Interview de Philippe Bacchetta, professeur de macroéconomie à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne (UNIL).
Professeur de macroéconomie à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne (UNIL), et spécialiste des crises financières, Philippe Bacchetta tire les leçons de la plus grave crise financière depuis 1929.
La crise… Vous avez dit la crise? Les crises financières, c’est la spécialité de Philippe Bacchetta qui est professeur de macroéconomie à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne (UNIL). Et d’emblée, ce spécialiste admet que, même s’il y a encore des choses qui restent incompréhensibles, la crise actuelle va inévitablement provoquer une remise en question de l’enseignement dans les branches économiques. Une conséquence concrète des événements encore en cours qui n’est pas souvent évoquée… Un test d’application aussi des différentes théories existantes. Philosophe, Philippe Bacchetta: «Les cours seront plus intéressants, les étudiants vont se poser des questions et les enseignants devront relever le défi!»
Cinq pistes de réflexion avec cet enseignant qui est professionnellement sur le front en permanence…
Cette crise économique et financière actuelle condamne-t-elle le système?
Non, ce système a ses défauts, mais il va continuer. Il faudra le corriger. Les crises, ce sont des accidents qui arrivent de temps en temps; à la limite, ils sont inévitables, leur déroulement nous est familier, dans les grandes lignes…
Tout de même, une surprise?
La profondeur de cette dernière crise (et pas ses caractéristiques)! On savait que le soufflé allait retomber, mais qu’il puisse se retrouver aussi bas dans des économies aussi développées et qui semblaient suffisamment armées pour résister, tous les spécialistes en sont restés bouche bée.
Et maintenant, on recommence tout, comme avant?
En théorie, on commence à comprendre ce qui s’est passé. Mais en pratique, il faudra trouver des mesures de correction réalistes et acceptables. Exemple: supprimer les bonus, ce n’est pas réaliste; en revanche, les calculer sur plusieurs années, c’est envisageable dans un secteur où on ne peut rien imposer. Au total, il faudra environ cinq ans – par expérience, c’est la durée habituelle – pour pouvoir mener à bien les comparaisons indispensables à une réflexion approfondie.
S’agit-il d’une chance pour imposer une dimension morale à l’économie et à la finance?
Oui, clairement. D’autant plus qu’elle était en train de disparaître avec le règne de la spéculation et de l’argent facile. Encore faudra-t-il qu’elle s’impose sur la durée. A cela s’ajoute que la spéculation n’est pas mauvaise par nature: ce sont les positions très exposées mettant le système en danger qu’il faut exclure. Même commentaire pour les hedge funds, par exemple, ces fonds peu réglementés qui utilisent une large panoplie de formules d’investissement visant à réduire les risques du marché.
Voyez-vous un nouveau «modèle» apparaître à l’horizon?
On a vu à l’action l’Etat pompier face aux dérives financières. Il est clair que l’enthousiasme face au modèle libéral n’est plus ce qu’il était. L’intérêt est grand pour une formule à la scandinave qui combine les règles du marché et un Etat plus fort… un système où l’Etat n’intervient pas dans l’économie, mais où il assume un rôle accru de supervision, avec des garanties sociales à la clef, et via des autorités de surveillance spécialisées.
Propos recueillis par
Laurent Bonnard