Montée des eaux

Oignon, ail, sauce tomate-basilic industrielle. La liste des produits qui figurent sur un ticket de caisse de supermarché suffit-elle pour entrer dans la vie de la personne qui les a achetés? 

Échoué dans une ville italienne trop connue pour être nommée, le narrateur est chargé d’établir l’inventaire de l’œuvre d’une traductrice dont il ne sait presque rien. Le jeune homme passe beaucoup de temps dans son appartement, visite ses placards, sa salle de bains et sa garde-robe, déchiffre ses notes, ses brouillons et ses carnets. Petit à petit, il se glisse dans la peau de l’absente, allant jusqu’à tester son vernis à ongles. Autour de lui, la ville mène une lutte perdue d’avance contre l’eau salée, qui, avec une infinie patience, s’infiltre partout et ronge les bâtiments. 

Auteur du très beau Là-bas, août est un mois d’automne (chroniqué dans Allez savoir! 69, mai 2018), l’écrivain Bruno Pellegrino est chercheur au Centre des littératures en Suisse romande. Avec son roman le plus récent, Dans la ville provisoire, il observe à nouveau la manière dont le temps efface les choses, mais avec douceur, et sans tristesse. Toutefois, l’approche d’un désastre inévitable apparaît par touches, avec la mention d’un article sur la disparition des glaciers, ou cette phrase: «Était-ce la ligne argentée d’une vague immense qu’elle croyait voir se dessiner au large?».

Lire ce bref roman deux fois de suite permet d’apprécier la finesse de l’écriture de Bruno Pellegrino et de découvrir les petites surprises nichées dans les paragraphes. / DS

Dans la ville provisoire. Par Bruno Pellegrino. Zoé (2021), 125 p.

Des exilés , déshumanisés 

En 2019, 1283 personnes ont péri en Méditerranée alors qu’elles cherchaient à rejoindre l’Europe. Cette mer, lien historique entre les peuples, s’est transformée en un véritable cimetière, commente Roger Martelli, auteur de l’un des 12 textes qui constituent cet ouvrage sur les migrations forcées, coordonné par Claude Calame, helléniste, anthropologue et professeur honoraire à l’Université de Lausanne, et par Alain Fabart. 

Le livre retrace les causes et enjeux des exils forcés et s’attache à déconstruire certains fantasmes, tels que la supposée menace d’ « invasion » des pays riches alors que la plupart des migrants se rendent dans les pays voisins ou dans des pays plus au sud. Le lecteur se plonge dans les mécanismes qui déshumanisent et excluent ces déracinés tout au long de leur parcours migratoire. L’ouvrage n’oublie pas le sujet des réfugiés climatiques, rappelant que justice environnementale doit rimer avec justice sociale. / NM

Migrations forcées, discriminations et exclusions. Coordonné par Claude Calame et Alain Fabart. Éditions du Croquant (2020), 229 p.

La République helvétique sort de l’ombre

Fin 1797, des notables suisses acquis aux idées révolutionnaires, menés notamment par Frédéric-César de La Harpe, appellent le Directoire à l’aide afin de chasser les Bernois du territoire vaudois. À la suite de l’intervention militaire française, début 1798, une République helvétique voit le jour. Sa Constitution «proclame la liberté et l’égalité de tous les citoyens et l’abolition des privilèges aristocratiques».

Ce régime a duré presque cinq ans, une période instable jalonnée de quatre coups d’État, ternie par les exactions et pillages commis par les troupes d’occupation. Pour parfaire le tableau, il faut encore mentionner l’envahissement d’une partie du territoire par l’Autriche, et une menace de sécession alémanique.

Un peu oubliée car peut-être vaguement honteuse, cette période est détaillée ici par la professeure honoraire Biancamaria Fontana, sous la forme d’un ouvrage très accessible. Cette lecture s’avère utile pour mieux comprendre le chemin parcouru vers la Suisse de 1848, et au-delà, celle d’aujourd’hui. / DS

La République helvétique. Laboratoire de la Suisse moderne. Par Biancamaria Fontana. PPUR. Savoir suisse (2020), 155 p.

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