Les origines mystérieuses du papet vaudois

©ganko et natika/Fotolia.com
©ganko et natika/Fotolia.com

C’est le plat rituel du 24 janvier. Et pourtant, son histoire, comme ses liens avec le canton, reste assez obscure. Explications.

Si le canton de Vaud devait se distinguer par un plat «?national?», ce serait forcément lui?: le Papet, suivi de son adjectif, qui ne peut être que «?vaudois?». «?Le Papet est un mélange de pommes de terre et de poireaux parfois lié à la farine, rappelle Stéphane Boisseaux, maître-assistant à l’UNIL et à l’IDHEAP qui a dirigé l’Inventaire du Patrimoine culinaire suisse? (1). Son nom vient de sa consistance, la “papette”, un terme franco-provençal qui désignait sous l’Ancien Régime tous les plats à base de bouillies de farine.?»
Ce plat de brasserie, qui s’accompagne généralement aujourd’hui de la fameuse saucisse aux choux, donne parfois l’impression d’une origine très ancienne. Assez pour être devenu le plat dégusté traditionnellement à la mémoire de l’Indépendance, le 24 janvier 1798. Pourtant, rien n’atteste de cette ancienneté, assure Stéphane Boisseaux. «?La pomme de terre ne se répand pas avant la grande famine de 1770 dans le Pays de Vaud. Certes, les Vaudois connaissent le tubercule, mais le système des taxes étant bâti sur le blé, la reconversion dans cette culture a pris plus de temps. Et l’on peut douter que l’on trouve une trace de Papet avant cette époque.?»
Le poireau pose problème lui aussi. «?François de Capitani? (2) évoque la mauvaise réputation de ce légume à l’époque, montré du doigt comme «?excitant à la luxure?», dans l’Encyclopédie d’Yverdon (1770-80). Sa morphologie évocatrice explique peut-être cela?», sourit Stéphane Boisseaux.
L’origine de la saucisse aux choux reste tout aussi mystérieuse. «?Rien n’atteste que la saucisse serait très ancienne, souligne l’expert lausannois. En 1749, le Bernisches Koch-Büchlein propose des recettes de saucisses mais rien qui corresponde à celle-ci.?» La première mention connue est celle d’un pasteur vaudois qui évoque une saucisse au foie et aux choux en 1884. «?Mais cela ne veut pas dire qu’elle n’existait pas avant.?»
Mais son origine ne remonte sans doute pas au XVIIIe siècle. A la fin de l’Ancien Régime, le porc coûte plus cher que le veau car il est un concurrent alimentaire de l’homme, écrit François de Capitani. En période de pénurie, même les épluchures ne vont pas aux cochons. «?Ceci permet de douter de l’existence d’une tradition très ancienne de saucisse au porc?», conclut Stéphane Boisseaux. L’ordinaire de la table vaudoise sous l’Ancien Régime est essentiellement végétarien. Mais au XIXe siècle, tout change très vite, avec la généralisation de la culture de la pomme de terre et la descente de la fromagerie en plaine. Ces aliments permettent de nourrir les cochons aisément, et le célèbre Juste Olivier peut écrire en 1837 qu’en Pays de Vaud, «?le cochon est roi?», relève Stéphane Boisseaux.
On ne sait pas davantage à quelle époque Papet et saucisse s’associent. «?Au XXe siècle on sait que c’est le cas, mais c’est tout. Et encore, dans l’Encyclopédie vaudoise, en 1970, on apprend qu’une variante de saucisse aux choux de la vallée de Joux, la frâche, ne s’accompagne pas de Papet, mais de carottes rouges ou de choux-raves.?»
Ce qui semble plus sûr, c’est que le Papet se popularise dans la seconde moitié du XIXe siècle, une période qui coïncide avec l’essor du Parti radical et une relecture de la Révolution vaudoise. A défaut d’une autre explication, Stéphane Boisseaux relève en souriant cette évidence?: «?Symboliquement, le Papet, c’est l’alliance du vert et du blanc, les couleurs du drapeau vaudois.?»

(1)?www.patrimoineculinaire.ch
(2)?Soupes et citrons?: la cuisine vaudoise sous l’Ancien Régime. Par François de Capitani. Editions d’En Bas (2002)

Article principal: Révolution vaudoise et trous de mémoire

Laisser un commentaire