A la fin des années 1980, les pédiatres ne pouvaient rien faire pour un enfant né avant 28 semaines de grossesse. Aujourd’hui, la frontière entre la vie et la mort est à 25 semaines. Voilà qui en dit long sur les progrès réalisés. Désormais, les bébés qui voient le jour après la 32 e semaine de gestation, ou qui pèsent plus de deux kilogrammes, ont un taux de survie identique à celui des enfants nés à terme. Et beaucoup moins de handicaps qu’on le croit. Bonne nouvelle, quand on sait qu’un bébé sur 10 naissances est un prématuré.
Dans quelle commune le premier bébé suisse de 2008 verra-t-il le jour? Comme chaque année, les paris sont ouverts. Ce qui est sûr, c’est qu’il aura une chance sur dix d’être un prématuré. Il y a une vingtaine d’années, cette nouvelle aurait été inquiétante. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
La surveillance de la mère et du fœtus ainsi que la prise en charge des nouveau-nés avant terme ont fait de tels progrès que la mortalité et les séquelles ont considérablement diminué. Tour d’horizon des préjugés à revoir avec le néonatologue Jean-François Tolsa et Yvan Vial, obstétricien, au CHUV.
1 – Tous les prématurés sont des enfants à haut risque
Bien au contraire. Aujourd’hui, les bébés qui voient le jour après la 32e semaine de gestation, ou qui pèsent plus de deux kilogrammes, ont un taux de survie identique à celui des enfants nés à terme. Encore faut-il s’entendre sur les mots. Une naissance est dite «à terme» lorsqu’elle se produit entre 37 et 42 semaines de grossesse.
Tout bébé né à moins de 37 semaines accomplies est donc considéré comme prématuré. Sous ce terme se cachent toutefois des situations forts différentes, qui dépendent du stade de développement du fœtus. On l’imagine volontiers, la problématique n’est pas la même si l’accouchement a lieu dans une période assez proche du terme, entre la 32e et la 37e semaine de gestation, ou s’il se produit entre 28 et 32 semaines. On parle alors de «grand prématuré», et de «prématuré extrême» quand le nouveau-né arrive après 24 à 28 semaines. «Il ne faut toutefois pas banaliser les risques d’une naissance entre 32 et 37 semaines», précise Jean-François Tolsa, médecin-chef ad interim de la Division de néonatologie du CHUV.
La «limite de viabilité»
On peut aussi classer les bébés en fonction de leur poids à la naissance. Cet élément a «aussi une influence sur le pronostic», explique le spécialiste de néonatologie. Mais ce facteur, qui peut être dû à un retard de croissance intra-utérin, est moins important que la durée de gestation, période pendant laquelle on assiste à «la maturation des organes» du fœtus.
A partir de la 12e semaine et jusqu’à terme, ce dernier acquiert en effet ce que les médecins nomment son «individualisation physiologique»: dans l’utérus, il bouge, il fait des mouvements respiratoires, il règle sa circulation, il secrète des hormones, il avale et il urine. Vers la 25e semaine, ce processus est suffisamment avancé pour que, dans certains cas, la vie extra-utérine soit possible. Les spécialistes estiment toutefois qu’il s’agit là de la «limite de viabilité».
Amilia, ce «bébé miracle» de 284 grammes
Certes, il est parfois possible d’aller au-delà, comme le montre la minuscule Amilia, née en octobre 2006, au Baptist Children’s Hospital de Miami. Ce «bébé miracle», selon les termes des médecins américains qui l’ont prise en charge, a vu le jour après 22 semaines de grossesse et, à sa naissance, elle ne mesurait que 24,1 centimètres, et ne pesait que 284 grammes!
«C’est l’exception qui confirme la règle», commente Yvan Vial, responsable de l’Unité échographie et médecine fœtale du CHUV. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si ce record a été enregistré aux Etats-Unis, car, dans ce pays, la «pression médico-légale est importante» pour maintenir en vie les patients, même dans des cas a priori désespérés, précise l’obstétricien. Amilia a eu de la chance car à cet âge-là, «la majorité des enfants décède ou garde des séquelles».
2 – Un grand prématuré souffrira plus tard de graves handicaps
Une fois encore, tout dépend du degré de prématurité. Chez les enfants nés avant terme, la principale difficulté est «l’adaptation du cerveau», explique Jean-François Tolsa. Cet organe ne doit souffrir ni d’un manque d’oxygène, ni d’une insuffisance de perfusion sanguine – lesquels sont liés au développement des systèmes cardiovasculaire et pulmonaire. Ce problème «est le même pour toutes les classes de prématurés, ajoute le médecin, mais les risques augmentent en fonction du degré de prématurité».
Les enfants nés entre 22 et 23 semaines ont ainsi un risque de décéder à la naissance estimé à environ 98%. Mais ces cas sont tellement rares «que l’on n’a pas de chiffres exacts», souligne le spécialiste de néonatologie. En revanche, entre 24 et 28 semaines, 30 à 80% des enfants survivent – un taux qui atteint 90 à 95% entre 28 et 32 semaines et 97% au-delà de 34 semaines.
Des progrès spectaculaires
On peut mesurer la vitesse des progrès accomplis lorsque Jean-François Tolsa précise que, pour ces prématurés extrêmes, «entre 1980 et 2000, le taux de mortalité est passé, à Lausanne, de 60% à 20%». «Lorsque j’ai commencé ma carrière à la fin des années 1980, renchérit Yvan Vial, les pédiatres disaient qu’ils ne pouvaient rien faire lorsqu’ils se trouvaient face à un enfant né avant 28 semaines de grossesse. Aujourd’hui, on en est à 25 semaines.» Trois semaines de différence, cela peut paraître peu. Mais «en termes de maturité de l’enfant, précise l’obstétricien, c’est énorme et à ce stade, chaque jour gagné est un bon jour».
Reste la délicate question du devenir de ces enfants. «Lorsque le CHUV a ouvert son premier service de néonatologie, dans les années 1960, on s’est posé la question», précise Jean-François Tolsa. Dès 1971, les professeurs Louis Samuel Prod’hom et André Calame ont ainsi créé une unité chargée de «suivre l’évolution de ces enfants nés trop tôt; c’était alors la première en Europe».
Peu de handicaps sévères
Les prématurés y sont régulièrement suivis à des âges clés: à 6, 12 et 18 mois, puis à 3, 5 et 9 ans. Grâce à cette surveillance, on peut aujourd’hui conclure que, «selon l’âge de gestation de départ, 3 à 5% des survivants souffrent de handicaps sévères tels que des infirmités d’origine cérébrale ou de graves troubles du développement. C’est peu en absolu, constate le spécialiste de néonatologie, mais c’est encore trop et nous devons rester humbles et modestes.»
Quant aux handicaps dits «mineurs» – troubles légers de la vision et de l’audition, troubles des apprentissages, etc. – «on pensait auparavant qu’ils affectaient 15 à 20% des enfants. Aujourd’hui, on parle de 30 à 40%.» La différence tient sans doute essentiellement à la définition du trouble mineur, que Jean-François Tolsa juge «imprécise». Elle évolue en outre au cours du temps: un enfant considéré aujourd’hui comme hyperactif était, il y a vingt ans, tout simplement réputé turbulent.
3 – A l’adolescence, les prématurés ont des difficultés d’apprentissage
Ce n’est pas ce qui ressort de la thèse de Barbara Monget, chercheuse à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL qui a consacré son travail de doctorat au devenir, à l’adolescence, des prématurés. Parmi les 246 enfants pesant moins de 1500 grammes (ce qui correspond généralement à ceux qui ont vu le jour avant 28 à 30 semaines de gestation), nés aux CHUV et hospitalisés dans la division de néonatologie entre 1976 et 1981, elle en a examiné 105, qui ne souffraient d’aucun handicap sévère. Ils avaient alors entre 15 et 21 ans.
«Dans l’ensemble, souligne la jeune femme médecin, les anciens prématurés sont en bonne santé.» Certes, elle a constaté que «60% de ces adolescents ont des troubles visuels mineurs et 27% des troubles de la motricité fine ou grossière». Mais ils n’ont pas de difficultés majeures à l’école.
A 16 ans, il n’y a pas de différence avec les autres élèves
Si, à dix ans, ils ont plus de retard scolaire que la moyenne vaudoise, «à 16 ans, cette différence a disparu; par contre, ils sont moins nombreux à poursuivre des études supérieures entre 16 et 19 ans (24% contre 35% dans la population générale)».
Barbara Monget note aussi que dans leur grande majorité (93%), ces jeunes «ont une bonne estime d’eux-mêmes. Comparés au groupe témoin, ils ont moins d’idées suicidaires, de comportements déviants ou à risque et consomment moins d’alcool et de haschich.» Et le médecin de conclure: «Malgré des problèmes somatiques et neurologiques plus fréquents, les anciens prématurés ont une insertion socioprofessionnelle satisfaisante et estiment avoir une bonne qualité de vie.»
4 – C’est parce que les mères sont plus vieilles que leurs enfants naissent trop tôt
Il est vrai que l’âge moyen des mères a augmenté en Suisse ces dix dernières années, passant d’environ 28 à 31 ans. Cela «entraîne une augmentation des complications de la grossesse ainsi que le risque d’accoucher prématurément», constatent Yvan Vial et Jean-François Tolsa. Mais ce n’est là qu’un des nombreux facteurs qui favorisent les naissances avant terme.
Parmi les diverses causes de la prématurité, le néonatologue cite d’abord «les infections, bactériennes ou virales, principalement des voies génitales basses». Mais il arrive aussi qu’une infection rénale, urinaire ou même une sinusite ou un état grippal conduisent à une inflammation pouvant engendrer des contractions de l’utérus.
A cela il faut ajouter les grossesses multiples: qu’elles soient naturelles ou qu’elles résultent d’un traitement de procréation médicalement assisté, elles sont responsables d’environ un quart des naissances prématurées. Il faut aussi inclure certaines malformations ou syndromes du fœtus qui empêchent ce dernier de bien se développer: dans ces circonstances, les médecins peuvent être conduits à provoquer, volontairement, l’accouchement avant terme.
Ils peuvent aussi être amenés à prendre cette décision dans d’autres situations. Notamment lorsque la mère a un utérus mal formé et qui «n’est pas assez souple pour se distendre normalement», comme le précise Yvan Vial. Sans compter, ajoute l’obstétricien, que certaines naissances prématurées sont dues au «stress» de la mère, ou à des «conditions socio-économiques»: il est bien connu qu’une femme qui est obligée de porter régulièrement de lourdes charges risque d’accoucher avant terme.
5 – La Suisse est l’une des championnes des prématurés en Europe
C’est en effet ce qui ressort d’une étude publiée, en juillet dernier, par l’Office fédéral de la statistique. Selon cette enquête, la Suisse, avec 9% d’enfants nés avant terme, arriverait en deuxième position après l’Autriche.
Cette enquête provoque toutefois un certain scepticisme de la part de Jean-François Tolsa. Ce dernier remarque en effet que les conclusions de l’Office reposent sur une étude rétrospective incluant seulement 63 000 des quelque 72 000 naissances annoncées en 2004. «Environ 13% des données n’étaient pas suffisamment fiables pour entrer dans cette étude», ce qui en fausse partiellement les résultats.
Des données incomplètes
Surtout, le néonatologue du CHUV s’interroge sur les données de base utilisées pour mener cette enquête: «L’enregistrement systématique de l’âge de gestation pour toutes les naissances intervenant en Suisse n’a commencé qu’au 1er janvier 2007.» On peut donc sérieusement douter de la pertinence de ces statistiques et sur le résultat de comparaisons avec des pays qui, eux non plus, «n’enregistrent pas les durées de gestation».
«Ce n’est donc qu’à partir de 2008 que nous disposerons d’une statistique précise sur le nombre de prématurés dans notre pays et que nous pourrons faire des comparaisons dans la durée. Attendons, avant de distribuer des médailles!» conclut le médecin.
Entre 7 et 10% de prématurés
En patientant, on en est réduit aux estimations selon lesquelles le taux de prématurés se situerait entre 7% et 10% en Europe occidentale. Au CHUV, cette proportion – qui est d’ailleurs restée quasiment constante au cours des dix dernières années – oscille entre 13% et 15%. N’allez pas croire que l’hôpital vaudois est un champion en la matière. Ce taux élevé de prématurés s’explique simplement par le fait que ses services d’obstétrique et de néonatologie font du CHUV un Centre périnatal de référence. C’est donc vers lui que sont acheminées toutes les femmes de Suisse romande qui à la maternité du CHUV ont des grossesses à risque, à l’exception de celles habitant dans le canton de Genève.
6 – Les médecins ont tendance à faire de l’acharnement thérapeutique
Jean-François Tolsa tient à mettre les choses au point: «Certaines familles craignent que l’on soit jusqu’au-boutiste. Ce n’est pas le cas, nous ne faisons pas d’acharnement thérapeutique.» Les médecins suisses peuvent en effet s’appuyer sur les recommandations éthiques de l’Académie Suisse des Sciences Médicales et de la Société Suisse de Néonatologie. Celles-ci précisent que «sur la base des données actuellement disponibles sur la mortalité et la morbidité à long terme, la prise en charge des prématurés d’un âge de gestation inférieur à 24 semaines devra en règle générale se limiter à des mesures palliatives». Au-delà de 24 semaines, «la décision quant à la pertinence d’une prise en charge intensive incombe à une équipe de néonatologie expérimentée».
Ces règles éthiques sont «une des qualités de notre système», souligne le médecin vaudois qui constate que dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis, le personnel médical soignant et les parents n’ont pas le choix.
Estimer les chances
Au CHUV comme dans les autres hôpitaux suisses, il revient donc aux soignants d’estimer «raisonnablement» les chances et les risques de l’enfant. «Les discussions se font toujours dans le cadre d’équipes pluridisciplinaires, souligne Yvan Vial. Aucun d’entre nous ne prend de décision dans son coin.» Ensuite, «nous informons les parents des risques qu’encourt leur enfant et nous tenons compte de leur avis», poursuit Jean-François Tolsa. Mais, afin d’éviter aux parents le trop gros poids psychologique que représente une telle décision, c’est en général «nous qui la prenons».
Il arrive toutefois qu’un père et une mère refusent l’avis de l’équipe médicale, et lui demandent de continuer à traiter leur bébé. Corine Stadelmann-Diaw, infirmière clinicienne qui travaille depuis vingt ans au service de néonatologie du CHUV, se souvient de situations où «les parents s’étaient fortement opposés à l’arrêt des soins. Mais au bout de quelques semaines, voyant que leur enfant n’allait pas mieux, ils ont demandé de pouvoir rediscuter avec l’équipe médicale. Ils avaient simplement besoin d’un peu plus de temps.»
«L’aspect difficile de notre métier»
Reste que, selon Jean-François Tolsa, prendre la décision de cesser de traiter un prématuré «représente l’aspect difficile de notre métier. Il ne faut pas que cela arrive trop souvent.» Corinne Stadelmann-Diaw souligne aussi qu’il est «difficile d’être placé face au décès d’un individu qui est au début de sa vie». Mais, en contrepartie, l’infirmière éprouve aussi «de grandes satisfactions» dans son travail, car, dit-elle, «nous avons de nombreux retours des parents qui viennent nous voir pour nous montrer ce que sont devenus leurs enfants».
Car si les prématurés, dans les premiers jours ou semaines de leur vie, nécessitent un suivi médical, et même parfois des soins intensifs, dans leur majorité, ils deviennent ensuite des enfants comme les autres.
Elisabeth Gordon
Merci pour tous vos soins donné à Rémy né le 5 septembre 2009. Non seulement de tout ce qui est de l’inimaginable machine de soins au niveau de la survie de Rémy. Mais de vous tous chaque professeur, infirmière, aide, stagiaire, ou de son médecin référant Dr Piol; merci au service de neurochirurgie à Madame Lambelet, service social, merci de votre incroyable façon d’être aussi beau dans vos personnes d’Amour de la confiance que vous témoignée à Rémy de votre soutien au niveau familial, jamais je n’oublierai. Rémy est ne à 26s et il nous a quand même pas laisser beaucoup de répit durant son hospitalisation. Aujourd’hui c’est petit garçon extraordinaire, merci ! Katia