Nutrigénomique

«Dis-moi quel est ton héritage génétique, je te dirai ce que tu dois manger.» Une promesse qui pourrait, d’ici à quelques années, devenir réalité grâce à la nutrigénomique. Cette science, relativement nouvelle, s’intéresse aux interactions entre le génome et l’alimentation.

L’importance de la nourriture pour la santé, ainsi que pour la prévention de maladies cardio-métaboliques comme le diabète, l’hypertension ou l’infarctus du myocarde, est connue depuis longtemps. Mais la possibilité, depuis les années 2000, de séquencer le génome humain complet, la baisse drastique des coûts de l’opération – passés de près de 1 million de dollars à 1000 dollars en l’espace de 15 ans – et le développement de technologies comme la bioinformatique permettent aujourd’hui d’étudier les liens entre le génome (ensemble de l’information génétique) et l’alimentation de manière bien plus approfondie.

Nos gènes peuvent en effet fortement influencer la façon dont nous métabolisons les nutriments. «Il existe une multitude d’aliments face auxquels nous ne sommes pas tous égaux», affirme Murielle Bochud, médecin-cheffe à l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive. La scientifique travaille actuellement sur la sensibilité à la caféine et au sel. En fonction des variations génétiques portées, le métabolisme de ces deux substances, et donc les conséquences sur la santé, peuvent fortement varier d’un individu à l’autre. Ses recherches montrent également que la caféine semble avoir un effet protecteur contre l’hypertension artérielle, ce qui est plutôt «contre-intuitif», concède la spécialiste en épidémiologie génétique. «Nous tentons actuellement de déterminer si cet effet positif peut varier en fonction du génome de chacun.»

Fondateur du Centre intégratif de génomique de l’UNIL et auteur d’un ouvrage sur la nutrigénomique*, Walter Wahli étudie la manière dont le foie, au niveau génétique, répond à des changements brusques de nourriture. In utero, le bébé est en effet exposé à une alimentation riche en sucres puis, à la naissance, il commence à s’alimenter avec du lait, bien plus gras. «L’adaptation du système métabolique doit se faire presque instantanément», affirme le professeur honoraire à l’UNIL. Puis vient le sevrage, au cours duquel les sucres redeviennent prépondérants. «Nous avons découvert qu’à la fin de la gestation, le foie se prépare déjà à recevoir une nourriture grasse. Certains gènes s’activent et permettent de produire des enzymes capables de digérer les lipides.»

L’alimentation peut également modifier, durablement ou non, une partie du patrimoine génétique. L’environnement nutritionnel auquel une mère est exposée pendant la grossesse peut par exemple influencer l’expression des gènes du bébé. Les femmes enceintes ayant survécu à la famine aux Pays-Bas au cours de l’hiver 1944-1945, ont donné naissance à des enfants pourvus de modifications dites «épigénétiques», les prédisposant à de nombreuses maladies métaboliques, notamment le diabète et l’obésité.

Un marché prometteur
«Ce que nous aimerions comprendre, c’est pourquoi, à repas égal, deux individus ne répondent pas exactement de la même manière aux denrées ingérées», affirme Walter Wahli. L’objectif serait de pouvoir ensuite proposer une nutrition personnalisée en fonction du génome de chacun, «une thématique à laquelle l’industrie agro­alimentaire s’intéresse de très près», poursuit le spécialiste en endocrinologie moléculaire. En étudiant la nutrigénomique, les deux chercheurs souhaitent avant tout prévenir les maladies. «La pandémie d’obésité résulte d’une inadéquation entre les régimes alimentaires modernes et notre patrimoine génétique, qui n’a que très peu évolué depuis l’apparition du genre Homo il y a environ de 2,8 millions d’années. On estime que d’ici peu, près de 8% de la population adulte mondiale souffrira de diabète. Il faut donc impérativement axer nos efforts sur la prévention. Cette dernière ne pourra se faire qu’en déterminant plus précisément l’alimentation la plus bénéfique pour une population donnée», conclut le scientifique.

*La nutrigénomique dans votre assiette. Par Walter Wahli et Nathalie Constantin. De Boeck (2011), 228 p.

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