Grâce à l’analyse d’échantillons recueillis dans les stations d’épuration de 13 villes suisses, il est possible d’estimer la consommation de stupéfiants. Des scientifiques de l’Ecole des sciences criminelles mènent une étude depuis 2014.
En 2005, des chercheurs italiens ont effectué pour la première fois l’analyse des eaux usées d’une ville afin de déterminer la consommation en cocaïne. En allant regarder ce qui se déverse dans les stations d’épuration des agglomérations. L’expérience s’est élargie au niveau international et la Suisse participe activement à l’étude appelée SCORE avec l’EMCDDA (European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction) qui réunit plus de 80 cités. A l’UNIL, sous l’impulsion des professeurs Pierre Esseiva et Olivier Delémont de l’Ecole des sciences criminelles (ESC), les doctorants Frédéric Béen et Lisa Benaglia sont allés mettre le nez dans des échantillons d’eaux usées de 13 centres urbains helvétiques. «L’étude a débuté en 2014 et les premiers résultats sont sortis deux ans plus tard, explique Lisa Benaglia, assistante diplômée et doctorante à l’ESC. Nous avons été publiés dans la revue Drug and Alcohol Dependence. Il s’agit véritablement d’un nouvel indicateur de la mesure de consommation de stupéfiants.»
Les doctorants ont analysé les prélèvements effectués dans les stations d’épuration sur une journée – «un préleveur relié à un tuyau récolte une certaine quantité d’eau toutes les cinq minutes, toujours au même endroit, durant 24 heures»–sur une semaine, pour repérer des traces de cocaïne, MDMA (ecstasy), amphétamine et méthamphétamine. Résultats: 8,8 kilos de cocaïne pure seraient absorbés chaque jour en Suisse. «Ce qui représente 22 kilos de cocaïne à la pureté que l’on retrouve dans la rue, souligne Lisa Benaglia. Ce que l’on retrouve en une journée dans les eaux usées est censé être représentatif de tout ce qui a été consommé par la population qui contribue à ces eaux usées. Il s’agit néanmoins d’estimations.»
Et que traque-t-on précisément dans les eaux usées? Les métabolites. «Quand on ingère une substance, par voie orale, sniff, fumigation ou en intraveineuse, elle se distribue dans tout l’organisme, explique la doctorante. Pour pouvoir l’éliminer, le corps va la métaboliser, partiellement ou complètement, et donc former des métabolites. Par exemple, pour la cocaïne, la substance dite parent, le corps produit de la benzoylecgonine, son métabolite.»
Le protocole établi permet également d’observer les tendances de consommation hebdomadaires. L’ecstasy est préférée le week-end, tandis que la méthamphétamine se prend toute la semaine. «La MDMA, considérée comme festive, est plutôt consommée par des personnes qui sortent, d’après nos hypothèses. Alors que la méthamphétamine, plus addictive, indique une courbe plus homogène tout au long de la semaine.» Les analyses confirment les observations de la police: la est présente uniquement dans le nord-ouest de la Suisse. Et surtout à Neuchâtel qui est, en 2015, la 5e ville sur les plus de 80 étudiées dans le monde, la plus touchée par la meth, loin devant Montréal (75e), Paris (58e) ou Amsterdam (26e). En tête du triste classement, on découvre dans l’ordre Oslo, Dresde et Canberra.
La doctorante ajoute que même si cette drogue est moins implantée en Suisse que les autres, elle amène de sérieux problèmes de santé publique. «Il faut rester vigilant, car si la qualité de la cocaïne diminue, que l’amphétamine et l’ecstasy deviennent moins disponibles, les consommateurs se déplaceront éventuellement vers la méthamphétamine.»
1) Perspectives on drugs: waste water analysis and drugs — results from a European multi-city study. European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction. www.emcdda.europa.eu/topics/pods/waste-water-analysis
2) Assessing geographical differences in illicit drug consumption – A comparison of results from epidemiological and waste water data in Germany and Switzerland. F. Béen, L. Bijlsma, L. Benaglia, J.-D. Berset, A. M. Botero-Coy, S. Castiglioni, L. Kraus, F. Zobel, M. P. Schaub, A. Bücheli, F. Hernández, O. Delémont, P. Esseiva, and C. Ort. Drug and Alcohol Dependence, 161:189–199, 2016.
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