La perle de la Riviera a des beautés cachées loin du lac. Des châteaux, du Pinot noir, des torrents de montagne et une flopée d’escaliers pittoresques. À découvrir avec Pierre Corajoud, qui propose des itinéraires gratuits et tous publics pour Unisanté.
Partir en balade à Montreux semble un objectif cousu de fil blanc. On croit tout connaître de la ville du jazz, ses quais alanguis, ses hordes de touristes agglutinés sur les terrasses. Erreur! Avec Pierre Corajoud, la balade prend très vite une autre tournure. C’est que l’insatiable marcheur de plaine aime les détours, les rythmes syncopés et les chemins de traverse. Il ne randonne pas, il flâne comme un déplacement dansé à travers le paysage. «Je marche pour le plaisir de découvrir, lequel ne se mesure ni en kilomètres ni en dénivelé, mais en émotions», dit-il en préambule. Auteur et éditeur d’une quinzaine de guides de balade de proximité, il aime partir léger, presque à l’improviste, n’emportant rien, à peine de quoi se désaltérer.
Le ton est donné. Au lieu de filer en ligne droite vers le lac, on sort de la gare par le quai 3, côté ouest, pour rejoindre en quelques pas une fontaine historique (n° 1, plan en p. 39). Sous son couvert, la fontaine de Vernex (1765), divisée en quatre bassins, rappelle que Montreux avait aussi son eau minérale: «Une source à la température constante de 11,2°C surgit ici. C’est une eau alcaline, aux vertus digestives, qui a été exploitée de 1881 à 1950 environ. Elle était mise en bouteille et proposée dans les grands hôtels de la région, et même envoyée jusqu’en Angleterre», précise Pierre Corajoud. On peut savourer son petit goût métallique avant de descendre la rue du Centre, enjamber la voie ferrée pour s’enfiler rue du Mûrier.
On laisse sur la gauche le Montreux Palace et ses volets bleus pour suivre la voie ferrée par l’étroit sentier de la Pouponnière. Ce goulet coincé entre les rails et le grillage ne manque pourtant pas de poésie: des troupeaux de perce-neige rivalisent avec les primevères multicolores qui festonnent les pelouses, villas bordées de jardins pentus, maisons à tourelles aux airs de petits châteaux. Comme celui dont on aperçoit le toit (le château des Crêtes), au loin, au sommet d’une colline. C’est la fameuse colline aux cyprès, avec les «bosquets de Julie», décor choisi par Jean-Jacques Rousseau pour y planter son roman d’amour épistolaire La Nouvelle Héloïse. «L’écrivain n’y a jamais posé le pied, mais il est le premier à avoir décrit la beauté des lieux, le lac, les montagnes. Son roman publié en 1761 a eu un tel succès qu’il a attiré les touristes qui faisaient le grand tour, de Londres jusqu’à Rome.» Nul doute que l’écrivain romantique, suivi de Lord Byron, a contribué au développement touristique de la région, qui comptait plus de 140 hôtels au début du XXe siècle, pour quelques dizaines aujourd’hui.
Océan de Pinot noir
Un brusque virage à droite nous sort des rêveries rousseauistes et nous permet de rejoindre l’avenue Eugène-Rambert, avant de longer le cimetière de Clarens par le chemin de Clarenjaux. Une halte s’impose tellement le coup d’œil est ici magistral. Une vague de vignes se lève, ondule de gauche à droite, soulevant le Château du Châtelard, véritable promontoire qui règne sur un océan de Pinot noir (no 2). Un château qui ressemble comme deux gouttes de vin au château Saint-Maire à Lausanne, édifié à la même époque. «Le Châtelard a été construit au XVe siècle par les seigneurs de Gingins. Son donjon cubique permettait à la fois habitation et défense stratégique», explique Pierre Corajoud. Ses hautes salles médiévales se louent aujourd’hui pour des séjours ou des mariages.
Plutôt que d’attaquer le raidillon, on emprunte le sentier de Muraz, digression douce entre une haie de thuyas et des ceps noueux, avant de rejoindre le chemin des vignes. Légère montée, tandis que la vue s’ouvre soudain sur le lac frémissant de bleu, étincelant comme un miroir explosé, et porte jusqu’au château des Crêtes que l’on aperçoit cette fois en entier (n° 3). C’est à Vincent Dubochet, promoteur industriel revenu fortuné de Paris, que l’on doit cet édifice aux airs toscans daté de 1864. C’est lui encore qui acheta le terrain en contre-bas pour y installer vingt-et-une bâtisse au style rococo, les fameuses villas Dubochet, qu’il louait aux riches touristes estivaliers.
On quitte le panorama hypnotique du lac pour suivre le sentier des Grandes Planches, frangé de laurelles et de villas farcies de soleil. Le chemin slalome entre les résidences de luxe, Tesla garée sous le porche, terrasses à l’insolente beauté, barbecues rangés sous les housses. Rousseau y retrouverait-il son paradis champêtre? Pas sûr. Peut-être serait-il plus ému devant les carrés potagers, sentier de la Paquière, qui s’ébrouent en toute simplicité sous la voie ferrée…
Le temps de rejoindre la grand-route, de passer la gare de Vuarennes, sur la ligne du MOB, et l’on descend en douceur, avant de prendre son souffle pour attaquer, dos au lac, une belle volée de marches. Les escaliers de Pallens fendent en deux un flot de vignes et mènent au village éponyme, tandis que jonquilles et genêts galonnent déjà les talus. Les palmiers exotiques du bord du lac effacent nos mémoires, mais la région était autrefois essentiellement viticole, comme le prouve une façade portant encore l’inscription de pressoir. «Avant 1961, il n’y avait que les localités du Châtelard et des Planches, entourées de hameaux et de vignobles. La grande commune de Montreux n’existait pas. Quant aux vignerons, ils se déplaçaient autrefois par des petits sentiers verticaux. Les chemins à plat n’ont été créés que plus tard au XXe siècle», précise Pierre Corajoud.
Chemins imprévisibles
Ce sont bien ces chemins-là, sinueux, imprévisibles, parfois escamotés que Pierre Corajoud aime emprunter. Évitant les grandes artères, les lieux communs, le bruit des routes. Comme un jazzman, l’arpenteur du proche tient son thème, mais improvise pour «donner plus d’épaisseur au voyage». C’est donc par un vieux sentier pédestre aux pavés désunis, qui monte joliment sous les néfliers, que l’on poursuit la balade. Avant de rejoindre la route et une esplanade, la croix de Pallens, avec sa vue plongeante sur le Haut-Lac (n° 4). «La rivière ou baye de Montreux coule juste en-dessous, elle a été canalisée il y a 150 ans. C’est elle qui a construit le delta, charriant des alluvions et formant ce socle arrondi, sur lequel est construite aujourd’hui la ville de Montreux.» Au loin, Villeneuve, bâtie par les comtes de Savoie sur un étranglement stratégique, servait de verrou avec le château de Chillon pour taxer les marchands en transit.
À ce point de l’itinéraire, on renonce au sentier des Télégraphes, avec ses 1055 marches qui crapahutent à travers la forêt jusqu’à l’École hôtelière de Glion. Et on emprunte celui des Ramoneurs, qui descend en lisière des gorges du Chauderon. La voie est bucolique en diable, avec ses pierres moussues, l’échappée sur le lac dans le contre-jour des arbres, les tonnelles, les portails dentelés. Et déboule soudain sans prévenir dans le quartier des Planches. La petite place avec ses maisons à colombages rouges et ses galetas est typique du vieux Montreux: «Les maisons avaient une ouverture sous les toits, appelée dôme, qui permettait de remonter récoltes et matériaux par un système de poulie», explique Pierre Corajoud.
On se laisse descendre par la ruelle du Chêne, qui brinquebale entre façades colorées et vieux lavoir, avant d’enjamber le pont sur la baye. Un coup d’œil en-dessous permet de saisir toute la violence du torrent montagneux qui cascade, puis dévale jusqu’au lac comme une lame grise. On poursuit par la ruelle du Chauderon, direction Temple Saint-Vincent, qui vaut à lui seul le détour. «On se trouve ici sur un rocher de tuf calcaire. C’est une roche légère, facile à transporter, qui a également servi à bâtir certains murs de l’église. Au Moyen Âge se trouvait ici un ermitage, monasterium, qui a donné le nom de Montreux.» Il souffle sur cette esplanade magistrale, lovée derrière un repli rocheux, comme un air du Sud. Les essences témoignent de ce microclimat: platane, micocoulier et chêne vert aux feuilles lustrées. Pour un peu, on sortirait le pastis et la pétanque…
La dernière partie de la balade se fait en grande douceur par un chemin à flanc de coteau. Entre les oliviers, le lac prend des couleurs de piscine, tandis que le chemin du Chatagny se déroule entre roseraies et jardins suspendus. Grand luxe et nostalgie se côtoient, s’entremêlent. Les palmiers clinquants poussent à côté des voies désaffectées du funiculaire, qui montait à l’hôtel du Mont-Fleuri de Glion. On dégringole par les escaliers de Collonge pour arriver derrière le Grand-Hôtel, un peu décati, de Territet, avec ses lions couchés à tête de Sissi (n° 5). L’impératrice aimait y séjourner à la Belle-Époque. En des temps plus hard rock, c’est le légendaire groupe Deep Purple qui y a enregistré Smoke on the Water après l’incendie du casino de Montreux en 1971.
On peut alors rejoindre le lac et longer les quais jusqu’au point de départ. Ou reprendre le bus direction gare de Montreux. Pierre Corajoud, lui, ne s’arrête pas là. Il va continuer de marcher, le pied léger, cherchant l’insolite et la belle lumière, quelque part dans l’infini déploiement du paysage./
Unisanté met le public en marche
Depuis 2019, Unisanté (Centre universitaire de médecine générale et santé publique) a repris le concept des Ligues de la santé et de Promotion Santé Vaud: faire bouger les gens. «Le mouvement le plus inné et le plus accessible, c’est la marche. Elle permet notamment de prévenir les maladies, tout en s’évadant et en découvrant des paysages», dit Vincent Peclet, responsable de l’unité Activité physique à Unisanté.
On le sait: l’immersion dans un environnement naturel, comme les bains de forêt, a un impact bénéfique sur la santé physique et mentale. Et pour peu que l’on augmente la cadence, avec une marche à intensité modérée (provoquant un léger essoufflement), 150 minutes par semaine, l’on voit diminuer les risques de maladies cardiovasculaires, de diabète, de dépression et même de certains cancers (sein, côlon).
En proposant des balades guidées par Pierre Corajoud, Unisanté vise aussi la plus-value culturelle et la motivation par le groupe. Une affaire qui roule puisque ses sorties accompagnées attirent chaque fois entre 20 à 50 personnes. Il faut dire que l’arpenteur lausannois guide depuis plus de vingt ans, propose des itinéraires loin des sentiers battus, mais accessibles au plus grand nombre. Il a publié plusieurs livres dont Le temps d’une flânerie et, pour Unisanté, il traque l’insolite en quelque dix-sept balades (8 à 11 km) par année, éparpillées à travers le canton de Vaud. Une véritable immersion dans des décors de proximité, qui prouve aussi que l’on peut marcher partout avec plaisir. En ville, en campagne, en périphérie et même à l’Université de Lausanne, où cinq itinéraires différents sont proposés.
Infos sur unisante.ch/balades
