Les neuf armes de la force obscure

Guido Palazzo et Ulrich Hoffrage ont constaté que dans les scandales qui explosent après des fraudes massives ou d’autres actions non éthiques menées à large échelle, neuf éléments se combinent toujours à des degrés divers. Voici la liste de ce qu’il ne faut surtout pas avoir dans sa compagnie si on veut éviter le désastre.

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Manifestation devant le siège de Boeing à Arlington (USA), suite au crash d’un 737 Max en Ethiopie le 10 mars 2019. © Olivier Douliery / AFP / Keystone

Une idéologie rigide 

Il s’agit d’un système de croyances partagé qui restreint le champ des décideurs au profit d’une seule vision. Ainsi Uber ne se conçoit pas comme une entreprise de transport, mais comme une plateforme technologique. Ce positionnement l’autorise à contourner les réglementations du travail, les lois sur les taxis et les obligations sociales – l’entreprise n’emploie pas des conducteurs, elle met en relation une demande et une offre. Pourquoi les droits sociaux seraient-ils son problème?

Un leadership toxique

Cela peut créer un climat de peur lorsque des dirigeants abusent de leur pouvoir. C’est ce qui est arrivé chez France Télécom au moment de sa privatisation. Didier Lombard, PDG à l’époque, déclare ainsi publiquement vouloir faire partir les salariés «par la porte ou par la fenêtre», une formule révélatrice du climat imposé, qui va déboucher sur un harcèlement moral à large échelle dans l’entreprise. Entre 2008 et 2011, 73 salariés craquent à cause de ce management légitimé par la direction et se suicident.

Un langage technocratique, qui rationalise la tricherie

Dans l’exemple du Dieselgate chez VW, le logiciel truqueur qui permet de réussir les tests antipollution n’est pas qualifié de «fraude», mais présenté comme une «solution d’optimisation». Ce type de dénomination atténue la portée morale de l’acte. Idem chez Uber, où le vocabulaire présente le contournement des lois comme une prouesse stratégique. Des outils utilisés pour bloquer les contrôles des autorités locales sont ainsi décrits comme de simples «technologies de filtrage».

Des objectifs irréalistes

Comme on l’a vu avec Volkswagen, pour répondre aux ambitions du groupe (devenir leader mondial tout en respectant des normes antipollution strictes), les équipes sont poussées à obtenir des performances technologiques impossibles à atteindre sans transgression. Pareil avec les chiffres demandés au personnel de Wells Fargo; quand ce n’est pas possible de les atteindre, on invente, on triche, on ment.

Des incitations destructrices

Exemple chez France Télécom: en adéquation avec le leadership toxique évoqué ci-dessus, les cadres sont évalués sur leur capacité à faire partir leurs collaborateurs. Plus vous en faites craquer, mieux vous êtes noté et valorisé au sein de l’entreprise. Donner des bonus pour des actions qu’il faudrait recadrer ou sanctionner, c’est instaurer un système d’incitations destructrices.

Des règles ambiguës 

Les employés de Wells Fargo devaient atteindre des objectifs commerciaux très élevés, comme on l’a vu – cette consigne était accompagnée du commentaire «mais sans forcer les clients». Or les objectifs étaient inatteignables sans recourir à des méthodes abusives, et la règle édictée laisse place à l’interprétation: qu’est-ce que «forcer»? L’ambiguïté protège l’entreprise: si les pratiques dérapent, elle peut dire «ce n’est pas ce qu’on a demandé». Conséquence: des employés ont ouvert des comptes à l’insu des clients… tout en ayant l’impression de respecter (plus ou moins) les consignes.

Un sentiment d’injustice

Peut pousser des personnes à adopter des pratiques illégales tout en se persuadant qu’elles rétablissent l’équité. Voir exemples du dopage dans le cyclisme ou du Dieselgate dans l’interview.

La pression du groupe et la loyauté institutionnelle

Exemple avec VW, où le sentiment d’appartenance est très fort, la fierté d’ingénieur allemand aussi – cette philosophie d’entreprise repose sur des décennies de culture de l’excellence. Reconnaître un échec technique est perçu comme une trahison – on se tait donc et on fait semblant.

Une pente glissante

Enfin, dans toutes ces entreprises, les personnes le plus souvent ne se rendent pas compte qu’elles s’éloignent progressivement du bon chemin – elles commencent par un petit écart, se disant que ce n’est pas encore vraiment une transgression, mais ensuite ne peuvent plus reculer et continuent sur cette pente glissante, encore et encore…

Article principal: Comment des entreprises (et leurs collaborateurs) partent en vrille

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The dark pattern. The Hidden Dynamics of Corporate Scandals. Par Guido Palazzo et Ulrich Hoffrage. New York : Basic Venture (2025), 336 p. (en anglais).

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