L’est une page de notre passé que l’on croyait définitivement tournée. A défaut d’assister à la fin de l’Histoire, nous pouvions rêver de vivre la fin de l’histoire de la guerre. En tout cas en Europe de l’Ouest, où nous n’avions plus connu de conflit majeur depuis 1945. Jusqu’à cette année 2015, où nous avons assisté au retour des scènes de guerre en plein cœur de Paris. Jusqu’à cette séquence terroriste durant laquelle des villes comme Bruxelles et Genève ont réalisé, après Londres, Madrid et Copenhague, que la menace était plus proche qu’on l’avait imaginé.
Ainsi, pendant que nous pouvions croire que la bombe nucléaire avait mis l’Occident définitivement à l’abri d’un conflit armé d’envergure, d’autres ont élaboré des stratégies susceptibles d’annuler cette puissance de feu. Par exemple, la «guerre civile moléculaire», qui est désormais menée par de petits commandos nés en Europe et équipés d’armes bon marché – les fameuses kalachnikovs. C’est, du moins, la thèse développée par le géostratège de l’UNIL Bernard Wicht dans ce numéro.
Un expert des stratégies militaires qui enseigne à l’UNIL ? Ces cours auraient pu paraître un peu anachroniques avant la série d’attentats survenus l’an dernier en France. Et pourtant, cette lecture tactique et géostratégique des événements est désormais indispensable quand on veut comprendre ce qui se passe, non seulement en Syrie, mais encore en Libye et en Europe, où le conflit se délocalise. Comprendre, c’est bien la difficulté face à ces événements qui nécessitent des mises à jour fondamentales dans plusieurs branches de nos connaissances générales que nous avions un peu délaissées. Comme l’histoire des religions, l’étude de «l’art de la guerre» et la géopolitique.
L’affaire est d’autant plus compliquée qu’il y a plusieurs conflits en un. D’abord, ce qu’il faut bien appeler une guerre de religion au sein de l’islam entre les sunnites et les chiites (un sujet évoqué dans un numéro précédent d’Allez savoir!, sorti en mai 2015, et que vous trouvez sur notre site Internet).
Pour autant, ce conflit n’est pas seulement religieux, comme vous le verrez encore dans ce numéro. Autour de l’Etat islamique, plusieurs grandes puissances mesurent actuellement leur influence dans la région, sous les yeux d’un arbitre qui, lui aussi, laisse les observateurs perplexes. Alors que les Etats-Unis avaient débarqué en Irak en «gendarmes du monde», les Américains ne laissent derrière eux que des drones et quelques forces spéciales une décennie plus tard. Une volte-face rapide et spectaculaire de l’«hyperpuissance» américaine que Bernard Wicht compare au «déclin de l’Empire romain», quand il a été attaqué par ses périphéries.
Et là encore, on retrouve cette Histoire dont on avait imaginé la fin. Un passé qu’il devient difficile d’ignorer. Notamment pour s’assurer qu’il ne se répétera pas. Car de nombreux classiques, de Goethe à Churchill, en passant par Karl Marx, nous ont prévenus. Tous écrivent, dans des formulations cousines, qu’un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre.