Entretien avec Matthias Glaus, étudiant de bachelor en Faculté des sciences sociales et politiques, co-animateur du compte instagram parodique bmeme_1. En complément de l’article paru dans Allez savoir ! 76, décembre 2020.
Le 2 juin, des millions d’utilisateurs d’Instagram ont publié des carrés noirs sur leurs comptes. Il s’agissait du #blackouttuesday, lancé au sein de l’industrie musicale américaine en lien avec le mouvement Black Lives Matter.
Étudiant de bachelor à la Faculté des sciences sociales et politiques, Matthias Glaus anime le compte Instagram parodique @bmeme_1, avec quelques condisciples en cursus de médecine. En réaction à l’irruption des carrés noirs de juin, cette équipe a concocté un message critique au sujet des « mouvements Instagram en général » (voir ci-dessus).
Quelles ont été les réactions à la suite de votre publication ?
Nous avons eu de tout. Avec certaines personnes que nous connaissions, nous avons pu nous lancer dans des débats assez longs et enrichissants. Par contre, une dizaine de messages ont simplement demandé la suppression du mème. Ce sont des réactions typiques d’une « vision tunnel » : si tu n’es pas avec nous, tu es contre nous et donc tu dois effacer ce contenu qui nous dérange.
Sur instagram, le #blackouttuesday s’est avéré contre-productif !
Oui, car les publications de carrés noirs comportaient souvent, en légende, les mots-clé #blm ou #blacklivesmatter. Cela a noyé instagram de millions d’images identiques. En conséquence, les personnes qui cherchaient des informations sur le mouvement via les hashtags ne trouvaient plus rien d’autre que ces images. Les militants se sont étouffés eux-mêmes !
Bret Easton Ellis a eu de l’importance dans ta réflexion…
Oui, j’ai lu White, dont je conseille la lecture. Cela fait un peu dandy ou « vieux con », mais ce texte ferait du bien à beaucoup de gens. L’activisme en ligne est aussi naïf qu’inutile, car qui peut penser sérieusement que la publication d’un carré noir puisse produire le moindre effet dans le réel ? Mais cela va plus loin : ce type de « militantisme » est néfaste. Plus les jeunes peuvent s’exprimer politiquement les réseaux sociaux, moins ils votent. On twitte mais on ne se bouge pas. En conséquence, le rythme des changements sociaux dans le monde ralentit.
Les personnes qui publient ces carrés noirs y trouvent bien une motivation, non ?
Pour certains, cela se situe dans le registre de la vertu ostentatoire, de la tartufferie. Il s’agit de rendre son image de soi, en ligne, la plus attirante possible. D’abord, comme la figure du militant est dans l’air du temps, il est tentant de l’adopter. Ensuite, chaque clic, chaque like, chaque publication constitue une partie de nous-même. Dans les commentaires ou les messages reçus sur notre compte bmemes_1, nous voyons passer des personnes qui se disent activistes depuis leur jeunesse. Mais quand nous les interrogeons sur ce qu’elles font en vrai, c’est autre chose…
Par exemple ?
Une féministe nous a écrit qu’elle ne se rasait plus depuis ses 14 ans, par militantisme. Ne me faites pas croire que ce genre d’action a le moindre effet sur ce qu’elle défend. À cause des réseaux sociaux, les gens finissent par imaginer que chaque petit pas compte, que chaque action minime est bonne à prendre. Au final, on en arrive à estimer qu’un choix esthétique comme l’arrêt de l’épilation, le fait d’écouter certaines musiques ou l’affichage de carrés noirs a de l’importance…
Y a-t-il une composante narcissique ?
Nous sommes plutôt en présence de conformisme. Un narcissiste cherche à se démarquer, alors qu’il s’agit ici de se couler dans la masse et de ne surtout pas avoir un avis différent. Car si tu ne publies pas un carré noir, si tu n’es pas activement « anti », tu deviens un ennemi. Les réseaux sociaux fonctionnent comme des tribunaux où des personnes sont condamnées sans pouvoir discuter. Je trouve qu’il faut savoir se taire quand on n’est pas pertinent ou que l’on manque d’informations. De plus, être apolitique constitue une forme d’opposition aux extrêmes les plus bruyants, dans ce contexte de polarisation où toute discussion meurt très vite. Mais à cause de ces pseudo-activistes, ne rien dire revient à s’opposer. En conséquence, tout le monde est incité à s’exprimer à tort et à travers, pour dire la même chose. Nous nous dirigeons vers une société médiocre.
Vous allez tout de même continuer à alimenter le compte bmemes_1 ?
Bien sûr ! Certaines personnes ont menacé de s’en prendre à nous politiquement, ou d’essayer de nous censurer. Ce genre de réaction nous incite à refaire des mèmes, car cela nous fait rire et que nous sommes un peu bêtes!
Article principal: Sous les pavés, le clic