Les archéologues sont dans le pré

Des étudiants de l’UNIL travaillent cet l’été sur un chantier de fouilles à Mandeure, en France voisine. Les traces d’une très ancienne église, bâtie sur le site d’un camp romain fortifié, ont été mises au jour. D’autres découvertes sont attendues.

Guillaume Nicolet, étudiant en master à l’UNIL, soulève une bâche de plastique noir. Juste en dessous repose le squelette d’un homme de 25 à 30 ans, baptisé affectueusement «René». Ce dernier a été enterré dans une église construite entre la fin du IVe siècle ap. J.-C. et le début du Ve. Soit, pour nos régions, «très tôt dans l’histoire du christianisme», indique Cédric Cramatte, collaborateur scientifique à l’Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité de l’UNIL, et responsable du chantier de fouilles de Mandeure (Epomanduodurum en V.O.). Cette petite ville de Franche-Comté est située à 2 h 30 de route de Dorigny.

Aux alentours de la sépulture s’étend le site des recherches, constellé de fosses, dont la teinte brunâtre tranche avec le vert des champs. A l’ouest, un rideau d’arbres cache le Doubs. Sur l’un des côtés se tient un quartier de villas. Seuls se font entendre le bruit des outils métalliques raclant la pierre, et parfois le «bip» du détecteur de métaux.

Cet été, près de 40 étudiants en archéologie des Universités de Lausanne et de Besançon œuvrent sur ce terrain, sous un soleil parfois torride. Pendant que certains manient les outils ou déplacent des brouettes remplies de déblais, d’autres documentent systématiquement le travail en prenant des notes, ou des photographies. «Un travail beaucoup plus physique qu’il n’y paraît», constate Cédric Cramatte. Pour le profane, la scène prend l’allure d’une lente chorégraphie.

Si l’UNIL et ses partenaires académiques explorent Epomanduodurum depuis 2006, c’est parce que cette cité possède un passé très riche. Haut lieu religieux des Gaulois, elle a ensuite abrité un temple romain important ainsi qu’un théâtre, encore visible. Ce dernier pouvait accueillir 18 000 personnes, à l’occasion de célébrations. C’est à quelques centaines de mètres de ce dernier que se situait le camp fortifié romain (le castrum) où s’activent les étudiants.

Tout en parcourant les lieux, Cédric Cramatte retrace leur histoire. «Mandeure fut un centre économique névralgique. Le Doubs servait d’autoroute pour le transport de marchandises», image le chercheur. Aujourd’hui, les étudiants travaillent là où stationnaient les soldats de la Légion I Martia, dans la première moitié du IVe siècle ap. J.-C. La présence de ces militaires est attestée par des inscriptions retrouvées sur des pilettes, soit des plaques en terre cuite utilisées pour le chauffage par le sol dans les thermes installés alors.

En 352, un événement violent survint: «peut-être une incursion alamane», raconte Cédric Cramatte. Des niveaux charbonneux mis au jour indiquent que des incendies ont eu lieu. La légion se perd ensuite dans les limbes de l’histoire. Quelques décennies plus tard, c’est une église chrétienne qui s’élève. La sépulture de «René», des sols en mortier bien conservés, ainsi que les restes d’un baptistère octogonal datent de cette époque.

Bien des objets ont été découverts sur ce coin de champ. Parmi ceux-ci, des dizaines de pièces de monnaie romaines en bronze, très utiles pour la datation. Ainsi que des parties de statues monumentales en calcaire d’origine grecque, du marbre de Carrare ou des fragments de placages réalisés dans un précieux porphyre vert importé de Sparte. Sans oublier plus de 1300 morceaux de verre, des restes de vitraux datant du Ve ou du VIe siècle.

«Il est très rare de pouvoir fouiller un site datant de cette époque, ajoute Cédric Cramatte, car des villes modernes se trouvent le plus souvent au-dessus.»

Le champ qui jouxte le chantier contient peut-être une clé pour l’avenir des recherches. En effet, un bassin y avait été découvert lors de fouilles menées en 1998 et 1999. Mais à l’époque, ce dernier «n’avait pas été interprété», note Cédric Cramatte. A la lumière des trouvailles plus récentes, il s’agirait d’un autre baptistère, contemporain du premier et situé au même niveau. «La possibilité de l’existence d’une deuxième église est grande. Elles formeraient alors un centre religieux important», note encore l’archéologue. L’histoire d’ Epomanduodurum réserve encore des surprises.

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