Coordonné par le Centre de recherches sur les lettres romandes, un beau guide propose 20 parcours littéraires dans les rues de Lausanne. Une manière de musarder intelligemment.
«Mon bureau est installé dans une ruine célèbre, le quartier du Rôtillon. Dans la maison il n’y a que des artisans, céramistes, potiers, une tisserande, un photographe.» Tirée de Ame de bronze (2001), cette citation d’Anne Cuneo figure dans Lausanne. Promenades littéraires, un ouvrage collectif paru ce printemps. L’un des chapitres de ce guide original est en effet consacré à l’écrivaine, qui connaissait la ville comme sa poche. C’est notamment sur ses pas que les lecteurs sont invités à arpenter les rues et les places.
Au total, Lausanne. Promenades littéraires propose 20 itinéraires, liés à des auteurs (Ramuz, Chessex ou Simenon, par exemple) ou à des thèmes (bande dessinée, cafés, églises, etc.). Hybride, le volume mêle des textes d’une centaine d’auteurs différents, des cartes illustrées par Fanny Vaucher, des photographies rares, des notices biographiques ainsi que des éléments historiques qui restituent le cadre.
«Nous avons privilégié les extraits curieux, inattendus ou drôles, ainsi que les points de vue marqués», explique Stéphane Pétermann, responsable de recherche au Centre de recherches sur les lettres romandes (CRLR) et co-coordinateur de l’ouvrage, réalisé en collaboration avec la Ville, sur une idée de la journaliste Isabelle Falconnier. Entre admiration (délicieux Henri Calet) et ironie (mordante Anne Cuneo), c’est un portrait contrasté de Lausanne qui émerge. En filigrane, le lecteur constate que nombre de lieux charmants ont disparu sous le béton. «Nous avons pourtant été modestes avec l’usage de la nostalgie, note l’autre père du livre, Daniel Maggetti, directeur du CRLR. Certains auteurs, comme Paul Budry ou Charles-Albert Cingria, insistent sur cet aspect.»
La richesse de l’ouvrage frappe également le lecteur, car le flot de textes littéraires qui s’attachent à Lausanne paraît disproportionné par rapport à sa taille. L’explication tient à la dense vie éditoriale de la capitale vaudoise, qui a commencé à la Réforme déjà. «Au XVIIIe siècle, alors que la ville rassemblait moins de 10000 habitants, elle offrait un grand nombre de spectacles et une vraie vie culturelle. Beaucoup de lettrés voyageurs, comme Edward Gibbon, s’y sont arrêtés», ajoute Stéphane Pétermann. Une tradition encore vivante, dont le guide rend compte dans ses pages, grâce à une liste des «lieux du livre» à Lausanne. DS
Docteur en Lettres de l’UNIL, Pierre Jeanneret consacre cette biographie amicale à Michel Buenzod (1919-2012). Très actif à la gauche de la gauche, ce dernier a soutenu l’Union soviétique par ses écrits. Il s’est engagé fortement contre la potentielle bombe atomique suisse, ainsi que pour l’amélioration du sort des personnes handicapées mentales. Michel Buenzod a écrit plusieurs pièces de théâtre (dont certaines furent montées, notamment au Boulimie et à Vidy), ainsi que plusieurs romans. DS
Pouvons-nous imaginer Trump parler une autre langue que la sienne? La traduction ouvre à l’autre dans l’espace et le temps, elle ne trahit pas le lecteur, même dans la distance prise avec le texte dans un nouveau contexte. Un mot peut à lui seul inspirer une variation sur un thème donné; ainsi, Angela Carter se laisse-t-elle emporter par le «cabinet» issu du conte de Perrault La Barbe bleue, explorant ses connotations historiques dans une version anglaise pour adultes. Le traducteur n’est plus inféodé à un texte «original». Dans un acte d’incartade, il en favorise la survie. NR
Tirant son nom du pont transbordeur de Marseille, cette nouvelle revue au graphisme élégant file la métaphore du passage des frontières: elle est consacrée à l’histoire de la photographie dans une approche interdisciplinaire. Apparus au début du XXe siècle, les «musées de photographies documentaires» constituent le dossier principal de ce numéro 1. Comment archiver, rendre visible et utile le flot d’images créé alors par un média né un demi-siècle plus tôt? Comment les institutions ont-elles intégré cette nouvelle mission? DS
Ce troisième volume de la jolie collection «Architecture de poche» invite les lecteurs à lever le nez pour considérer les édifices religieux lausannois d’un œil neuf. Concocté par Dave Lüthi, professeur associé en Section d’histoire de l’art, fruit du travail de ses étudiants, cet ouvrage bien illustré présente une sélection de trente bâtiments, qui datent du début du XIXe siècle aux années 80. Plusieurs balades urbaines sont proposées aux promeneurs qui souhaitent découvrir des lieux méconnus. DS
Afin de familiariser les étudiants, ainsi que les curieux en général, avec l’art lyrique, la Faculté des lettres de l’UNIL organise des conférences en partenariat avec l’Opéra de Lausanne depuis 2010. Une sélection de ces présentations est éditée dans ce numéro de la revue Etudes de Lettres. Ces contributions, qui s’intéressent par exemple aux aspects littéraire ou psychanalytique, couvrent une large période, allant de Mozart à Ibert. L’ouvrage est enrichi par un entretien avec l’écrivain Etienne Barilier. DS
Les savants ne s’en fichent pas
Depuis le XVIIe siècle et jusqu’à nos jours, les lettrés ont consigné leurs notes de lecture, leurs idées, des faits glanés et des définitions utiles à leurs yeux sur des «fiches érudites». L’histoire étonnante de ces quadrilatères de papier ou de bristol, rangés par (centaine de) milliers dans des tiroirs, des coffres et des armoires ad hoc, fait l’objet d’un ouvrage passionnant et original. Guidés par la plume alerte de Jean-François Bert, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut religions, cultures, modernité, les lecteurs s’invitent dans l’atelier des savants.
Travail manuel et routinier, parfois abrutissant voire pathologique, la rédaction de fiches et leur organisation dans l’espace débouchent rapidement sur les questions fondamentales de la création, de la conservation et de la diffusion de la connaissance. Dans sa préface, l’historien Christian Jacob relève l’analogie entre le fichier érudit et la carte géographique: l’un et l’autre permettent de ramener un monde trop vaste à une échelle humaine, «maîtrisable par l’œil et la mémoire».
Plusieurs débats méconnus, présentés par Jean-François Bert, ont animé la communauté scientifique ces derniers siècles. Certains semblent triviaux: quel est le meilleur format pour une fiche? Au-delà, la qualité d’un savant se mesure-t-elle à la quantité de fiches qu’il a produites? La production de celles-ci et leur mise en relation par leur proximité à la fois physique et thématique dans des fichiers soigneusement classés permettent-elles le jaillissement de connaissances et d’idées nouvelles? Ou au contraire, leur sécheresse informative, leur objectivité et leur standardisation, qui se développent dès la fin du XIXe siècle, ne débouchent-elles que sur des recherches ennuyeuses et vaines, truffées de détails inutiles? Est-ce que déléguer la mémoire humaine à des meubles en bois remplis de fiches, ou aujourd’hui à un smartphone et à Wikipédia, ne constitue pas un danger? Ainsi, par l’histoire matérielle, c’est tout un pan des sciences sociales qui est mis en lumière.
A la fin de son texte, Jean-François Bert traite des méthodes de «mise en fiches» parfois sophistiquées – et informatisées – de quelques chercheurs, comme Marcel Mauss et Claude Lévi-Strauss, mais également Jörg Stolz, professeur à l’UNIL. Un voyage étonnant dans les coulisses de la fabrication du savoir. DS