Livres

livre_1

Déchirures et réconciliations sur toile

Nicole Gaillard, auteure d’une thèse sur la représentation du couple en peinture, prolonge sa réflexion initiale au travers d’un ouvrage passionnant.

Comment les peintres donnent-ils à voir le couple, ce modèle très investi qui suscite beaucoup d’attentes et de projections? Pour Nicole Gaillard, auteure d’une thèse sur le sujet et dont l’ouvrage édité chez Antipodes est le prolongement, tout commence avec une toile de Pierre Bonnard. L’homme et la femme (1900), un tableau qui en dit long à sa manière sur le couple et les relations homme-femme avec tout ce que leur représentation éveille et suscite comme interprétation chez le spectateur. Une toile dont «l’évocation explicite du contact physique retient d’abord l’attention». Mais qui «nous contraint presque aussitôt à enregistrer l’intense sentiment d’isolement réciproque dégagé par les deux figures; plus efficace encore que l’expressivité de leurs postures, la présence d’un paravent replié au premier plan, sur lequel l’œil vient buter, dresse entre les deux personnages une cloison formelle dont le symbolisme ne peut guère échapper».

Par des descriptions fines et des analyses précises des tableaux ou des sentiments qu’ils peuvent provoquer, Nicole Gaillard montre la richesse que recouvrent la thématique du couple en peinture et les possibilités de lecture d’une œuvre. Grâce à une écriture limpide, elle fait pénétrer le lecteur dans l’histoire de la peinture figurative de la deuxième moitié du XIXe et du XXe siècle, où la question des rôles et des prérogatives de l’homme et de la femme prend une importance croissante.

Manet, Degas, Bonnard, Vallotton, Matisse, Munch, Schiele, Hopper et d’autres donnent à voir tour à tour le couple comme lieu de séduction, du pouvoir exercé ou subi, de l’ennui, du deuil mais aussi comme lieu de plénitude, d’apaisement ou du plaisir partagé. L’historienne de l’art s’intéresse en effet non pas à de simples portraits de couples, mais bien aux relations entre homme et femme qui sous-tendent les tableaux. C’est là où le regard du spectateur est essentiel à prendre en compte, car c’est lui qui scénarise l’image pour la traduire et l’interpréter. Comment regardons-nous ce qui nous est donné à voir? C’est l’autre interrogation majeure qui traverse l’ouvrage de Nicole Gaillard, attachée à la réception de ces images de couples non seulement dans leur contexte socio-historique mais surtout pour tout un chacun aimant à se balader dans les musées. Avant de s’y rendre, l’amateur de peinture pourra donc se délecter dans son salon d’un ouvrage qui permet un va-et-vient très fructueux entre les images de la septantaine d’œuvres étudiées et leur interprétation.  SB

livre_2

Ce bel ouvrage rassemble un choix de textes sur les Alpes, nés sous la plume de l’écrivain et poète anglais John Ruskin (1819-1900). La montagne figure au cœur de l’œuvre de cet auteur encore peu connu dans le monde francophone. Avec son style particulier, fait de longues phrases, ce voyageur traite de géologie, d’alpinisme et de tourisme, et bien entendu des aspects esthétiques du paysage. Défenseur de Turner, John Ruskin était un dessinateur de talent, comme les planches de la fin du livre le prouvent. DS

JOHN RUSKIN: ÉCRITS SUR LES ALPES. Textes réunis et présentés par Emma Sdegno et Claude Reichler. Presses de l’Université Paris-Sorbonne (2013), 289 p.

livre_4Nul besoin d’avoir été enfant dans les années 50 pour saisir le charme intemporel des aventures d’Amadou. La conjugaison des photographies de Suzi Pilet et des textes d’Alexis Peiry a donné naissance à sept albums originaux. Ceux-ci relatent les aventures d’un petit personnage, tour à tour alpiniste, musicien-détective ou marchand d’escargots. L’histoire de cette aventure éditoriale est racontée dans un ouvrage auquel ont contribué les plumes du Centre de recherches sur les lettres romandes. DS

AMADOU L’AUDACIEUX. Sous la dir. de Daniel Maggetti. Infolio (2013), 125 p. Exposition à Bulle. Musée gruérien. Jusqu’au 5 janvier 2014. www.musee-gruerien.ch

livre_3

L’éthique ne concerne pas uniquement les rapports entre les humains. Mais qui intègre-t-on dans la communauté morale? Les hommes, les animaux aussi, les plantes, la planète elle-même? Selon quels critères? La raison, la sensibilité, le simple fait d’être vivant? Ce livre d’un philosophe enseignant l’éthique environnementale à l’UNIL expose les postures morales envers la nature et classe les penseurs de l’écologie selon différents courants. Comment gérer politiquement, socialement, économiquement les «ressources» naturelles? Cela dépend de nos valeurs. NR

ÉTHIQUES DE LA NATURE. Par Gérald Hess. PUF (2013), 422 p.

livre_7

A quoi sert la science? Et à qui sert-elle? Comment mesurer sa valeur? Entre la logique propre au monde de la recherche et les attentes de la société, les différences sont nombreuses. Dirigé par trois chercheurs de l’UNIL, cet ouvrage collectif traite de questions d’actualité et permet au lecteur de se mettre à jour sur les réflexions en cours, par exemple concernant la diffusion des résultats scientifiques via les nouveaux moyens d’information, comme les réseaux sociaux. DS

PENSER LA VALEUR D’USAGE DES SCIENCES. Sous la dir. d’Olivier Glassey, Jean-Philippe Leresche, Olivier Moeschler. Editions des archives contemporaines (2013), 233 p.

livre_6

Entre 1903 et 1905, un pont transbordeur est construit au-dessus du Vieux-Port de Marseille. Parmi les admirateurs de l’ouvrage, le peintre et photographe hongrois László Moholy-Nagy, qui après son départ du Bauhaus, réalisa une série de photogrammes du pont. Olivier Lugon, spécialiste de l’histoire de la photographie, interroge, à partir d’un cliché, l’entremêlement complexe que représentent les intentions de l’auteur, la force propre de l’image et son contexte culturel. D’autres approches complètent ce petit livre qui plaira aux férus d’architecture et de photographie. SB

LE PONT TRANSBORDEUR DE MARSEILLE MOHOLY-NAGY. Par Olivier Lugon, François Bon et Philippe Simay. Editions Ophrys (2013), 66 p.

 

livre_5

 

Rechercher les conflits

Le travail, y compris artistique, met en œuvre de multiples interactions (collaborations plus ou moins visibles, négociations, divergences) entre différents partenaires (les musiciens, par exemple, leurs employeurs et leurs spectateurs). La sociologie interactionniste donne à voir le théâtre social du travail, au sein duquel «le destin de ce que nous disons ou faisons est entre les mains des autres» (Bruno Latour).

Maître d’enseignement et de recherche à l’UNIL, le sociologue et anthropologue Marc Perrenoud a dirigé, dans le prolongement d’un colloque lausannois en octobre 2011, un ouvrage en forme d’hommage à l’œuvre de Howard S. Becker, figure majeure de la sociologie contemporaine.

Né en 1928 à Chicago, ce dernier met au centre de sa réflexion l’idée de personnes «doing things together». Acte collectif en soi, ce livre rassemble plusieurs auteurs analysant la production de la performance chez les cyclistes avec d’une part le spectacle de la méritocratie sportive et d’autre part les coulisses, le vécu des directeurs des ressources humaines pris entre prestige professionnel et «sale boulot» (licencier), le travail à l’hôpital où les professionnels de la souffrance et de la guérison côtoient les profanes (simples visiteurs ou patients dont le rôle s’étoffe), la galaxie des tatoueurs entre savoir-faire techno-artistique, enjeux de distinction et service au client, l’activité des musiciens détenant l’autorité (concert), la partageant (dans un bar où les interactions restent possibles avec le public) ou la subissant (enrôlés pour une soirée dans une relation de service où il faut à la fois jouer et se faire oublier) ou encore l’univers des artistes confrontés dans leur portion spécifique du monde de l’art à des tensions entre conventions et visions nouvelles. Enfin, quelques textes éclairent d’un point de vue théorique cette démarche sociologique.

Ce livre ne serait pas tout à fait réussi sans un article de Becker lui-même sur la façon d’aborder le matériau artistique en amont (enquête sur les réseaux qui aboutissent à la création d’une œuvre, au développement d’un style… et sur les différents moments de cette œuvre jouée en public) et en aval (ce que l’on fait, ou pas, d’une œuvre sur la durée). Son message aux chercheurs: «Lorsque vous observez les participants à un monde de l’art en interactions dans leurs milieux naturels, ou lorsque vous les interviewez à propos de leurs activités, recherchez les conflits…» NR

LES MONDES PLURIELS de Howard S. Becker. Sous la direction de Marc Perrenoud. Editions La Découverte (2013), 237 p.

Laisser un commentaire