Avant de la rencontrer, on s’est demandé quel effet l’écrivaine nous ferait, au-delà d’être admirative du Prix de littérature suisse qu’elle venait de recevoir. Première impression court-circuitée: c’est en entrant dans les toilettes que nous l’avons d’abord croisée, à La Rotonde, le café biennois où Noëlle Revaz a proposé de se voir. Présage d’un entretien avec une écrivaine plutôt anticonformiste ?
Il y a des rencontres qu’on préférerait garder pour soi. Poser le stylo et juste échanger. D’autant plus quand la personne face à vous se livre comme sans défense. Une innocence presque malgré elle. Un regard doux, mais des traits anguleux. Car Noëlle Revaz est écrivaine, et si la parole jaillit sans frein, elle n’en est pas pour le moins maitrisée. Voire même un peu provocante. «On a souvent dit de moi que j’étais douce, j’étais stupéfaite. Je me voyais rude, brute, un peu sauvage. J’associais la douceur à quelque chose de négatif. Mais petit à petit je m’y fais.»
Un peu brutale ? Peut-être. Car d’emblée elle l’affirme: si c’était à refaire, elle ne retournerait pas à l’Université ! «J’aurais voyagé ou fait des petits boulots…» Une écrivaine en devenir qui étudie la littérature, ce n’est pas si évident. «Il y a un côté intimidant en Lettres, il faut élaborer des théories, être analytique. Le contraire de la créativité.» Noëlle Revaz avoue avoir mal vécu cette période et aurait préféré étudier ailleurs que sur ce «campus froid» de Dorigny. «J’étais une étudiante perdue, solitaire. Je voulais écrire mais comment mettre cela en place ?»
Peut-être pas anodin, elle opte pour l’étude du latin, une langue morte. «Ça m’arrangeait de ne pas avoir à la parler !» Mais paradoxalement, c’est grâce à la radio, un média où il faut faire entendre sa voix, que vient le déclic. Après sa licence, alors qu’elle enseigne le latin dans une école privée, un ami lui propose de rédiger pour Espace 2 de courtes histoires autour du sport. Pas du tout son domaine. «Sous un pseudonyme masculin, j’avais ma fierté ! Je m’écoutais, cachée sous la couverture.»
C’est à 33 ans, avec son premier roman Rapport aux bêtes, qu’éclot l’écrivaine, émancipée des grandes références et des règles grammaticales aussi. «Moi qui aimais Proust, il m’a fallu des mois pour parvenir à exagérer la langue et ne plus respecter la grammaire.» Jusqu’à élaborer un parler «primitif».
Emancipée, Noëlle Revaz semble l’être aussi aujourd’hui de la littérature elle-même. «J’ai l’impression de m’en détacher. Je continuerai à écrire mais les livres ont moins de poids dans ma vie.» Au profit d’autre chose ? Lorsque nous la rencontrons, Noëlle Revaz est mère depuis deux mois. «Je pense souvent qu’on peut choisir l’âge qu’on a, c’est un concept. Moi, pour l’instant, j’ai envie d’avoir dans les 35 ans.»
Elle nous avait prévenus. Ne pas se fier à ses traits doux, la donc éternelle jeune femme aime casser les codes. Jusqu’à s’attaquer à la figure de l’auteur elle-même. «Etre écrivaine, c’est quelque chose de banal. Cela me semble beaucoup moins extraordinaire qu’auparavant.» Depuis qu’elle travaille à l’Institut littéraire suisse, Noëlle Revaz s’est habituée à avoir des écrivains comme collègues et comme étudiants, des écrivains en herbe aussi. Comme pour confirmer ses propos, durant l’entretien, Noëlle Revaz interrogera le photographe sur son activité, parlera avec nous de voyages. Puis ira retrouver son compagnon qui promène leur bébé en ville. Ecrivain, un métier comme un autre ? Ce n’est qu’une impression…