Ce n’était pas seulement un ressenti. Nous vivons bien dans une surenchère de la peur. Depuis l’an 2000, les titres anxiogènes ont progressé de 150% dans une cinquantaine de médias de première importance, quel que soit leur bord politique. Bien sûr, cette statistique est tirée d’une récente étude américaine, mais il y a à craindre que la situation soit très comparable en Europe et en Suisse. La succession de crises que nous avons traversées ces dernières années ne suffit pas à expliquer ce phénomène. L’étude montre en effet que chaque terme négatif rédigé dans le titre d’un article augmente le nombre de vues de 2,3% (voir l’exemple ci-dessus;-).
Cette instrumentalisation de la peur n’est pas seulement une spécialité médiatique. La rhétorique de la fin du monde est aussi devenue un réflexe chez les lanceurs d’alerte en tous genres. De la crainte du bug de l’an 2000 à celle de «la nourriture de Frankenstein», en passant par l’horloge de l’apocalypse qui mesure les minutes qui nous restent avant l’extinction, les exemples se sont multipliés en deux décennies dans des domaines aussi divers que l’informatique, la génétique, l’écologie et la politique, sans oublier la médecine, lors de la récente pandémie.
Peur mauvaise conseillère
Mais la recette qui consiste à apeurer pour alerter a ses limites. La peur étant parfois mauvaise conseillère, elle peut aussi pousser les lectrices et les lecteurs à l’à-quoi-bonisme, ou encore à ouvrir une bouteille plutôt que de s’engager pour telle ou telle cause. C’est particulièrement dommage dans des domaines où les gestes comptent encore. Vous en trouverez des exemples dans ce magazine, en matière de biodiversité : car la situation de nombreuses espèces d’oiseaux s’améliore un peu en Suisse, et nous y sommes pour quelque chose.
Un professeur de l’UNIL et ses équipes posent des centaines de nichoirs pour des rapaces qui cherchent des endroits sécurisés où se reproduire. Alexandre Roulin les installe souvent dans des fermes, et il mesure à quel point les mentalités ont changé, quand on sait que des chouettes étaient encore clouées sur les portes des granges, il y a quelques décennies (lire l’article).
Des comportements qui soignent
De son côté, l’ornithologue Lionel Maumary rappelle l’urgence de limiter la destruction des habitats. L’île aux oiseaux, à Préverenges, a d’ailleurs été construite pour offrir un havre aux petits échassiers, aux sternes, guifettes, mouettes et autres migrateurs qui ne trouvaient pratiquement plus de biotopes de ce genre au bord du Léman. Ces grands voyageurs ont très vite adopté la zone, où ils s’installent en ambassadeurs des beautés de la nature.
Dans ces deux histoires, la recette employée pour faire évoluer les mentalités n’a pas consisté à agiter des peurs de fin du monde, mais à populariser des comportements qui soignent. Et leur impact est visible. C’est tout l’intérêt des oiseaux: ils s’adaptent si vite aux changements de leur environnement qu’ils nous permettent de mesurer, durant une vie humaine, à quel point certains gestes sont importants. Et là encore, ce n’est pas un ressenti. /