Nous serions, nous les Suisses, l’une des plus grandes réussites de la planète. Ça fait drôle de l’écrire en toute simplicité, mais, bon, après l’avoir lu mot pour mot dans le très sérieux Financial Times, pourquoi se priver de cet instant d’immodestie? Quand on fait face à 4% de chômage, au sortir d’une crise financière qui a laminé des géants comme l’Espagne (20% de sans-emploi) ou les Etats-Unis (10%), on pourrait légitimement se voir dans le T-shirt du Roger Federer de l’économie. Sans oublier que la Suisse finit presque toujours sur le podium dès qu’un grand média ou un institut spécialisé établit l’un de ces fameux rankings qui donnent le ton aujourd’hui.
Nous serions donc « l’une des plus grandes réussites de la planète », et nous avons du mal à le croire. Comment expliquer un tel écart entre la manière dont l’étranger perçoit la Suisse (c’est d’ailleurs le thème du prochain Forum des 100, qui se déroule tout soudain à l’UNIL) et l’image que les Helvètes se font de leur pays?
Avançons une hypothèse. Nous sommes très certainement – et c’est une grande qualité – les champions du monde de l’autocritique. A chaque fois que paraît un article agressif, quelque part sur la planète bleue, il fait écho sous nos latitudes. La Suisse arrête Roman Polanski? Nous allons devenir la honte du monde civilisé, prédit Yann Moix dans un pamphlet et dans de nombreuses interviews accordées à la presse locale. Les électeurs votent contre les minarets? C’est parce que le peuple suisse « est un salaud collectif », suggère Claude Askolovitch, du Journal du Dimanche. Et voilà ce commentaire sanguin aussitôt repris en belle place dans les médias helvétiques. Deux exemples parmi d’autres.
Arrêtons-nous un instant sur cette manie de recenser méticuleusement nos critiques les plus véhémentes. D’abord, parce qu’elle en dit long sur l’attention que portent les Suisses au monde qui les entoure, y compris dans ses manifestations les moins nuancées. Ensuite, parce que cette capacité d’entendre le buzz planétaire explique, très paradoxalement, les succès économiques des Helvètes.
Si nous surfons actuellement sur la vague, c’est sans doute parce que nous nous levons tôt pour aller travailler le matin (mais nous ne sommes pas les seuls), parce que nous avons des idées (ce n’est pas un monopole) et des hautes écoles très compétitives. Mais aussi, et surtout, si nous sommes devenus « l’une des plus grandes réussites de la planète », c’est parce que nous ne voulons pas entendre parler de cette couronne honorifique.
Là encore, c’est étrange à écrire, mais c’est bon à savoir. Car, comme le dit Stéphane Garelli, professeur à la Faculté des HEC dans ce numéro, « il ne faut pas trop y croire soi-même, au risque de s’endormir sur ses lauriers et de très vite cesser de l’être ».
Merci donc d’oublier très vite les lignes qui précèdent, et de rester bien focalisés sur les critiques qu’on entend autour de nous. Ce n’est peut-être pas le top pour notre ego, mais c’est tellement bon pour notre avenir.
Jocelyn Rochat
Nos cousins suisses ne manquent ni de réalisme ni d’humour… Permettez-moi de vous appeler « cousins » ce qui constitue pour le français que je suis un véritable baume. Si nous partageons la même langue, nous ne partageons pas la même réussite. Savoir que nous avons quelque chose en commun me réconforte un peu. La France n’a pas tout à fait la même réputation que la Suisse aux yeux des analystes internationaux.