×4 font les plus gros excès de vitesse
Les 4×4 de luxe roulent très vite. Parmi les véhicules amendés de cette catégorie, il y a plus de 60% de grands excès de vitesse, au-delà de 150 km/h. «Les voitures de petite taille ont tendance à faire ressentir la vitesse beaucoup plus fortement par le bruit, les vibrations, le sentiment d’instabilité, signaux d’alerte absents chez les véhicules les plus grands qui bénéficient de silence, de confort et d’absence de vibrations», remarque Stéphane Johner.
De plus, l’habitacle largement surélevé et la distance du conducteur par rapport à la route diminuent l’impression de vitesse. La clientèle de ces voitures de luxe se recrute parmi les individus aisés, mais il est difficile de déterminer si cette population se permet plus souvent d’ignorer les limitations de vitesse parce qu’elle sait avoir les moyens d’assumer une amende ou si leur surreprésentation tient au confort de leurs véhicules.
Les conducteurs qui aiment conduire apprécient les voitures belles et rapides. Ils ne considèrent pas la conduite d’une automobile comme un simple moyen de déplacement mais comme un plaisir, voire un sport. Il est compréhensible que ce profil de propriétaire de voiture roule vite.
Femmes au volant, zen au tournant
Paradoxalement, ce sont souvent des femmes qui conduisent ces 4×4 à l’image de véhicules plutôt virils. Mais celles-ci ne commettent pas plus d’excès de vitesse lorsqu’elles se trouvent au volant de ces voitures hautes sur pattes qui leur donnent un sentiment de sécurité que dans une Fiat Panda.
En général, les femmes font moins d’excès de vitesse que les hommes. Par contre, lorsqu’elles franchissent la ligne, elles roulent à la même vitesse que les hommes. La gent féminine représente le 13% des 1000 amendes pour excès de vitesse de l’échantillon de Stéphane Johner. Ce qui est significatif.
Trahis par les radars
Le chercheur de l’UNIL a obtenu ces données d’une manière extrêmement simple. Stéphane Johner a dépouillé personnellement les 1000 photographies prises durant une semaine seulement par un nouveau type de radar fixe placé sur l’autoroute de contournement de Lausanne. Cet appareil flashe systématiquement tout dépassement supérieur à 17 km/h de la vitesse autorisée. Puis il envoie une copie informatique de l’image à la centrale de la police.
Les anciens radars contenaient une pellicule et quand elle était finie, ils ne prenaient plus de photos. La ville de Lausanne est avec Zurich l’une des premières à s’être dotées de ce nouveau matériel beaucoup plus fiable. Le commandant Lehmann a pour projet d’équiper le canton de Vaud d’une centaine de ces radars qui ne manquent pas un seul excès de vitesse et qui, pour le chercheur, présentent aussi l’avantage de l’observation directe et exhaustive.
Ça roule trop vite le week-end
Cette méthode d’investigation a permis de déterminer également un horaire des excès de vitesse. Sans grande surprise, les conducteurs ont tendance à appuyer sur le champignon le samedi et le dimanche, voire déjà le vendredi en fin d’après-midi. En semaine, cette courbe suit assez bien celle des heures de pointe lorsque les Lausannois vont et viennent de leur lieu de travail.
«Il y a une petite baisse aux heures maximales comme 11h, 13h ou 17h à cause des bouchons qui rendent matériellement impossible de faire un excès de vitesse, nuance Stéphane Johner. Mais on ne peut pas généraliser ces résultats car le temps d’observation est trop court.»
Des études à poursuivre
Stéphane Johner n’a pas encore exploité l’ensemble de la base de données qu’il a constituée ni toutes les possibilités de croisements des vingt-cinq variables différentes qu’il a indexées sur chacune des mille photos de son échantillon.
Celles-ci vont de l’origine cantonale ou nationale du véhicule, en passant par le sexe du conducteur, l’utilisation éventuelle d’un téléphone portable, le port de la ceinture de sécurité, le nombre de passagers et les conditions météo.
«Il serait intéressant d’en savoir plus sur le profil des conducteurs qui roulent vite et de mieux connaître le lien entre accident et vitesse, explique Stéphane Johner qui envisage de consacrer son doctorat à ce thème. Mais pour cela, il faut récolter des données sur une période plus longue et à d’autres endroits, par exemple à l’entrée d’un village.
La vitesse est-elle une drogue?
Une telle étude aurait un coût limité, mais elle apporterait une connaissance précieuse du profil des chauffards. Pour l’instant, il n’existe qu’un instrument disponible sur ce terrain, le sondage de délinquance autorévélé auquel les sondés répondent librement sans risque de sanctions policières. Avec tous les biais que cela suppose.
Qui sait, la vitesse est peut-être une addiction, comme une drogue: ces informations intéresseront sans doute les assureurs. Les conducteurs de véhicules de location, par exemple, commettent plus d’excès de vitesse que les autres et notamment que les conducteurs de voitures étrangères. Une voiture louée leur donne-t-elle le sentiment d’être à l’abri d’une sanction?
«Dans ce cas, ce serait un bel exemple de certitude subjective de la peine, estime Stéphane Johner. Ce mécanisme est sans doute encore plus fort pour les voitures à plaques diplomatiques qui jouissent d’une quasi-immunité.»
Giuseppe Melillo
Un domaine peu étudié
La vitesse est grisante. Au volant, elle peut être dangereuse. Fondamentalement, pourtant, personne ne connaît le lien entre vitesse et accident. «C’est un domaine dans lequel il n’existe pratiquement pas de littérature en Suisse. Contrairement à l’alcool au volant bien connu et largement médiatisé, cette problématique n’est pas étudiée, remarque le juriste Stéphane Johner, qui vient de signer un mémoire de master sur le sujet à l’UNIL.
Ce thème n’est pourtant pas un terrain vierge. La Grande-Bretagne est l’un des pays européens qui a le plus faible taux d’accidents de la route. Ce n’est pas parce que les Anglais roulent à gauche. En fait, les sujets de sa Gracieuse Majesté s’intéressent depuis longtemps aux effets de la vitesse sur les routes. Leur littérature est abondante.