Chaque année, une quarantaine de nouvelles espèces minérales sont décrites dans le monde. Tout particulièrement dans notre pays, où, rapportées à la surface du territoire, les découvertes sont les plus nombreuses. Plongée dans le règne minéral avec deux chercheurs du Musée cantonal de géologie de Lausanne.
Précieux, les minéraux le sont tous à un titre ou à un autre. Des gemmes aux quartz, ils offrent une variété de formes géométriquement parfaites et de couleurs chatoyantes qui impressionnent. Même ceux qui sont plus ternes et moins esthétiques ont de la valeur. Tous permettent aux minéralogistes et géologues de reconstituer l’histoire de la Terre. Ils fournissent aussi une source d’inspiration aux chercheurs qui élaborent de nouveaux matériaux.
Des cristaux nobles dans les Alpes
Dans ce domaine, chaque année apporte son lot de découvertes. Certaines brillent par leur côté spectaculaire. Nicolas Meisser, conservateur de minéralogie et de pétrographie au Musée cantonal de géologie à Lausanne et docteur ès sciences à l’UNIL, en cite pour exemple ces «cristaux géants de gypse, qui font jusqu’à sept mètres de long» et qui ont été récemment mis au jour dans des cavités au Mexique. «Ils sont incroyables; ils évoquent le «Voyage au centre de la Terre» de Jules Verne, dit le minéralogiste qui ne cache pas son admiration.
Plus près de chez nous, dans le canton d’Uri, le cristal le plus long des Alpes a été découvert fin 2008, à 2’500 mètres d’altitude, au Planggenstock, dans le Göscheneralp. Il ne mesure qu’un peu plus d’un mètre, mais il est constitué de cristal de roche (quartz transparent), «un matériau plus noble que le gypse mexicain », précise le chercheur lausannois. Ce sont des cristalliers professionnels qui, après avoir suivi un filon pendant une vingtaine d’années, ont finalement trouvé ce minéral «splendide».
Il y a beaucoup moins d’espèces minérales que d’espèces de fourmis
Pour les scientifiques, le «nec plus ultra» reste toutefois la découverte de nouvelles espèces minérales. Comme leurs collègues zoologistes ou botanistes, ils classent en effet les minéraux en différentes espèces. Celles-ci se distinguent par leur composition chimique ainsi que par leur structure cristalline. Dans les cristaux – et contrairement à ce qui se passe dans les matériaux amorphes comme le verre où règne le désordre – les atomes sont agencés sous forme de motifs qui se répètent dans tout le volume de la pierre, comme les dessins d’un papier peint.
A ce jour, les scientifiques ont répertorié environ 4’400 espèces minérales, d’origine terrestre ou provenant de météorites et de la Lune. «Par rapport au monde vivant, c’est extrêmement peu», constate Nicolas Meisser. C’est infime lorsque l’on songe que, rien que chez les fourmis, on dénombre plus de 12’000 espèces! Cela tient «au nombre limité des éléments chimiques existants», d’après le conservateur. Mais aussi au fait qu’il est «très difficile de déterminer la structure d’un minéral, car cela demande des analyses poussées et bien des découvertes n’aboutissent pas», ajoute Stefan Ansermet, photographe et chercheur associé au Musée cantonal de géologie.
Une vingtaine de nouvelles espèces ont été découvertes à Lausanne
Malgré tout, une quarantaine de nouvelles espèces minérales sont découvertes chaque année dans les différentes régions du globe. Dans ce domaine, la Suisse fait d’ailleurs figure de championne. «Rapporté à la surface du territoire, le nombre de nouvelles espèces décrites est plus grand dans notre pays que partout ailleurs », souligne Stefan Ansermet. Cela tient selon lui «au tissu universitaire très dense, à une longue tradition d’études géologiques, à une grande variété de roches et à la présence de montagnes qui, dépliées, couvrent une grande surface». Sans compter que ces reliefs, sur lesquels les roches affleurent, sont un excellent terrain pour les chercheurs et collectionneurs de minéraux.
L’équipe lausannoise a d’ailleurs à son actif une vingtaine de nouvelles espèces, et dans son laboratoire à l’UNIL, elle en a encore quelques autres en cours de caractérisation. «C’est grâce à une collaboration véritablement symbiotique entre les Instituts de minéralogie et de géologie de l’UNIL que ces travaux peuvent être menés à bien», précise Nicolas Meisser.
Certains terrains géologiques sont plus propices à la découverte
Il peut en effet se passer plusieurs années entre la mise au jour d’un nouveau cristal et sa description détaillée qui permet de l’inscrire au patrimoine de la minéralogie.
Tout commence par une expédition. Qu’elle soit prévue en Suisse ou au bout du monde, elle doit être très soigneusement préparée. «On ne part jamais dans le brouillard, explique Nicolas Meisser. On consulte la littérature scientifique, les cartes géologiques et parfois les données satellites, ou même Google Earth. On cherche à savoir si un lieu donné renferme des éléments chimiques rares, si les roches ont subi au cours du temps des pressions et des températures importantes. En recoupant toutes ces informations, on peut savoir si l’on a de bonnes chances d’y trouver des choses nouvelles.»
A priori, on peut faire des trouvailles à peu près partout, mais certains terrains géologiques sont plus propices à la récolte. «De même que le monde vivant possède des biotopes qui, comme la forêt amazonienne, abritent une grande variété d’animaux et de plantes, le règne minéral a ses géotopes qui sont de véritables réservoirs de la diversité géologique», précise Nicolas Meisser.
Une nouvelle espèce doit son nom au chocolat
Le désert du Sonora au Mexique en est un. C’est de là que Stefan Ansermet a rapporté une nouvelle espèce, la xocolatlite. Elle est «constituée de minces croûtes brunes et de petits cristaux qui ont la couleur du cacao auquel elle doit son nom, qui signifie chocolat en langue aztèque». Ce qui est encore une manière d’honorer autant le Mexique, qui a donné naissance à cette friandise, que la Suisse.
Stefan Ansermet, le photographechercheur lausannois, est parti en expédition aux quatre coins du monde, mais c’est dans les Grisons, dans le Val Ferrera, qu’il a repéré une pierre faite «de plaquages cristallins, rouge sombre et transparents», qui porte désormais son nom: l’ansermetite. «Nous l’avons trouvée dans une mine de manganèse abandonnée depuis la Seconde Guerre mondiale, à 2’000 mètres d’altitude. Et, récemment, elle a aussi été mise au jour en Californie et en Ligurie. Pour l’instant, ce sont les seuls deux endroits au monde où elle a été repérée.»
Le Valais abrite une carrière unique
Outre les Grisons, la Suisse abrite plusieurs géotopes de choix, notamment dans le Haut-Valais. La région de Zermatt- Saas Fee, par exemple, était, dans le lointain passé, «un fond océanique avec une chimie particulière. Lors de la formation des Alpes, les roches ont été soumises à de fortes pressions. Les conditions de formation des minéraux ont donc été très spéciales», explique Nicolas Meisser.
Quant à la vallée de Binn (VS), elle offre la plus grande variété de minéraux de Suisse, avec 215 espèces, dont 35 y ont été découvertes pour la première fois. Elle abrite, il est vrai, la carrière de Lengenbach, «un gisement exceptionnel, connu des minéralogistes du monde entier, qui a fourni presque la moitié des nouvelles espèces décrites en Suisse», selon Stefan Ansermet.
A Bex, l’homme a involontairement «créé» de nouvelles espèces minérales
Les galeries abandonnées des mines de Bex (VD) comptent aussi parmi les lieux de prédilection des minéralogistes lausannois. «Il y a 200 à 300 millions d’années, la zone était recouverte d’une lagune salée et, lors de la formation de la chaîne montagneuse, tous ces composants ont été cuits et modelés, ce qui a donné lieu à des réactions minéralogiques particulières», explique Nicolas Meisser. Puis est venue l’exploitation minière: «En creusant des galeries, les hommes ont introduit de l’oxygène, augmenté le taux d’humidité, ce qui a conduit à la formation de nouvelles espèces. Notre groupe en a trouvé là cinq ou six qui sont en cours de description.»
D’autres lieux, moins réputés pour leur richesse géologique, peuvent aussi conduire à d’intéressantes trouvailles. Dans le massif des Aiguilles rouge, entre les villages de Morcles (VD) et du Châtelard (VS), Nicolas Meisser, lors de son travail de doctorat pour l’UNIL, a ainsi exploré un «petit gisement retiré recelant une forte concentration d’uranium accompagné d’une ribambelle d’autres toxiques comme l’arsenic, le plomb et le sélénium».
Les découvertes du conservateur aux Marécottes et dans les Grisons
Non loin du village des Marécottes, il a découvert une nouvelle espèce qu’il a baptisée marécottite. «Ce minéral est très joli. Il ressemble à de la peau d’orange déposée sur des pierres. Lorsqu’on l’observe au microscope, on voit de petites pointes cristallines.»
Au nombre des découvertes du conservateur figure aussi une pièce de choix, la pizgrischite, ce qui signifie «la montagne grise» en romanche. C’est en effet dans «un endroit perdu des Grisons que l’on ne peut atteindre qu’après une longue marche et de l’escalade», que les deux chercheurs lausannois ont trouvé ce minéral en 1988.
S’ils avaient fait tout ce chemin, c’est qu’auparavant, précise Nicolas Meisser, «un géologue avait repéré des veines blanches de quartz renfermant des aiguilles métalliques. A la première analyse, on s’est aperçu que cela ne correspondait à rien de connu.» Depuis, il a confirmé que la pizgrischite appartenait non seulement à une espèce nouvelle, mais aussi à «une sorte de nouveau genre. C’est la tête de file d’un nouveau groupe structural qui n’avait jamais été identifié, même dans des composés synthétiques ».
La trouvaille est d’une complexité cristallographique extrême
Le chercheur avoue toutefois en riant qu’il «a connu l’enfer des sciences dures» avant d’arriver à cette conclusion. Car la nouvelle espèce est un sulfosel – un composé de soufre et d’autres métaux lourds – un minéral d’une «complexité cristallographique extrême». Il lui a fallu aller étudier cet échantillon au synchrotron de Grenoble, une installation européenne qui produit des faisceaux de rayons X d’une très grande énergie et d’une très forte intensité, pour parvenir à ses fins.
Car, si trouver sur le terrain un minéral qui ne ressemble à rien de connu est une chose, encore faut-il confirmer cette intuition en laboratoire. Et pour cela, il faut soumettre le nouveau venu «à toute la moulinette des vérifications de base», comme le dit avec humour Nicolas Meisser. En d’autres termes, étudier la composition chimique de la roche, puis sa structure cristalline. Et lorsque cette dernière est complexe, il est nécessaire de la soumettre à la loupe d’un synchrotron, à Grenoble ou ailleurs.
On ne peut pas donner n’importe quel nom à sa découverte
Ce laborieux travail permet d’établir une «sorte de check-list» décrivant les diverses caractéristiques du minéral, que les chercheurs envoient à la Commission des nouveaux minéraux, de la nomenclature et de la classification. Cette instance, qui dépend de l’Association internationale de minéralogie, «est un outil fabuleux, que nos collègues des autres sciences naturelles nous envient», note le docteur ès sciences de l’UNIL.
Elle compte en effet une vingtaine d’experts qui analysent les informations, mais «peuvent aussi jeter des ponts entre différentes équipes qui, à travers le monde, travaillent parfois sur les mêmes minéraux sans le savoir». C’est à cette commission qu’il revient de vérifier que l’espèce minérale est réellement nouvelle.
C’est elle aussi qui est chargée d’accepter ou de refuser le nom que les auteurs proposent de donner à leur trouvaille. «C’est important, car l’affaire peut prendre un tour politique», souligne Nicolas Meisser
Et la politique, «c’est un motif de refus», ajoute Stefan Ansermet, citant le cas de scientifiques serbes qui avaient voulu donner à leur découverte le nom de leur pays, et qui se sont heurtés à une fin de non-recevoir. «Il y a des règles très strictes: les noms doivent avoir un rapport avec la minéralogie.» Ils sont souvent inspirés de l’endroit où les cristaux ont été trouvés ou du patronyme de minéralogistes connus. C’est ainsi que Stefan Ansermet a choisi, pour une nouvelle espèce qu’il a mise au jour dans les Grisons, le nom de scheuchzerite, en hommage à Johann Jakob Scheuchzer, «un important naturaliste et médecin suisse du XVIIIe siècle».
Inscrire les nouveautés dans l’histoire de la Terre
Une fois obtenu le feu vert de la commission, «qui correspond à un dépôt de brevet, nous avons un faire-valoir de deux ans sur la découverte, laps de temps qui nous permet de préparer sa publication dans des revues scientifiques», précise Nicolas Meisser. Dans la réalité, son groupe met souvent plus de temps à publier, car «il est dommage de se borner à décrire la morphologie et les caractéristiques du minéral». L’important, pour lui, est d’en savoir plus, afin de «pouvoir inscrire cette nouvelle espèce dans l’histoire de l’évolution de la Terre».
C’est en effet l’un des intérêts de la minéralogie. Que les cristaux soient spectaculaires ou qu’ils signalent l’existence d’une nouvelle espèce minérale, leur analyse «permet de reconstruire l’histoire de notre planète. Certains minéraux, explique Nicolas Meisser, ne peuvent exister que dans des terrains volcaniques ou sédimentaires.» D’autres n’ont pu se former que sous l’influence de hautes pressions ou de températures élevées. Tous sont donc d’excellents témoins des bouleversements géologiques que la Terre a subis, mais aussi de l’évolution de son atmosphère.
La nature inspire l’homme pour fabriquer de nouveaux matériaux
Les apports de la minéralogie ne font pas qu’accroître les connaissances; ils peuvent aussi avoir des applications pratiques. «La nature arrive à fabriquer des substances que l’homme ne connaît pas, et elle peut servir de source d’inspiration, par exemple dans l’élaboration de nouveaux matériaux», constate Stefan Ansermet.
Certains cristaux peuvent en effet se révéler intéressants pour l’industrie. C’est ainsi qu’en étudiant les propriétés optiques d’un sulfure d’argent et d’indium qu’il a décrit il y a une vingtaine d’années, Nicolas Meisser a constaté que «ce minéral pouvait transformer la lumière en énergie électrique. Depuis, il a servi de modèle pour la fabrication d’une nouvelle génération de cellules photovoltaïques.»
Quant à la marécottite, elle pourrait avoir des implications dans le domaine de la préservation de l’environnement. «Lorsque l’on exploite le minerai d’uranium dans certaines conditions, il se forme de la marécottite qui est soluble dans l’eau, explique Nicolas Meisser. C’est important pour les exploitants de la mine: ils doivent empêcher la gestation de ce composé d’uranium qui est susceptible, à la première pluie, d’être entraîné dans les aquifères et qui représente alors un danger pour la biosphère.»
A l’inverse, un autre minéral renfermant de l’uranium – la françoisite à cérium, elle aussi découverte par le chercheur lausannois dans le massif des Aiguilles Rouges – ne se dissout pas dans l’eau. «L’exploitant minier aurait donc tout intérêt à promouvoir sa formation qui stabilise l’uranium sous une forme insoluble.»
Impressionnant par sa pérennité et par la diversité des formes qu’il offre, le monde minéral peut aussi apporter des solutions à certains problèmes pratiques
Elisabeth Gordon