Le printemps arrive et avec lui, la floraison, les pollens… et les rhumes des foins. Comme les autres allergies, ils sont en constante augmentation. Mais les chercheurs savent aujourd’hui pourquoi, ce qui leur permet de proposer un meilleur diagnostic, des sensibilisations plus sûres et, demain peut-être, des vaccins.
Le doute n’est plus permis. Dans les pays occidentaux, la fréquence des allergies a augmenté de façon constante au cours des dernières décennies et la Suisse ne fait pas exception à la règle. Au début du XXe siècle, 1% de la population souffrait de rhume des foins, contre 15 à 20% aujourd’hui. Quant à l’asthme, il affecte un enfant sur dix, soit deux fois plus qu’il y a vingt ans.
Certes, une étude, réalisée il y a trois ans par des chercheurs bâlois, montre que la progression marque le pas et que la courbe des allergies s’infléchit quelque peu. Mais il faudra beaucoup plus que cette légère embellie pour venir à bout des rhinites.
Quelques lueurs d’espoir pointent malgré tout à l’horizon: les chercheurs ont élucidé les principaux mécanismes qui président à l’allergie, ce qui a permis d’affiner les diagnostics et d’améliorer la désensibilisation. En attendant que soient mis au point des vaccins, sûrs et efficaces, dont certains pourraient sortir de laboratoires lausannois.
Trop d’hygiène
Il faut se faire une raison: si les allergies se répandent, la faute en revient au mode de vie occidental et à l’hygiène qui le caractérise. Bien sûr, nul ne saurait se plaindre des progrès de la médecine qui ont permis de diminuer de façon drastique la mortalité due aux maladies infectieuses. Mais la médaille a son revers car les virus et bactéries peuvent aussi nous protéger contre les allergies.
Cette «hypothèse hygiéniste» a d’abord été proposée par des chercheurs allemands: ils ont constaté qu’avant la chute du Mur, les enfants de l’Est qui fréquentaient les crèches et étaient sujets à de nombreuses infections infantiles avaient beaucoup moins d’allergies que les enfants vivant à l’Ouest. On sait aussi que les bambins qui appartiennent à des familles nombreuses, ou ceux qui vivent à la ferme en contact étroit avec des animaux, sont moins sensibles que les autres aux pollens, acariens ou poils de chat.
Des études italiennes et japonaises
D’autres observations vont dans le même sens. François Spertini, médecin-chef de la Division d’immunologie et d’allergie du CHUV, en cite pour preuve cette enquête réalisée auprès de soldats italiens qui révèle que les hom-mes qui avaient «fait» une hépatite A étaient nettement moins allergiques que les autres. Ou encore cette autre étude, effectuée au Japon, qui conclut que les personnes ayant reçu le BCG avaient moins d’allergies que celles qui n’avaient pas été vaccinées contre la tuberculose.
Ce qui conduit le médecin lausannois à souligner que «l’augmentation de l’allergie vient d’une perturbation de notre contact avec le milieu extérieur. Notre système immunitaire est en quelque sorte programmé par l’environnement.»
Réactions disproportionnées
Le système immunitaire: c’est en effet à cause de ses réactions déplacées et disproportionnées que survient l’allergie. Tout commence lors de sa première rencontre avec un grain de pollen ou de poussière, des sécrétions d’acarien ou du venin d’abeille. Prenant l’inoffensif allergène pour un dangereux virus, il affûte ses armes.
Les préparatifs peuvent prendre du temps, parfois plusieurs années mais alors, lorsque l’intrus se présente à nouveau, le système de défense déclenche contre lui l’artillerie lourde.
Une cascade de réactions
Il produit notamment des immunoglobines E ou IgE qui entraînent toute une cascade de réactions conduisant aux symptômes que l’on sait: rhinites et conjonctivites qui peuvent devenir chroniques et se transformer en asthme, ou encore en violentes réactions cutanées ou généralisées (état de choc).
C’est là qu’interviennent les bactéries qui peuvent avoir des effets protecteurs contre l’allergie. «On ne sait pas exactement quels sont les composants des micro-organismes qui interviennent», explique François Spertini. Les chercheurs suspectent cependant que des lipopolisaccharides (LPS) présents dans la paroi de certaines bactéries comme les colibacilles E. coli pourraient jouer un rôle dans l’affaire.
«Cette substance est responsable des chocs septiques pouvant conduire à la mort d’un patient atteint d’infection, mais il est possible qu’en faible quantité, elle module le système immunitaire», lequel répondra ainsi beaucoup moins violemment à l’intrusion d’un allergène.
Le pompier du système immunitaire
Le LPS pourrait notamment agir sur un couple de composants immunitaires crucial en matière d’allergies, les cytokines Th1 et Th2. Les secondes, pro-allergisantes, sont prépondérantes chez le nouveau-né (ce sont elles qui empêchent le fœtus d’être éjecté, comme un vulgaire corps étranger, du ventre de sa mère). Mais au bout de quelques années, les Th1 «dont on peut dire, de manière simpliste, qu’elles sont antiallergiques», reprennent le dessus. Tout est en fait affaire d’équilibre et, «en favorisant la production de Th1, les bactéries rétablissent la balance», explique le médecin du CHUV.
Des pollens aux fruits
Les bacilles tuberculeux interviennent, eux aussi, dans la régulation de nos défenses. «Ce n’est pas une bactérie que l’on souhaite voir se développer dans l’organisme, souligne le médecin lausannois. Néanmoins, ses parois renferment des substances qui favorisent la maturation de cellules productrices d’Interleukine 10, laquelle est en quelque sorte le pompier du système immunitaire.»
Si le rhume des foins progresse dans la population, on peut en dire autant des allergies alimentaires. Là encore, on peut y voir une conséquence des modes de vie dans la mesure où les réactions violentes sont souvent provoquées par des fruits exotiques, dont la consommation se généralise. Mais il n’y a pas que cela car, étonnamment, l’allergie respiratoire favorise l’apparition d’allergies alimentaires.
«Les jeunes commencent par développer un rhume des foins, précise François Spertini. Puis, plusieurs années plus tard et alors que leur rhinite avait quasiment disparu, ils ressentent dans la bouche des picotements ou des brûlures en mangeant certains aliments; certains font de l’urticaire et parfois, cela peut tourner encore plus mal.»
Le phénomène n’est pas rare: «90% des patients qui étaient allergiques au bouleau, développent une allergie alimentaire.» Certains sont même sensibles à un grand nombre d’aliments, au point que «cela menace leur équilibre nutritionnel».
C’est ainsi que la sensibilité au pollen de bouleau ou de noisetier favorise les réactions allergiques aux fruits de la famille des rosacées – pommes, prunes, cerises, abricots et nectarines. L’allergie à l’armoise déclenche des réactions au céleri, au curry ou à la coriandre.
Les allergies au latex, aux kiwis, aux marrons…
Quant à l’allergie au latex, elle s’est développée dans la population – notamment avec l’expansion de l’usage du préservatif – et avec elle la sensibilisation aux kiwis, aux châtaignes, aux marrons, à l’ananas, aux figues, à l’avocat et aux fruits de la passion.
Cela peut paraître surprenant. Mais l’on comprend mieux le pourquoi de cette «réactivité croisée» lorsqu’on sait que «l’on retrouve par exemple dans les rosacées des protéines qui ressemblent à 80% à celles qui se trouvent dans le pollen de bouleau».
Des diagnostics bien plus précis
Le phénomène est inquiétant. Mais maintenant qu’ils le connaissent, les allergologues peuvent poser des diagnostics beaucoup plus précis. Lorsqu’un patient consulte pour une allergie alimentaire, «on peut maintenant lui dire qu’il réagit à tel ou à tel fruit et, connaissant la nature de l’allergène, on peut prétendre induire chez lui une tolérance à l’aliment en question, par des techniques dérivées de la désensibilisation».
La désensibilisation est «une vieille technique qui marche finalement assez bien», précise François Spertini. Cette méthode – qui consiste à injecter au patient des doses croissantes de pollen, venin et autres allergènes – s’est améliorée au cours des dix dernières années. «Les extraits injectés sont mieux standardisés, et les quantités d’allergènes qu’ils renferment sont déterminées avec une plus grande précision.»
Désensibiliser avec un mélange de cinq pollens
Actuellement, la tendance est toutefois au remplacement des allergènes «natifs» – des produits naturels qui ont simplement été purifiés – par leurs équivalents «recombinants», fabriqués par des bactéries et dont on maîtrise beaucoup mieux la composition.
«Les premiers tests de désensibilisation, réalisés à l’aide d’un mélange de cinq pollens artificiels de graminées, ont donné des résultats encourageants. D’autres, n’utilisant qu’un seul allergène recombinant – l’allergène principal de l’ambroisie – ont amélioré significativement l’état de patients souffrant de rhinite et d’asthme.»
Il reste que, même lorsqu’elle fait appel à des extraits artificiels, la désensibilisation traditionnelle n’est pas la panacée. Elle peut induire chez certaines personnes de violentes réactions. L’avenir est donc aux vaccins de la nouvelle génération qui, seuls, pourront garantir un traitement parfaitement sûr. L’équipe du CHUV a déjà pris une longueur d’avance (lire interview) dans la course qui s’est engagée dans ce domaine, pour le plus grand bien des allergiques.
Elisabeth Gordon
Vrai ou faux?
Vrai: Un chat à la maison peut effectivement désensibiliser un bébé à certaines allergies. Mais s’il y a un enfant asthmatique à la maison, il faut bannir cet animal.
Vrai: A force de trop laver les bébés, ils deviennent plus sensibles aux allergies.
Faux: Vous croyez que la crèche est mauvaise pour les bébés? C’est faux. Des études montrent en effet qu’un enfant qui y va développe moins d’allergies.
Faux: Vous croyez qu’un enfant qui reste à la maison est mieux protégé des allergies? C’est faux. Celui qui vit calfeutré chez lui est un bon candidat à l’allergie.
Vrai: Nous sommes plus allergiques que les générations précédentes.
Faux: Vous croyez que la pollution provoque des allergies? C’est faux. En revanche, si elle ne provoque pas directement de réactions, la pollution
aggrave les troubles d’une personne allergique.
Faux: Vous croyez qu’un enfant est plus facilement allergique s’il vit entouré
de fumeurs? C’est faux. En revanche, la fumée augmente notablement les risques de mort subite du nourrisson et de cancer (entre autres).