Le grand canton alémanique ne se contente pas d’influencer l’économie du pays. Il annoncerait encore les prochaines tendances électorales que nous découvrirons le 18 octobre, pronostique le politologue et professeur de l’UNIL René Knüsel.
Comme les météorologues, les observateurs de la vie politique ont leurs baromètres. Et comme souvent, c’est vers Zurich qu’ils se tournent quand ils veulent savoir ce qui se passe dans ce pays. Car le grand canton alémanique a la réputation de voter comme l’ensemble de la Suisse, avec six mois d’avance. Les vainqueurs des élections cantonales du printemps à Zurich se retrouvent en effet régulièrement dans la peau des gagnants à l’automne, quand tombent les résultats des élections fédérales.
Ce phénomène a poussé le politologue de l’UNIL René Knüsel à signer une chronique où il annonce que, grâce aux élections zurichoises du 12 avril dernier, «les résultats des élections fédérales du 18 octobre prochain sont déjà connus», en tout cas «dans les grandes lignes». Selon le professeur à la Faculté des SSP, «On peut s’attendre à ce que le Parti libéral-radical (PLR) gagne des parts d’électorat, que l’UDC soit en légère progression comme le Parti socialiste. Le Centre devrait baisser et les grands perdants devraient être les Verts et les Verts libéraux.»
Bien sûr, cette transposition des résultats zurichois au reste du pays laisse songeur. «Moi-même, je n’y croyais pas trop, explique le politologue. Mais, comme cette théorie du “baromètre zurichois” circule dans les médias de manière plus ou moins documentée, j’ai analysé les résultats des trois dernières années électorales. A ma grande surprise, j’ai vu qu’il y avait quelques variations minimes, mais que, dans l’ensemble, le résultat zurichois est assez prédictif.»
Comme l’Ohio
Ce «baromètre zurichois» n’est d’ailleurs pas le seul de son espèce. En France, c’est le petit village de Donzy, dans la Nièvre, qui vote – au centième près – comme l’ensemble du pays lors des élections présidentielles depuis 1981. Et aux Etats-Unis, c’est l’Ohio qui joue ce rôle depuis 1964, puisque les douze derniers présidents ont tous remporté cet Etat, qu’ils soient démocrates ou républicains.
Un choc pour les Romands
Du coup, on ne s’étonne pas que la Suisse ait, elle aussi, son «baromètre» électoral. Mais on sursaute en découvrant le nom de cet augure. «Le choc, surtout en Suisse romande, c’est de mesurer l’hyper influence des enjeux zurichois sur le reste de la Suisse. On connaissait le poids considérable de Zurich dans l’économie, et on le découvre ici de manière spectaculaire au niveau politique, alors qu’on aurait pu imaginer que, dans une république fédérale, les logiques locales seraient mieux respectées», commente René Knüsel.
Comment expliquer cette exemplarité des électeurs installés sur les bords de la Limmat? D’abord par la taille du canton, le plus grand du pays. «Un Suisse sur six y réside et ses électeurs votent un peu plus que la moyenne», observe le politologue de l’UNIL. Ajoutons à cela que Zurich est formé de grandes villes, de grosses agglomérations et de campagnes, comme le reste du pays. «On a probablement là une sorte de Suisse anticipée, note René Knüsel. Pas une Suisse miniature, parce qu’on n’y retrouve pas toute la pluralité culturelle du pays, mais il y a des choses de la vie, de l’économie comme des rapports de force qui influencent le reste de la Suisse.»
Sans oublier le rôle des grands médias zurichois qui, à l’image de Blick ou du Tages-Anzeiger, imposent certains thèmes régionaux sur la scène nationale, notamment parce qu’ils sont lus par les journalistes et les politiciens. C’était notamment le cas ce printemps avec l’affaire Carlos (du nom donné à ce jeune délinquant qui bénéficiait d’un encadrement spécial, incluant de la boxe thaïe pour un coût de 29 000 francs par mois), vite transformée en débat virulent sur «l’industrie du social».
PLR en hausse
Phénomène oblige, on relit les résultats des élections zurichoises du 12 avril dernier avec davantage d’attention, pour y découvrir un vainqueur inattendu. Le PLR a vu ses électeurs croître de 4,4% (pour atteindre 17% des suffrages), ce qui a permis aux libéraux-radicaux de gagner un fauteuil de conseiller d’Etat et huit sièges au Parlement cantonal. Au vu de ces résultats, René Knüsel s’attend donc à une progression du PLR. «C’est intéressant, parce que, ces dernières années, l’UDC avait phagocyté une grande partie de l’électorat libéral-radical qui est passé de 24% à 15% au niveau national en trois décennies. On pouvait s’attendre à ce que ça continue, mais on découvre une affirmation nouvelle du PLR face à l’UDC.»
Le politologue attribue ce regain de forme à un «effet franc fort». «Le PLR défend une économie stable et ouverte à l’international. Ce radicalisme, très différent de la vision économique de l’UDC, peut constituer une sorte de valeur refuge par rapport à l’incertitude économique que les gens commencent à ressentir.»
L’économie d’abord
A Zurich, cet «effet franc fort» a visiblement remplacé «l’effet Fukushima». En effet, alors que les formations écologistes ont connu une hausse spectaculaire de leurs électeurs en 2011, après l’accident dans la centrale nucléaire japonaise, elles se retrouvent grandes perdantes des élections cantonales zurichoises 2015. Les Verts ont perdu un fauteuil de conseiller d’Etat et six sièges au Parlement, en retombant à 7,2% des suffrages exprimés (-3,3%). Quant aux Verts libéraux qui passent de 10,3% à 7,6% des voix, ils perdent cinq sièges.
Ce qui nous amène à un autre enseignement des élections zurichoises: la baisse des écologistes ne profite pas aux autres formations de gauche. «On n’assiste pas en Suisse à l’émergence de formations frondeuses comme Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne, note René Knüsel, car le Parti socialiste a été la seule formation de gauche zurichoise à progresser, mais de peu (0,4%).» Si les socialistes gagnent, «c’est parce qu’ils sont la seule alternative crédible. Tous les autres modèles de gauche, développés en Chine, à Cuba, voire dans les Pays nordiques, n’inspirent plus guère de ligne politique en raison des limites démontrées. Il n’y a plus de réelle alternative, mais plutôt des valeurs qu’on défend dans un climat économique qui se durcit. Ce qui est plus facile en Suisse, où le confort économique est encore là, mais beaucoup plus compliqué en Espagne, en France ou en Italie, où le modèle social est en train de se retourner contre les faibles revenus.»
Troisième enseignement du vote-pronostic des Zurichois: les difficultés du Centre, qui se retrouve également en recul. C’était attendu pour le PBD, ce «parti de circonstance qui a été créé pour défendre le siège au Conseil fédéral d’Evelyne Widmer-Schlumpf». Ça l’est moins pour les démocrates-chrétiens du PDC qui «perdent leur électorat conservateur. Ces défections sont l’une des sources qui vient irriguer le Parti radical, et surtout l’UDC», estime René Knüsel qui parie encore que «ce transfert n’est pas terminé». Car, dernier grand enseignement de ce vote-test zurichois: il annonce probablement un renforcement des idées conservatrices dans le pays.
Réaction de conservatisme
«Quand on additionne les voix recueillies par l’UDC et le PLR, on arrive presque à 50%, ce qui est impressionnant», observe le politologue de l’UNIL qui attribue ce score à la somme de toutes les craintes du moment. «L’insécurité, ce n’est plus forcément la peur du petit délinquant qui pourrait dévaliser une villa. Cela peut prendre une forme plus large, d’une autre nature, comme la peur du terrorisme, de l’islam, la peur pour son identité, qui profitent à l’UDC. Ou alors les inquiétudes économiques, qui profitent au PLR. Avec la mondialisation, tous les problèmes de la planète semblent frapper à la porte, comme la guerre en Syrie, la crise en Ukraine, les soucis de la Grèce ou les migrants qui embarquent pour l’Europe. Cette actualité perturbe énormément les gens, et elle explique certainement cette réaction de conservatisme.»
Si, et seulement si le vote alémanique est bien révélateur des intentions de vote des Helvètes pour le 18 octobre prochain. Car, si nous sommes beaucoup influencés par le géant alémanique, nous ne sommes pas tous des Zurichois. Quelques cantons résistent encore à ces courants qui se forment sur les rives de la Limmat. Vaud, par exemple. «Il y a quatre ans, les partis traditionnels avaient perdu du terrain aux élections cantonales à Zurich et aux élections fédérales en automne, mais ils ont progressé dans le canton de Vaud», rappelle René Knüsel. «Parce que, même si l’on voit bien à quoi ressemblera l’ensemble du tableau, il restera des cantons atypiques.» Bref, malgré les baromètres et les analyses, il n’est pas inutile d’aller voter.
Article principal: 50% des Suisses changent de parti politique