C’est l’autre mot de la pandémie, avec coronavirus. La liberté a été invoquée avec passion, aussi bien chez les manifestants «anti-pass» que dans le camp légitimiste. Aux banderoles qui dénonçaient chaque mesure sanitaire jugée liberticide, des voix ont répondu que la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres.
Ce n’est pas une coïncidence, comme vous le découvrirez dans ce numéro. Car les libertés sont au cœur d’un mécanisme de défense psychologique aussi puissant que méconnu, que les chercheurs appellent la réactance.
«Cette théorie postule que, quand un individu se retrouve dans une situation où il pense que ses libertés sont menacées, et que, ce point est très important, il perçoit ces mesures comme non justifiées ou illégitimes, il va faire le contraire de ce qu’on lui demande», explique une spécialiste de la psychologie sociale de l’UNIL dans cet Allez savoir! (lire l’article).
Après le succès de la résilience, popularisée par Boris Cyrulnik ces dernières décennies, on peut parier que la réactance a un bel avenir devant elle, dans cette époque qui a la liberté chatouilleuse.
Car l’intérêt de la réactance ne se limite pas à expliquer le déferlement des passions auquel nous avons assisté depuis le début de la pandémie. Elle propose une porte de sortie. Pour que les gens ne réactent pas, nous dit cette théorie, il faut «qu’ils aient confiance dans leur gouvernement, leurs concitoyens et la science».
Cette confiance peut être améliorée. Deux votations ont montré l’an dernier que la Suisse est divisée sur les mesures sanitaires, à hauteur de 60 % contre 40 %, et les arguments échangés par les deux camps ont été d’une violence rare. Ils témoignent de cette défiance dans une partie minoritaire, mais importante du pays.
La faute à qui? Il serait trop facile d’attribuer la crise de confiance actuelle aux seuls professeurs qui se sont chamaillés sur les plateaux TV durant la crise du Covid-19. Parce que la controverse fait partie de l’histoire des sciences, et parce que le consensus ne garantit pas une adhésion massive à n’importe quelle mesure.
La crise climatique n’a pas son professeur Raoult pour contester les conclusions de ses pairs, et pourtant, ce monologue scientifique n’a pas suffi à convaincre une majorité des Suisses d’accepter la Loi CO2. Comme l’a révélé l’enquête VOX sur la votation du 13 juin 2021, la majorité des 51,6 % d’opposants «ne fait confiance ni aux associations environnementales ni à la science ni à la recherche climatique».
Les divergences entre scientifiques n’expliquent donc pas tout. Alors quoi d’autre? À ce stade, une hypothèse. Il faudra bien s’interroger un jour sur les possibles effets collatéraux des peurs apocalyptiques qui ont été largement utilisées pour convaincre les foules durant ces crises.
Si la théorie de la réactance est juste, et qu’il est crucial de générer un maximum de confiance dans la population pour l’amener à adopter de son plein gré les bons comportements, la peur n’est pas le bon levier. Tout le monde sait, depuis que les enseignements du grand philosophe Yoda sont devenus viraux, que la peur mène à la colère, à la haine et à la souffrance, bref, au côté obscur, mais pas à la confiance ni à la liberté.