Il n’y a plus de théories du complot, il n’y aurait plus que des complotistes. Il suffit, pour s’en persuader, d’observer que tous les «vilains» de la planète héritent de la nouvelle maladie honteuse. On pense ici à Donald Trump et à son goût pour les fake news et autres «faits alternatifs», mais pas seulement. Le gouvernement français a également utilisé cet élément de langage pour tenter de disqualifier les revendications des gilets jaunes.
La nuance est d’importance, puisque le complotiste désigne désormais, dans le meilleur des cas, un imbécile qui croit que la Terre est plate, que les fumées des avions nous empoisonnent, ou que nous sommes envahis par les Reptiliens. Et dans le pire des cas, le complotiste serait un raciste qui imagine que des minorités religieuses (souvent les Juifs, avant les jésuites) jouent les chefs d’orchestre dans l’ombre.
Comment expliquer cette transformation subite de la paranoïa en péché capital, alors qu’elle était culte dans les années 90, quand la série TV X-Files passionnait la planète? Osons une hypothèse: les complotistes sont devenus infréquentables depuis que les «comploteurs» ont changé. Depuis quelques décennies, en effet, les théoriciens du complot s’intéressent beaucoup moins aux minorités religieuses et aux sociétés secrètes (francs-maçons, Illuminati…), et ils se méfient beaucoup plus des élites, comme l’expliquent deux chercheurs de l’UNIL dans ce numéro, où nous avons essayé de comprendre comment on peut croire sérieusement que les Américains n’ont pas marché sur la Lune.
Les théories du complot qui fleurissent actuellement sur Internet mettent majoritairement en cause l’appareil d’État, qui serait aidé dans son travail de dissimulation par les grands médias et les scientifiques. Ces nouvelles théories du complot témoignent d’une crise de confiance massive dans les «habituels producteurs de vérités», qui ont réagi en criant au «complotisme».
Pourtant, l’affaire n’est pas aussi simple. Depuis que nous sommes entrés dans l’ère de la transparence, des archives qui s’ouvrent et des révélations massives par les Leaks, nous avons eu la confirmation de plusieurs théories du complot. Nous savons que la mythique base militaire secrète Area 51 n’est pas une invention conspirationniste. Nous savons qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive dans l’Irak de Saddam Hussein, contrairement à ce que prétendaient les envoyés américains à la tribune des Nations Unies. Nous savons que l’espionnage se pratique à une échelle industrielle via Internet. Et nous entendons parler tous les jours de cette enquête menée aux États-Unis contre des hackers russes qui seraient intervenus dans la dernière élection présidentielle.
Autant de révélations qui montrent que le défi des années à venir ne sera pas de chercher un nouveau mot en –iste ou en –phobe pour disqualifier les théories du complot en vrac, mais de trouver la bonne manière de répondre à celles qui sont fausses, et de traiter celles qui se révèlent exactes, car, dans la masse, il y en a quelques-unes. Ce sera plus efficace pour rétablir la confiance, mais c’est autrement plus difficile.