Mot compte triple: hagiographie

mot_triple_p

A mi-chemin entre récit historique et légende peuplée d’éléments merveilleux, les textes hagiographiques relatent la vie ou l’œuvre des saints. Apparus dès l’Antiquité, ils gardent aujourd’hui leur importance durant les procédures de canonisation. L’éclairage d’Eric Chevalley, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité.

Composée des mots grecs hágios (saint, sacré) et gráphein (écrire), l’hagiographie qualifie l’écriture de la vie ou de l’œuvre des saints. Le terme s’applique aujourd’hui également à l’étude de ces documents qui peuvent prendre plusieurs formes, notamment la vita qui retrace la vie et les miracles d’un saint et la passio qui rapporte les souffrances et les supplices endurés par un martyr chrétien.

Contrairement aux biographies, les récits hagiographiques ont plutôt pour vocation de rappeler les vertus extraordinaires et la sainteté du personnage. «Destinés en premier lieu à être lus pendant une célébration liturgique, ils obéissent à toute une série de conventions stylistiques», explique Eric Chevalley, spécialiste du culte des saints et de l’Antiquité tardive. La personne dont on relate la vie est généralement qualifiée d’ «enfant-vieillard», on suppose qu’elle bénéficiait dès son plus jeune âge de la sagesse d’un vieil homme.

Les œuvres hagiographiques sont fréquemment peuplées d’éléments merveilleux, notamment de guérisons miraculeuses apportant la preuve de la vertu du personnage, mais dont l’historicité s’avère souvent discutable. Une facette de la discipline parfois décevante, car les textes ne fournissent que peu de détails sur la vie quotidienne de l’époque. Coauteur d’un ouvrage rassemblant trois documents anciens relatifs aux origines de l’abbaye de Saint-Maurice (VS), Eric Chevalley explique que les écrits ne révèlent rien sur la manière dont ce lieu était géré. Certains passages de l’histoire sont même tus. Le fait que saint Sigismond, fondateur du monastère en 515, ait fait assassiner son fils est par exemple totalement passé sous silence.

Par extension, le terme «hagiographie» est d’ailleurs aujourd’hui utilisé de manière péjorative pour désigner une biographie excessivement élogieuse et le manque de recul d’un auteur envers la personne ou le sujet étudié.

Le livre d’Eric Chevalley révèle une autre spécificité de la discipline. La réalisation de l’ouvrage, édité en latin et en français, a nécessité l’étude approfondie de dizaines de manuscrits anciens. Les textes hagiographiques sont en effet souvent anonymes et donc peu protégés. Au fil des ans, ils ont ainsi fréquemment été complétés, voire modifiés. Un vrai casse-tête pour les chercheurs dont la mission a été de retrouver la version la plus authentique et originale possible. Le latiniste a également collaboré à la réalisation d’un ouvrage plus large sur l’histoire de l’abbaye. Dirigé par Bernard Andenmatten, professeur à l’UNIL, le livre est paru en avril 2015 à l’occasion du 1500e anniversaire de la fondation du lieu.

L’hagiographie, désuète ? Certainement pas. Elle joue encore un rôle essentiel lors des processus de canonisation. A l’occasion des procès de béatification, de multiples écrits sont rédigés afin de retracer la vie des saints contemporains. On y a ajoute désormais des éléments plus scientifiques comme des témoignages de médecins mais l’objectif reste toujours d’apporter la preuve de la vertu extraordinaire de la personne susceptible d’être canonisée. De nombreux historiens et latinistes s’intéressent encore à cette thématique. Par exemple, le Centre d’études médiévales et postmédiévales de l’UNIL s’est récemment penché, dans le cadre d’un cours public, sur les saints et la sainteté au Moyen Age, à Lausanne et en Suisse romande. Yann Dahhaoui, chercheur à l’Institut religions, cultures, modernité y relevait l’importance des récits hagiographiques dans la création du mythe de saint Nicolas.

La mémoire hagiographique de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune – Passion anonyme de saint Maurice, Vie des abbés d’Agaune, Passion de saint Sigismond. Par Eric Chevalley et Cédric Roduit. Cahiers lausannois d’histoire médiévale, vol. 53 (2014), 289 p.

Laisser un commentaire